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Évangéline: la reine des Acadiens

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Jean-Philippe Lepage

2025-10-02T10:00:00Z
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De poème épique, l’histoire d’Évangéline est devenue, avec le temps, une source d’inspiration pour le peuple acadien et une influence à bien des égards. Partons sur les traces d’un personnage dont la fidélité, l'espoir et la résilience ont non seulement touché tous les descendants des premiers colons d’Acadie, mais aussi le monde entier.

Un peuple déraciné

Descendants des premiers colons français établis en Acadie à l’époque de la Nouvelle-France, les Acadiens ont été déracinés de leurs terres par les Britanniques, de 1755 à 1764. Expulsée de la Nouvelle-Écosse, de l’île Saint-Jean, de l’île Royale et du Nouveau-Brunswick actuel, la population acadienne sera dispersée dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord, l’Angleterre et la France. C’est ce qu’on appelle la Déportation des Acadiens ou le Grand Dérangement.

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En une dizaine d’années, la majorité des quelque 14 000 Acadiens de l’époque a été déportée, leurs maisons et leurs cultures, brûlées. Beaucoup ont été envoyés dans des colonies anglaises, d'autres en France ou dans les Caraïbes, mais des milliers sont morts par noyade, de maladie ou de faim. Aussi, comme dans le poème de Longfellow, nombre d’Acadiens ont longtemps erré à la recherche des leurs ou d’un foyer.

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Déportation des Acadiens de Grand-Pré, par George H. Craig, 1893.
Déportation des Acadiens de Grand-Pré, par George H. Craig, 1893. Wikimédia / Université de Moncton / George H. Craig

La naissance d’un poème épique

Près d’une centaine d’années après le Grand Dérangement, le poète américain Henry W. Longfellow entend, lors d’un dîner, un révérend faire le récit d’une légende qu’une de ses paroissiennes, une Canadienne française, lui avait raconté. C’était l’histoire de deux amoureux fiancés qui ont été séparés le jour de leur mariage par la déportation des Acadiens.

Datant d’autour de 1900, cette carte postale montre un panorama du village de Grand-Pré. Grâce au poème de Longfellow, Grand-Pré deviendra le lieu symbolique de la Déportation et un site de pèlerinage pour les Acadiens.
Datant d’autour de 1900, cette carte postale montre un panorama du village de Grand-Pré. Grâce au poème de Longfellow, Grand-Pré deviendra le lieu symbolique de la Déportation et un site de pèlerinage pour les Acadiens. ARCHIVES NOUVELLE-ÉCOSSE

Professeur à Harvard vivant à Cambridge, au Massachusetts, Longfellow, qui n’avait jamais visité le pays acadien, s’est appuyé sur des ouvrages qui racontaient l’histoire et la géographie de ce territoire pour écrire son poème.

Celui-ci raconte l'histoire d’Évangéline Bellefontaine, une jeune acadienne qui se voit séparée de son bien-aimé, Gabriel Lajeunesse, par la Déportation. Elle voyage alors à travers l'Amérique à la recherche de son amant et finit par s’établir à Philadelphie, où sa ténacité et sa fidélité sont enfin récompensées. Devenue infirmière dans un hospice, c’est en soignant les pauvres malades qu'elle retrouve enfin Gabriel, qui meurt dans ses bras.

De la poésie au tourisme

Publié en 1847, Évangéline est traduit en plus d’une douzaine de langues et acquiert rapidement une popularité mondiale. Il a fait partie du programme scolaire de plusieurs générations d'Américains et a même inspiré le tourisme — qui en était alors à ses balbutiements partout dans le monde — en Nouvelle-Écosse.

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Un guide touristique du «Pays d’Évangéline» datant de 1947.
Un guide touristique du «Pays d’Évangéline» datant de 1947. Bibliotheque et archives canada

En effet, Longfellow a choisi Grand-Pré, où se trouve aujourd’hui le Lieu historique national de Grand-Pré, comme lieu de départ de son œuvre. Nombre d’Américains, oubliant ou non qu’il s’agissait d’un personnage fictif, ont eu envie de voir l’endroit qui avait vu naître Évangéline. Dès 1871, des bateaux à vapeur et un service ont commencé à amener des touristes vers la Nouvelle-Écosse, au pays d'Évangéline. Des six locomotives utilisées pour le service ferroviaire entre Halifax et Annapolis Royal, deux étaient nommées Évangéline et Gabriel!

Un parc, une statue et une identité

Bien que tragique, l’histoire d’Évangéline dépeint une Acadie naturelle, verte et paradisiaque, synonyme de paix, de calme et de sérénité, qui inspire notamment les habitants de Boston, alors en pleine révolution industrielle. Pour offrir une expérience satisfaisante à cet afflux de touristes américains qui s’arrêtaient au site abandonné de Grand-Pré, les Néo-Écossais y créent, en 1907, un parc à la mémoire des Acadiens et Acadiennes. En 1920, la Dominion Atlantic Railway enrichit les lieux d’une statue de bronze d’Évangéline, puis de jardins victoriens et d’une réplique de l’église détruite lors du Grand Dérangement.

