Louis de Buade comte de Frontenac, un personnage impétueux, bouillant... et criblé de dettes

Martin Landry
Qui était ce Frontenac dont l’Hôtel Château le plus célèbre du Québec porte le nom? Quelle marque a-t-il laissée pour que ce personnage vive encore à travers notre patrimoine bâti?
Royaume de France
En 1661, le roi de France Louis XIV accède au trône. Il décide d’assumer ses pleins pouvoirs sans l’aide d’un premier ministre. De plus, il met en place une nouvelle structure de pouvoir en Nouvelle-France. Désormais, la colonie est sous son autorité et celle de son ministre de la Marine. Ils confient alors la gestion en Amérique à un gouverneur et à un intendant.
Cette gestion à deux têtes entre le gouverneur et l’intendant nécessite une étroite collaboration. Si la coopération est généralement cordiale, certains gouverneurs vont, du fait de leur caractère bouillant, entretenir des relations pour le moins tumultueuses avec leur intendant. C’est le cas du gouverneur Frontenac.

Louis de Buade comte de Frontenac et de Palluau
En 1672, avec le début de la guerre avec la Hollande, le roi Louis XIV délaisse quelque peu le développement de la Nouvelle-France. À cette même époque, deux administrateurs coloniaux compétents, Jean Talon et Daniel de Rémy de Courcelles, rentrent en France.
C’est dans cette période de changement que Louis de Buade comte de Frontenac et de Palluau devient le nouveau gouverneur général de la Nouvelle-France.
Frontenac, filleul de Louis XIII, est entré tout jeune au service du roi dans l’armée française. Il s’est marié à Anne de la Grange, fille d’une riche famille très près de la noblesse royale. Cependant, ce mariage ne l’a pas empêché d’être criblé de dettes puisqu’il aimait bien vivre au-dessus de ses moyens. Il était d’ailleurs poursuivi par de nombreux créanciers.
La solution à ses problèmes d’argent lui viendra du roi Louis XIV quand il le nommera gouverneur général de la Nouvelle-France en 1672. Ce poste en Amérique lui accorde une belle rente de 24 000 livres par année, et empêche surtout ses créanciers de saisir ses biens en France. En juin 1672, Frontenac laisse derrière lui sa femme, qui veille à ses intérêts en Europe, et fait voile vers la Nouvelle-France.

Première présence en Amérique
Sitôt débarqué à Québec, le caractère autoritaire du nouveau gouverneur ne prend pas beaucoup de temps à s’imposer. Frontenac déstabilise plusieurs marchands et de nombreux administrateurs coloniaux. Il brusque souvent son intendant Duchesneau et, rapidement, il se met à dos le puissant Mgr de Laval.
Il faut dire que pendant les trois premières années de son mandat, Frontenac se met le nez dans des responsabilités qui sont normalement sous l’autorité de l’intendant. Une petite bataille de coqs s’installe bien vite.
Une des sources de conflit est liée au commerce des fourrures. Par exemple, en 1673, Frontenac confie à Cavelier de La Salle la délicate mission de construire un fort au lac Ontario. Ce fort-là doit être stratégiquement positionné pour favoriser la croissance du commerce des fourrures. Cavelier de La Salle réussira sa mission en érigeant le fort Cataracoui (rapidement renommé fort Frontenac).

Pour avoir relevé le défi avec succès, La Salle obtiendra des lettres de noblesse du roi et le titre de seigneur de la région du fort en question (aujourd’hui, ce serait la région de Kingston en Ontario). Il semblerait que l’octroi de terres plus à l’ouest à Cavelier de La Salle aurait suscité du mécontentement chez les marchands de fourrures de Montréal.
Frontenac est aussi en discorde avec le clergé. On lui reproche son laxisme face à la vente d’eau-de-vie aux Autochtones. Mgr de Laval avait établi que les échanges impliquant de l’alcool étaient un péché mortel. Il menaçait de refuser les sacrements de l’Église aux personnes qui en vendaient aux Premières Nations. De son côté, Frontenac accusait l’évêque et les Jésuites de ne pas se mêler de leurs affaires.
En 1682, le roi est excédé par les plaintes contre Frontenac. Il le rappelle en France.
Affrontements violents
Pendant l’absence de Frontenac, la situation dans la colonie se détériore avec les membres de la Confédération iroquoise (Confédération haudenosaunee).
Il faut dire que la progression des Français dans l’Ouest depuis plusieurs années et les alliances avec des nations de ces régions-là provoquent la colère des Iroquois, qui se sentent de plus en plus encerclés par les Français.
Pour contrebalancer la progression de ces colons, les Iroquois se rapprochent des Anglais. Ces derniers n’hésitaient pas à leur offrir de meilleures conditions de traite.
C’est dans ce contexte qu’une lutte commerciale s’engage entre la Nouvelle-France, ses alliés et la colonie de New York, appuyée par les Iroquois. L’enjeu est l’exploitation des fourrures de l’Ouest de l’Amérique. Par exemple, à l’été 1684, une expédition française de 1600 hommes est dépêchée pour reprendre le contrôle de la région, mais les troupes françaises sont décimées par la maladie et le manque de vivres. Le gouverneur Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre est même obligé de se replier vers Montréal. À l’annonce de ce lamentable échec, le gouverneur est rappelé en France. Il est remplacé par un autre gouverneur, le marquis de Denonville.

