Cynthia Wu-Maheux dans un rôle inspiré de Kim Thúy
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Marjolaine Simard
Alors qu’elle s’apprête à amorcer le tournage de la deuxième saison de Mea Culpa cet automne, Cynthia Wu-Maheux se prépare également à monter sur les planches du TNM. En effet, la comédienne sillonnera bientôt les villes du Québec dans le cadre des Sorties du TNM pour la pièce Ấm, une œuvre de Kim Thúy inspirée de son propre parcours. En incarnant Ành, une Vietnamienne ayant fui son pays, la comédienne sino-québécoise s’est reconnectée à ses racines asiatiques, revisitant avec émotion l’histoire de ses grands-parents, eux aussi marqués par l’exil et la résilience. Une aventure artistique et humaine qui célèbre la richesse de son double héritage.
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Cynthia, tu incarnes Ành dans la pièce Ấm, dont la mise en scène est assurée par Lorraine Pintal. De quoi parle cette œuvre?
La pièce met en lumière la réalité des Vietnamiens qui ont fui leur pays par bateau — les boat people — à travers le regard d’Ành, une Vietnamienne tombée amoureuse de Jacques, un Québécois interprété par Jean-Philippe Perras. On y découvre des fragments de vie d’un couple interculturel; leurs rapprochements, leurs frictions, leurs découvertes. Pour bien transmettre cette histoire, je me sens investie d’une responsabilité: comprendre les enjeux spirituels et émotionnels de cette communauté, afin de rendre hommage à sa beauté.
Quels défis ce couple doit-il surmonter?
Ils n'ont pas tous les codes pour se comprendre d’emblée. Mais chaque rencontre les transforme. Ce sont deux personnes qui apprennent ensemble, qui grandissent à travers les différences. Et puis, il y a leur fils, un enfant autiste, incarné avec une grande sensibilité par le danseur vietnamien Jimmy Trieu Phong Chung. Cette relation ajoute une autre couche de vulnérabilité et de beauté à leur dynamique familiale. À la fin, c’est un «nous» qui se dessine.
Tu as eu une rencontre marquante avec Kim Thúy avant même de savoir que tu jouerais Ành...
Oui! J’ai été invitée à l’émission À la table de Kim. J’ai goûté à la cuisine de sa mère, rencontré son fils autiste allongé dans un hamac. J’ai découvert son jardin, ses fleurs, ses parfums... Ce moment m’a bouleversée. Ç'a déclenché une connexion profonde avec l’histoire de mes parents et de mes grands-parents. C’est là que j’ai compris à quel point ces récits familiaux sont essentiels.
As-tu fait beaucoup de recherches sur l’immigration asiatique pour mieux comprendre ton personnage?
Je suis tombée sur un site du gouvernement intitulé Événements marquants des communautés asiatiques au Canada, qui retrace l’histoire de l’arrivée des Asiatiques ici. C’est bouleversant. Ce n’est pas enseigné à l’école, mais ça devrait l’être. J’y ai appris à quel point ces communautés ont contribué au pays. Et ça m’a permis de mieux comprendre mes propres racines. Notre culture québécoise est empreinte de curiosité et d’amour: si on se donne les moyens, on peut mieux comprendre d’où l’on vient.
Comment t’es-tu imprégnée de la culture vietnamienne pour ton rôle?
J’ai eu plusieurs rencontres avec Kim Thúy, et j’ai beaucoup échangé avec mes amis sino-vietnamiens. J'ai aussi tissé un lien précieux avec Jimmy Trieu Phong Chung, qui incarne mon fils, et grâce à lui, j’ai pu mieux comprendre certains aspects de sa culture. Et puis, cette culture-là, je l’ai côtoyée très jeune, grâce à un oncle de cœur vietnamien.
Qui était-il?
Van Tai Tran Tran a travaillé pendant 25 ans dans le restaurant chinois de mes parents, à Trois-Rivières, avant d’ouvrir le sien avec ses frères. Il jouait à la cachette avec moi sous les nappes blanches, et chaque Nouvel An, nos familles partageaient un festin chinois-vietnamien. Grâce à lui, j’ai grandi avec cette culture dans le cœur. Et depuis que je travaille sur Ấm, des familles vietnamiennes m’abordent et je leur parle de la pièce. Souvent, elles se mettent à me raconter leur histoire. Ça me touche profondément. Ces récits sont encore peu connus, et je sens à quel point les gens sont heureux qu’ils soient enfin racontés sur scène.
