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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Enfin, un 3e lien... pour Montréal!

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Photo portrait de Martin Landry

Martin Landry

2023-11-26T05:05:00Z
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À l’automne 1899, les Montréalais aperçoivent une drôle de machine à quatre roues dans les rues de la ville. Ucal-Henri Dandurand conduit fièrement sa voiture, la première à Montréal. 

Huit ans plus tard, on en compte 162, puis en 1920, on en dénombre plus de 13 000. Cette croissance est phénoménale. Dix ans plus tard, on parle de 65 000 voitures et, en considérant l’ensemble de l’île de Montréal, il y en aurait 10 000 de plus. Évidemment, ces automobilistes réclament la construction d’un grand pont pour traverser le fleuve Saint-Laurent. 

L’ancrage montréalais du nouveau pont se fait à la hauteur du Faubourg à m’lasse. Ses résidents voient évidemment leur quartier se défigurer par l’arrivée des piles de l’infrastructure.
L’ancrage montréalais du nouveau pont se fait à la hauteur du Faubourg à m’lasse. Ses résidents voient évidemment leur quartier se défigurer par l’arrivée des piles de l’infrastructure. Archives de la Ville de Montréal

La construction du 3e lien

Ce n’est pas simple de construire un pont pour enjamber un puissant fleuve comme le Saint-Laurent. 

À l’époque, les automobilistes n’ont que deux options pour traverser le fleuve de Montréal à la rive sud: utiliser un bateau traversier ou le pont Victoria.

Saviez-vous que lors de l’inauguration du pont Victoria en 1860, de nombreux journaux parlaient de cette infrastructure comme de la 8e merveille du monde moderne? Ce pont de presque 3 km (2790 mètres) de long était à l’époque le plus long pont ferroviaire au monde. Même si l’on a modifié la structure du pont Victoria pour accueillir des automobiles après 1899, il apparaît évident qu’une nouvelle construction s’impose avant que la congestion automobile bloque les rues de la métropole.

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On confie alors cette tâche à la commission du Havre de Montréal. Le 27 janvier 1925, les commissaires font l’annonce du choix de l’emplacement de ce 3e lien. Il sera érigé parallèlement à l’avenue de Lorimier dans le quartier Sainte-Marie. 

Un budget de 7 millions de dollars

Le complexe projet demandera de savants calculs auprès de nombreux ingénieurs canadiens et américains pour arriver à réaliser la puissante structure. Pour faciliter la traversée de l’immense pont, on se servira de l’île Sainte-Hélène comme appui à mi-parcours. On confie à la Dominion Bridge Company le mandat d’ériger la structure métallique de l’ensemble. Son budget? On parle de 7 millions de dollars. C’est le plus important contrat de son histoire. Deux autres compagnies se divisent le contrat pour les quais et les approches du pont pour 1,1 million de dollars. L’envergure du chantier est titanesque, on doit mobiliser des milliers d’ouvriers pour construire ce pont de 3,4 km. Imaginez... en 2019, le pont Champlain a coûté 3,977 milliards de dollars aux contribuables.

L’ancrage montréalais du nouveau pont se fait à la hauteur du Faubourg à m’lasse. Ses résidents voient évidemment leur quartier se défigurer par l’arrivée des piles de l’infrastructure. 

Le 9 août 1926, on installe la pierre angulaire du pont à l’angle des rues Notre-Dame et Saint-Antoine dans le pilier numéro 26, juste devant l’ancienne prison du Pied-du-Courant, où des patriotes de la Révolte de 1837 ont été pendus. On y aurait enfoui une boite avec une cinquantaine d’objets, dont des journaux, des pièces de monnaie, des photos aériennes de la structure, des cartes et des plans.
Le 9 août 1926, on installe la pierre angulaire du pont à l’angle des rues Notre-Dame et Saint-Antoine dans le pilier numéro 26, juste devant l’ancienne prison du Pied-du-Courant, où des patriotes de la Révolte de 1837 ont été pendus. On y aurait enfoui une boite avec une cinquantaine d’objets, dont des journaux, des pièces de monnaie, des photos aériennes de la structure, des cartes et des plans. Archives de la Ville de Montréal

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Il faut aussi démolir des logements et exproprier des centaines de familles. Si la majorité accepte sans trop rechigner, l’homme d’affaires Hector Barsalou, propriétaire d’une usine familiale de savon qui a pignon sur rue en pleine zone d’expropriation au 1600, rue de Lorimier, refuse catégoriquement.