Le dévoilement de la statue d’Évangéline, commandée par la compagnie de chemin de fer néo-écossaise Dominion Atlantic Railway, le 29 juillet 1920. Comble d’ironie pour cette héroïne d’un peuple francophone, la cérémonie s’est déroulée sans représentant acadien et uniquement en anglais.
Le dévoilement de la statue d’Évangéline, commandée par la compagnie de chemin de fer néo-écossaise Dominion Atlantic Railway, le 29 juillet 1920. Comble d’ironie pour cette héroïne d’un peuple francophone, la cérémonie s’est déroulée sans représentant acadien et uniquement en anglais. Archives Nouvelle-Écosse

Avec son poème et le succès qu’il a connu, Longfellow a contribué à faire connaître les événements de la Déportation partout dans le monde et à sensibiliser la population acadienne à ses racines. Ce récit, qui jouera ensuite un rôle important dans la Renaissance acadienne, constitue, pour nombre d’Acadiens, la véritable histoire de leur passé.

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Sur la route d’une héroïne

- À Saint-Martinville, en Louisiane, se trouve une autre statue d'Évangéline. Celle-ci a été donnée à la ville par l'équipe de tournage du film Evangeline (1929).

- L’œuvre de Longfellow a donné son nom à de nombreux lieux, dont une paroisse en Louisiane, une région acadienne de l'Île-du-Prince-Édouard et un village dans la péninsule acadienne au Nouveau-Brunswick.

Paysage sur l’Evangeline Trail.
Paysage sur l’Evangeline Trail. Reimar - stock.adobe.com

- Une route historique baptisée Evangeline Trail traverse les communautés acadiennes de la baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse.

- Une école secondaire de Montréal porte le nom de l’héroïne.

Des films, des chansons et même des chocolats!

- Après la publication d’Évangéline, ce prénom, qui n’existait pas dans la communauté acadienne, est rapidement devenu populaire auprès des parents acadiens.

- Au cours du XXe siècle, les fêtes acadiennes comportent un concours afin de choisir une Évangéline et un Gabriel.

- L'histoire d'Évangeline a été portée à l'écran à plusieurs reprises. Le premier film, produit en 1913 et tourné à Grand-Pré, est aujourd'hui considéré comme perdu. Il a même fait l’objet d’un documentaire en 2014: À la recherche d’Évangéline.

- Bon nombre d’opéras et de cantates inspirés de l’œuvre de Longfellow ont également vu le jour, tant au Canada qu’aux États-Unis et en Europe, au fil des années.

- En 1971, Michel Conte s’est inspiré du poème pour écrire la chanson Évangéline. D’abord chantée par Isabelle Pierre, celle-ci a été reprise par Marie-Jo Thério, Natasha St-Pier et Annie Blanchard (chanson populaire de l'année au gala de l'ADISQ en 2006).

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- Au fil des décennies, nombre d’entreprises ont bénéficié de la popularité d’Évangéline, véritable moteur économique, en s’appropriant son nom ou son image. Du pain au chocolat en passant par des boissons gazeuses, un terrain de camping ou un centre commercial, Évangéline vend de tout! Un journal, fondé à Digby, en Nouvelle-Écosse, en 1887, a aussi porté son nom jusqu’en 1982.

Un magazine et un CD

Échos Vedettes propose une plongée fascinante dans l’univers des spectacles musicaux et des comédies musicales francophones présentés au Québec, en retraçant leur évolution à travers des œuvres marquantes.

Hors-série Écho Vedettes Spectacles musicaux
Hors-série Écho Vedettes Spectacles musicaux TVA Publications

C’est l’occasion de présenter la fresque musicale Évangéline, qui revisite avec émotion l’histoire d’amour entre Évangéline et Gabriel, tout en mettant en lumière le drame historique de la Déportation des Acadiens, en 1755. Ses interprètes et son équipe artistique nous racontent la création de cette œuvre forte et attendue.

TVA Publications
TVA Publications

Ce magazine témoigne aussi de la vitalité de la scène québécoise, Le doux temps des amours, première comédie musicale canadienne-française, jusqu’à des propositions plus audacieuses comme Demain matin, Montréal m’attend, Pied de poule, Jeanne la pucelle ou Nelligan.

Il était bien entendu impossible de passer sous silence les œuvres phares de Luc Plamondon, telles que Starmania, La Légende de Jimmy et Notre-Dame de Paris. Patsy Gallant, Garou et Bruno Pelletier livrent leurs souvenirs marquants.

Enfin, le magazine met en lumière des créations originales inspirées de figures emblématiques, comme Nelligan, Don Juan, ou Dracula, entre l’amour et la mort, et d’autres spectacles, tels que Belles-sœurs, Le petit Roy ou Pub Royal, qui montrent l’interaction entre le théâtre, la chanson populaire et la culture québécoise.

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