Tu es toi-même la fille d’un couple mixte...
Le parcours de Kim Thúy, que raconte la pièce, ressemble à celui de ma famille. Ma mère a des parents d’origine chinoise et mon père est Québécois. Je suis le fruit de cette rencontre entre deux cultures. Et en creusant le récit d'Ấm, j’ai pensé à mes grands-parents, qui eux aussi ont fui un régime oppressif pour survivre. C'est sûr que de me plonger dans le parcours des immigrants asiatiques me bouleverse. Ça me donne le vertige, car ça touche des cordes qui se révèlent plus sensibles que je pensais.
Enfant, comment vivais-tu ce double héritage?
À l’école, j’apportais de la nourriture différente de mes amis. J’étais très québécoise... et très chinoise à la fois. C’était compartimenté. Aujourd’hui encore, je sens parfois que je suis l’un ou l’autre.
Tu partages la scène avec Jean-Philippe Perras. Avez-vous développé une belle complicité?
Oui, vraiment. Jean-Philippe est un acteur très généreux. On s’est déjà croisés sur d’autres projets, mais surtout en groupe. Là, on se découvre autrement. On crée ensemble, on apprend l’un de l’autre. C’est fluide et respectueux.
Peux-tu nous parler du lien fort que tu entretiens avec le quartier chinois de Montréal?
Même si on vivait à Trois-Rivières, ma mère s’y rendait fréquemment pour les commissions du restaurant. Je l’accompagnais pour aller chercher des caisses de sauce soya, de biscuits... On allait manger chez Fleurs et cadeaux, qui existe encore, mais qui a bien changé. À l’époque, il y avait un fleuriste et un petit bazar plein d’objets à l'arrière: éventails, autocollants, gadgets... Une vraie caverne d’Ali Baba! Et j’avais le droit de choisir un petit cadeau. C’était comme notre petit voyage, notre moment mère-fille.
Ta famille semble avoir profondément marqué sa communauté...
Oui. Malgré le déracinement, ils ne se sont pas isolés. Au contraire, ils ont bâti des ponts. À Trois-Rivières, ils ont engagé des gens de quartiers défavorisés, offert des emplois à ceux qui avaient besoin d’un coup de main. Mon grand-père croyait à la reconstruction par la communauté. On célébrait ensemble, peu importe les origines. C’est aussi ça que la pièce exprime: cette idée qu’on forme tous une seule et même famille.
As-tu conservé ce besoin de communauté dans ta vie adulte?
Oui. Dans ma ruelle, on a une vraie vie de quartier. On organise des épluchettes, des fêtes. Il y a des familles d’Amérique latine, d’Afrique, des Autochtones, des Québécois. C’est tissé serré, multiculturel et vivant.
Comment tes parents ont-ils réagi à ton désir de devenir comédienne?
Avec beaucoup d’ouverture. Mon père jouait du saxophone, ma mère de la clarinette. Ils avaient la fibre artistique. À 10 ans, j’ai dit: «Je veux être comédienne», et ils m’ont soutenue à 100 %. J’ai suivi des cours, participé à toutes les pièces possibles. Puis à 20 ans, je suis partie en Biélorussie pour étudier le théâtre à Minsk et la méthode Stanislavski. J’étais la première étrangère. J’ai ouvert la voie à d’autres Québécois pour ce programme.
Tu es aussi allée au cœur de la culture québécoise en jouant dans la pièce Janette, l'œuvre sur la vie de Janette Bertrand...
Et c’était un privilège! J’y tenais plusieurs rôles, dont celui de sa mère en 1925, et même celui de Pierre Péladeau! Janette est une pionnière. Elle a accompagné l’évolution sociale du Québec avec tant de douceur et de fermeté. C’est impressionnant tout ce qu’elle a fait, sans jamais hausser le ton.
Et ton personnage revient-il dans la nouvelle saison de Mea Culpa?
Oui! On tourne d’octobre à janvier. Je n’ai pas encore reçu les textes, mais Lysanne était à un point tournant dans la saison précédente. Elle commençait à respirer, à sortir de sa douleur. Sa carapace cache une immense tristesse, qui commence à émerger. J’ai hâte d’en savoir plus ce qui l’attend.