Guerre des motards: quatre choses qu'on ignorait sur le délateur Stéphane Gagné
Le livre «Godasse, le vrai visage d'un tueur des Hells» plonge dans les coulisses de la saga judiciaire qui a fait tomber Mom Boucher
Jean-Louis Fortin et Eric Thibault
Vingt-cinq ans avant Frédérick Silva, qui aide présentement la police à résoudre une soixantaine de complots de meurtre, la justice québécoise a eu recours à un autre célèbre délateur. Au tournant des années 2000, Stéphane «Godasse» Gagné a permis de mettre hors d’état de nuire le chef des Nomads, Maurice «Mom» Boucher, au terme de deux procès spectaculaires. Notre Bureau d’enquête dévoile des détails inédits de cette saga dans un nouveau livre, Godasse, le vrai visage d’un tueur des Hells, en librairie dès maintenant.
Les milliers de pages de documents policiers, judiciaires et carcéraux auxquels notre Bureau d’enquête a eu accès pour alimenter le livre Godasse, le vrai visage d'un tueur des Hells recèlent de nombreux faits inconnus du grand public à propos du délateur qui a causé la chute de Maurice «Mom» Boucher. Voici un échantillon de ce que nos journalistes ont pu apprendre.
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1. La cantine à hot-dogs
En mars 1997, Christian Bellemare, blessé par balles, a été laissé pour mort dans un boisé enneigé des Laurentides, après s’être fait étrangler par Gagné et un complice. Il a miraculeusement survécu à cette tentative de meurtre, mais, par crainte de représailles, n'a pas incriminé ses assaillants.

L’automne suivant, Bellemare tentait de fuir son passé de trafiquant de drogues à Montréal en travaillant incognito dans une cantine à hot-dogs en Mauricie quand un client l’a interpellé.
«Je te connais, toi. T’es un gars de Montréal, hein?» lui a alors dit un membre des Rockers, un club-école des Hells Angels.
Terrifié, Bellemare a alors contacté la Sûreté du Québec. Il a identifié Gagné et l’autre suspect de la tentative de meurtre, le 7 novembre de la même année.
«À l’époque, j’avais très peur de Godasse. Je croyais que la gang me laisserait tranquille», a-t-il déclaré aux enquêteurs, selon un rapport d’enquête.

Un mois plus tard, c’est pour ce crime que Gagné a d’abord été appréhendé.
2. Improbable correspondance avec Gallant
Le 5 novembre 2007, un enquêteur de la Sûreté du Québec et une procureure de la Couronne rencontrent Gagné au pénitencier de Sainte-Anne-des-Plaines. Ils le questionnent sur une découverte pour le moins étonnante faite par un officier du Service correctionnel fédéral qui a ouvert et lu des lettres que le délateur reçoit ou envoie, en vertu d’une règle de sécurité habituelle des autorités carcérales.
«[Gagné] confirme avoir eu quelques correspondances écrites avec Gérald Gallant», note le sergent détective Simon Godbout au terme de la rencontre.
Lui aussi délateur, Gallant avait été arrêté l’année précédente et il collaborait alors avec la police dans le projet d’enquête Baladeur qui mènera à l’arrestation d’une douzaine de ses complices en 2009.

Durant la guerre des motards qui a fait plus de 160 morts au Québec entre 1994 et 2002, Gallant a avoué avoir commis une vingtaine de meurtres comme tueur à gages attitré des Rock Machine, le groupe rival des Hells Angels.
Gagné avait livré bataille aux Rock Machine, notamment en participant à un attentat à la bombe contre leur repaire à Verdun, en 1996.
«Il s’agit de son initiative personnelle, a écrit l’enquêteur Godbout. Gagné explique que ses échanges tournaient principalement autour du fonctionnement dans les murs du pénitencier.»
3. «Leader positif» au pénitencier
À 54 ans, Stéphane Gagné a quitté le pénitencier depuis la fin du mois de janvier 2024, après avoir obtenu sa libération conditionnelle totale.
Gagné était décrit comme un détenu modèle par le Service correctionnel du Canada, durant ses 11 dernières années d’incarcération.
«Le requérant y est un leader positif s’occupant de la routine quotidienne, du ménage, des repas et en se souciant de l’harmonie dans le groupe», d’après un rapport datant de 2014, deux ans après son transfert dans un pénitencier à sécurité moyenne.
Pendant les sept premières années de sa peine, Gagné fut isolé du reste de la population carcérale pour des raisons de sécurité.
4. Son pire ennemi
Au lieu des motards, le pire ennemi de Stéphane Gagné pendant son incarcération a été la maladie.
En 2006, il a subi des traitements de chimiothérapie pour vaincre un cancer. En 2008, il a dû subir une série de traitements contre l’hépatite C.
En 2012, Gagné a souffert de «douleurs abdominales récidivantes» nécessitant une coloscopie, selon un rapport du Service correctionnel fédéral.
Puis, en 2023, il a fait preuve d’une «grande résilience» pendant qu’il subissait d’autres traitements pour guérir une maladie dont la nature exacte n’a pas été précisée, selon une décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC).
«Le traitement vous a affaibli et vous êtes à récupérer vos forces et votre santé en général», lui écrivait la CLCC dans cette décision rendue à l’hiver 2024.