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Culture

Du Lac-Saint-Jean au Ballet national du Canada: le parcours extraordinaire du danseur étoile Guillaume Côté

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Alicia Bélanger-Bolduc

2025-08-07T10:00:00Z
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Reconnu comme l’un des meilleurs danseurs de sa génération, Guillaume Côté nous arrive tout droit du Lac-Saint-Jean, où ses parents lui ont transmis l’art du ballet... dans le sous-sol de l’église de sa communauté. À 11 ans, il quitte sa région natale pour s’installer à Toronto. Vingt-six ans plus tard, sa brillante carrière avec le Ballet national du Canada en tant que danseur étoile s’est conclue le 5 juin dernier. À 43 ans, il prend sa retraite de la scène, mais entend bien demeurer un acteur incontournable du milieu artistique.

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Guillaume, il y a maintenant quelques jours que tu as mis fin à ton parcours avec le Ballet national du Canada... Comment vas-tu?

Je me sens soulagé, mais j’ai quand même un gros deuil à faire. J’ai vécu une belle carrière de 26 ans, et je considère ce milieu comme ma famille et mon chez-moi. Par contre, je retrouve une certaine liberté que j’adore. Je suis heureux des possibilités qui se présentent à moi et du simple fait d’avoir plus de temps devant moi. J’ai vécu une très grosse année qui a été assez stressante. Je me sens super bien de finir ma carrière de danseur d’une aussi belle façon et de prendre enfin des vacances au Québec.

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Qu’est-ce qui a motivé ton départ?

C’était ma décision. Mais en ballet, on a une date d’expiration assez définie, comme c’est le cas pour tous les athlètes. Ce n’est pas quelque chose de dramatique, puisque je m’y attendais depuis un moment. Avec la rigueur physique extrême que me demandait mon sport, je savais que mes années étaient arrivées à leur fin. Quand j'ai eu 40 ans, la discussion s’est tranquillement enclenchée sur la façon dont j’allais dire au revoir. J’ai été chanceux, je n’ai pas été ralenti ni arrêté par une blessure. Je me sens très reconnaissant d’avoir pu faire mon métier aussi longtemps et de quitter selon mes propres termes.

Ramène-moi à cette journée du 5 juin dernier. Comment as-tu réagi à ton salut final?

J’étais étonnamment neutre dans les derniers moments, puisque j'étais tellement occupé avec les différents projets que je menais en parallèle. La soirée avant mon ultime spectacle, je suis resté seul dans le théâtre entièrement vide du Ballet national et j’ai complètement éclaté en larmes. Ça a enclenché un déferlement d’émotions. J’ai réalisé que ces moments ne reviendraient plus jamais. J’ai tout de même vécu une journée fantastique où mes amis de partout dans le monde, mes enfants et ma famille étaient présents. J’ai eu même droit à une ovation debout de neuf minutes! C’était très émouvant.

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D’où vient ton amour pour le ballet?

Là d’où je viens, deMétabetchouan-Lac-à-la-Croix au Lac-Saint-Jean, c’était peu commun comme sport. Mes parents ont décidé de partir une école de danse dans le sous-sol de l’église du coin avec leur amie et, comme je viens d’une grande famille, j’y étais avec mes cousins et cousines. Je ne savais pas qu’on pouvait devenir danseur professionnel jusqu’au moment où j’ai écouté White Nights avec Mikhaïl Baryshnikov. Ça a changé ma vie: je suis tombé en amour avec la danse, mais aussi avec l’idée de jouer un personnage sur scène. Je suis parti à l’âge de 11 ans étudier à Toronto où j’ai approfondi mon savoir de ce milieu, qui a continué à me fasciner davantage.

Venant d’un environnement où le ballet était peu populaire, l’as-tu perçu comme un frein ou un élément motivateur à ta carrière?

Ça aurait en effet pu m’arrêter, mais j’étais vraiment entouré d’une famille fabuleuse. Mes parents étaient d’excellents supporters. C’est en arrivant à un certain âge que j’ai compris que les autres garçons trouvaient bizarre ma passion pour la danse, mais comme je suis parti assez vite, ça ne m’a pas vraiment affecté. Je jouais aussi au hockey et j’étais tellement souple qu’on me mettait dans les buts, car je pouvais bloquer plus de rondelles en faisant le grand écart! (rires) J’espérais pouvoir servir d’exemple à d’autres jeunes afin de leur permettre de suivre leur passion, peu importe leurs intérêts.

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En 26 ans de carrière, quel a été le moment le plus marquant?

Je dirais que ce qui m’a le plus frappé, c’est quand j’ai dansé sur la scène du Bolchoï, en Russie. Surtout quand je pense que, avec ce qui se passe actuellement, je doute que je puisse y retourner un jour. J’ai eu la chance d’y performer, mais en plus, j'ai pu le faire en collaboration avec le plus grand chorégraphe au monde. Je n’oublierai jamais cette soirée. Sinon, ce qui est le plus important pour moi, c’est les moments de répétitions. En studio, on est une manufacture à magie et on crée vraiment quelque chose de surréel autour de nous. C’est à cet endroit qu’on passe le plus clair de notre temps et j’y ai de magnifiques souvenirs.