La ténacité des hommes d’affaires force les ingénieurs à redessiner un tracé différent en y intégrant une courbe bien prononcée à l’extrémité nord de la structure. Ce contournement sera baptisé «courbe de la mort» et donnera rapidement le surnom de «pont croche» à la nouvelle construction. Évidemment, le litige entre la Ville et Hector Barsalou coûte cher, et oblige le législateur à changer la loi pour forcer, dans l’avenir, les expropriations lors de grands projets collectifs. Parlez-en aux gens de Mirabel, ils en savent quelque chose. Si vous êtes observateur, vous remarquerez que l’immeuble controversé existe toujours même s’il n’héberge plus l’usine à savon de Barsalou.

Le nouveau pont (alors à trois voies) est finalement ouvert à la circulation le 14 mai 1930. Il sera inauguré 10 jours plus tard. 

On voit ici l'usine de savon de l'homme d'affaires Hector Barsalou. Encore aujourd’hui, dans de très rares cas, la loi d’expropriation permet aux propriétaires de défier les expropriations.
On voit ici l'usine de savon de l'homme d'affaires Hector Barsalou. Encore aujourd’hui, dans de très rares cas, la loi d’expropriation permet aux propriétaires de défier les expropriations. Archives de la Ville de Montréal

Il a un nom, ce 3e lien montréalais

Au départ, le nom de l’infrastructure n’est pas clair. Durant sa construction, les Québécois ont pris l’habitude de l’appeler le pont de la rive sud, mais on peut aussi lire dans certains documents le pont des Commissaires. Toutefois, lors de son inauguration, le premier ministre du Canada William Lyon Mackenzie King le nomme le pont du Havre dans un discours prononcé au téléphone depuis son bureau à Ottawa. 

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Il faut attendre 1934, lors d’une célébration pour marquer le 400e anniversaire du premier voyage de Jacques Cartier au Canada (1534), pour qu’on rebaptise le pont en l’honneur du célèbre explorateur français. 

Buste en bronze de Jacques Cartier. Le romancier Henry Bordeaux offre un superbe buste pour souligner le 400e anniversaire de la découverte du Canada. Le don d’Henry Bordeaux au nom de sa patrie française marque le changement de nom officiel du pont jusque-là appelé pont du Havre, pour le nom du célèbre explorateur français ayant découvert le pays.
Buste en bronze de Jacques Cartier. Le romancier Henry Bordeaux offre un superbe buste pour souligner le 400e anniversaire de la découverte du Canada. Le don d’Henry Bordeaux au nom de sa patrie française marque le changement de nom officiel du pont jusque-là appelé pont du Havre, pour le nom du célèbre explorateur français ayant découvert le pays. Crédit PJCCI

Saviez-vous que, dès son ouverture, le pont est à péage? Le montant à payer pour le traverser varie. Un prix est fixé pour les véhicules à traction animale, les automobiles à moteur, les piétons et même pour les troupeaux d’animaux qui l’empruntent pour se rendre jusqu’aux abattoirs de l’est de l’île. Le péage n’est aboli qu’en 1962. 

En 1930, on devait payer pour traverser le pont. Les automobilistes doivent payer 25 cents pour traverser le fleuve, mais le péage n’est pas que pour eux. Les passagers d’une automobile, les cyclistes et les piétons payent 15 cents. Les enfants de moins de 5 ans traversent gratuitement.
En 1930, on devait payer pour traverser le pont. Les automobilistes doivent payer 25 cents pour traverser le fleuve, mais le péage n’est pas que pour eux. Les passagers d’une automobile, les cyclistes et les piétons payent 15 cents. Les enfants de moins de 5 ans traversent gratuitement. Crédit PJCCI

Le péage pour les animaux se situe entre 3 et 15 cents, et les véhicules tirés par une chèvre, 15 cents.
Le péage pour les animaux se situe entre 3 et 15 cents, et les véhicules tirés par une chèvre, 15 cents. Archives de la Ville de Montréal

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