Sitôt arrivé dans la colonie, Denonville a pour ordre de soumettre les Iroquois. Rapidement, en juillet 1687, il constitue une impressionnante armée de près de 3000 hommes dans laquelle on retrouve des soldats de la milice canadienne, des soldats des troupes régulières, des guerriers des Premières Nations et même quelques coureurs des bois. Cette armée-là marche en direction de l’ouest, vers le pays des Sénécas. Les membres de cette nation sont considérés comme les gardiens de la porte de l’Ouest, ils habitent la région de Buffalo aujourd’hui. Puis, il y aura des affrontements violents. Denonville va ordonner à ses hommes d’abattre le bétail, d’incendier les récoltes et de brûler des villages autochtones.
Durant ces manœuvres militaires, les Français vont capturer environ 80 prisonniers Onontagués. Les captifs sont transportés en France et envoyés aux galères. Cette punition des galères, qui s’apparente à de l’esclavage, va accroître la colère des autres membres de la confédération iroquoise.
Vengeance
Le 17 mai 1689, le roi Guillaume III d’Angleterre déclare la guerre au roi Louis XIV. Les dirigeants de la Nouvelle-Angleterre apprennent la nouvelle avant ceux de la Nouvelle-France. Étant donné qu’ils connaissent le désir de vengeance des guerriers iroquois, la Nouvelle-Angleterre fournit des barils de poudre à canon aux nations iroquoises et de l’équipement militaire.
Dans la nuit du 4 au 5 août, vers 4h du matin, au moment où un violent orage éclate, environ 1500 guerriers iroquois attaquent le village de Lachine. Ils incendient les habitations et leurs dépendances, tuent près de 24 personnes et ramènent une quarantaine de prisonniers. Ce massacre est une des grandes manifestations de la guerre franco-anglaise en Amérique.


Deuxième présence en Amérique
À la fin du 17e siècle, la guerre de la ligue d’Augsbourg qui oppose entre autres la France et la Grande-Bretagne fait rage en Europe. Ce contexte permet alors aux colonies ennemies de s’affronter plus ouvertement en Amérique pour s’assurer du monopole des pêches et du contrôle de la traite des fourrures.
La situation démographique en Amérique du Nord colonial ne favorise pas la Nouvelle-France, qui ne compte que 12 000 habitants contre au moins 200 000 dans les colonies anglaises. Devant la gravité de la menace, l’ancien gouverneur Frontenac va, à la demande du roi, reprendre du service en 1689.
Sitôt débarqué, il entreprend d’améliorer les fortifications coloniales et de renouer des alliances avec les Premières Nations alliées.
On comprend rapidement que l’objectif ultime de Frontenac est de semer la terreur sur le territoire de la Nouvelle-Angleterre. Il met sur pied trois terribles expéditions sous la forme d’attaques-surprises contre des villages ennemis. Ces raids militaires provoquent la panique dans la région de Boston, puis d’Albany. En réaction, les colons anglais vont s’unir et contre-attaquer les colons de la Nouvelle-France.
L’offensive terrestre des Anglais s’effectue en compagnie de leurs alliés iroquois, mais elle échoue lamentablement à cause d’une épidémie de variole qui fait environ 300 morts chez les Autochtones.

Phrase célèbre
À l’automne de 1690, une flotte dirigée par l’amiral Williams Phips part de Boston et s’empare rapidement de Port-Royal en Acadie. On constate par la suite qu’elle s’approche dangereusement de Québec. Le 16 octobre, les 34 navires de la flotte anglo-américaine et leurs 2000 hommes arrivent devant Québec. Le lendemain, l’amiral Phips envoie un émissaire muni d’un drapeau blanc. Amené les yeux bandés au château Saint-Louis, le messager ne demande rien de moins que la capitulation de la ville. La réponse de Frontenac, devenue célèbre, est bien claire:
«Je n’ai point de réponse à faire à votre général, que par la bouche de mes canons et à coups de fusil, qu’il apprenne que ce n’est pas de la sorte qu’on envoie sommer un homme comme moi.»
Un débarquement est repoussé à Beauport et le bombardement anglo-américain de la forteresse de Québec ne donne aucun résultat. Après quatre jours de combats, malgré les 1500 coups de canon tirés par la flotte anglaise, à bout de munitions, affectés par la maladie et le froid mordant, les Anglais lèvent le siège de Québec. Les troupes de l’amiral Phips rentrent alors en Nouvelle-Angleterre.
En 1696, une dernière expédition militaire de 2000 hommes est menée sous le commandement du vieux gouverneur Frontenac. Imaginez, il a 74 ans et se fait transporter en pleine forêt en chaise à porteurs.
Entre-temps en Europe, la guerre entre la France et l’Angleterre se conclut avec la signature du traité de Ryswick en 1697.

L’année suivante, en 1698, Frontenac meurt à l’âge, plus que vénérable pour l’époque, de 76 ans. Il ne verra pas la conclusion des négociations entreprises pour mettre fin au conflit avec les Iroquois.
Bien que moins querelleur au cours de son deuxième mandat, Frontenac a constamment outrepassé ses pouvoirs pour tirer un maximum de profit du commerce des fourrures. Il est même allé jusqu’à utiliser des fonds militaires pour s’enrichir. En fait, on peut penser que le gouverneur Frontenac aurait peut-être été destitué de ses fonctions s’il n’était pas mort.
Il faut retenir que l’eau-de-vie, mais aussi les casseroles, les vêtements de laine, les fusils et autres produits européens que les Français ont échangés contre les fourrures des Premières Nations ont facilité l’ouverture de la moitié du continent nord-américain aux Français. C’est dans ce contexte plutôt particulier que Louis de Buade, comte de Frontenac, gouverneur général de la Nouvelle-France, une des figures les plus turbulentes et les plus influentes en Nouvelle-France, a laissé sa marque dans l’histoire.