Qu'est-ce que tu aimerais que les gens comprennent de l’art du ballet, qui vient souvent avec beaucoup de préjugés?

C’est pour cette raison que j’ai créé ma compagnie, Côté Danse. Je suis fier de dire que, pour moi, le ballet est plus qu’une forme de danse. Ce n’est pas juste des codes, de la rigidité et un public élitiste. Maintenant, on se démocratise davantage avec une diversité plus ouverte; que ça soit avec de nouvelles voix, des styles et des gens différents. Je suis vraiment excité de voir le ballet se transformer et y mixer de la danse plus contemporaine et une énergie plus éclatée. C’est sûr qu’il y a toujours certaines personnes qui sont des puristes, mais je ne suis pas le seul qui désire faire évoluer notre art et le rendre encore plus accessible.

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Il est clair que le ballet vient aussi avec beaucoup de sacrifices, autant sur le plan du corps que sur le plan de la vie personnelle. Constates-tu les efforts que tu as mis dans ta carrière?

Il y a eu beaucoup de moments où j’ai voulu tout lâcher, retourner dans ma ville natale et me trouver un métier bien plus facile. Un des plus gros sacrifices pour moi a été de quitter ma famille. Je me sentais souvent très seul; il a fallu que je me reconstruise un réseau. Par contre, j’aimais beaucoup le mode de vie qu’il faut adopter quand on choisit ce métier: il faut être actif, bien manger et ne pas consommer. Par ailleurs, on ne peut pas faire ce métier pour les applaudissements et la scène, puisqu’on passe 97 % de notre temps à répéter et à travailler dans l’ombre. Je me rends compte aujourd’hui que le ballet est vraiment une bulle très étanche. On est complètement submergé par notre passion. Maintenant que j’en sors, je réalise un peu plus les efforts que j’y ai mis. Je ne l’ai pas fait avec de la rancune, mais un plaisir immense.

Bruno Petrozza / TVA Publications
Bruno Petrozza / TVA Publications

Bruno Petrozza / TVA Publications
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Toute ta carrière s’est déroulée au Canada. Était-ce un choix conscient?

J’aurais très bien pu partir ailleurs. J’ai été invité à rejoindre plusieurs compagnies à l’international, mais j’ai toujours voulu rester ici. On retrouve un très beau potentiel et une évolution positive au Canada. J’ai eu une directrice fantastique, Karen Kain, qui me donnait la liberté de voyager à travers le monde et de revenir à la maison. J’admire Yannick Nézet-Séguin qui, par sa jeunesse et son énergie, démocratise la musique classique d’une façon magnifique. J’ose espérer insuffler un peu de cet amour à mon tour.

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Tu as deux enfants qui doivent avoir aussi hâte de passer plus de temps avec leur père!

Mes deux minous, Emma et Léo, sont très importants pour moi. Leur mère, qui est aussi danseuse de ballet, habite toujours à Toronto. Donc, je voyage entre les deux. Même si je suis à la retraite, j’ai une vie active, et ils ont été habitués à une certaine flexibilité. C’est très rare en tant que danseur qu’on prenne de longues pauses. On dit qu’après une journée de congé, il faut deux jours de travail pour tout reprendre. Je ne pouvais pas me permettre de prendre une semaine de vacances, puis de revenir et devoir investir un mois d’efforts acharnés. En ce moment, je me suis autorisé un mois et demi entre mes différentes activités; et je passe ces jours avec mes enfants, qui ont maintenant 10 et 8 ans respectivement.

Comme ils ont été élevés avec deux amateurs de ballet, est-ce que la passion s’est transmise?

Bizarrement, ils sont assez blasés face à tout ça! (rires) Ils ont grandi à l’arrière-scène avec nous, à voir leurs parents danser ensemble devant des milliers de personnes, et c’est devenu normal pour eux! Ma fille adore la gymnastique, et mon garçon est plus dans la lecture, les mathématiques et le soccer. Pour le moment, ils en ont trop vu et ils sont devenus un peu trop critiques! (rires)

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Tu es maintenant en couple avec la chanteuse Sophie Vaillancourt... Comment va votre relation?

Nous sommes ensemble depuis quelques années, et ça va très bien. On partage notre temps entre Blainville, où elle habite, et Toronto. On s’est rencontrés au Festival d’art de Saint-Sauveur, pour lequel je suis toujours le directeur artistique.

Avec cette retraite, qu’est-ce qui t’attend pour la suite?

Je veux redonner à l’industrie de plusieurs façons. J’adore être le directeur de ce festival et de Côté Danse, puisque ça me donne la liberté d’exposer tout style d’art. Ça me donne aussi l’opportunité de commissionner de nouvelles pièces de créateurs québécois. Je viens de présenter Hamlet, en collaboration avec Robert Lepage, et nous avons fait salle comble pendant deux semaines. Je veux vraiment collaborer à nouveau avec lui; certains projets sont d’ailleurs déjà en branle. J’aime également le côté business. J’espère continuer à me développer et un jour à prendre la direction d’une grosse compagnie. Cette année, je me forme justement dans ce domaine afin d’approfondir mes compétences.

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