10 ans depuis la tragédie de Lac-Mégantic
Jean-François Desbiens | TVA Nouvelles
Il y a 10 ans, 47 personnes perdaient la vie dans la tragédie de Lac-Mégantic alors qu'un train qui transportait du pétrole a déraillé en plein centre-ville.
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Voici le récapitulatif des événements:
1h14, en début de nuit le 6 juillet 2013, le réveil est brutal pour les citoyens de Lac-Mégantic.
Un train de 72 citernes remplies de pétrole, parti à la dérive, sans conducteur à bord, déraille en plein cœur du centre-ville, provoquant une série de violentes explosions.
La scène est apocalyptique.
«Allez-y avec toute la générale, feu majeur ici au centre-ville de Lac-Mégantic.»
À l'écoute des échanges radio entre le directeur du service incendie Denis Lauzon et la répartitrice de la centrale d'urgence, on sent à quel point l'ampleur de la situation était insoupçonnée.
«C'est notre cocktail de trains, oh tabarnouche. On va avoir besoin des échelles de la ville de Sherbrooke, Saint-Georges, Victoriaville sur place avec Lambton s'il vous plaît.»... Les renforts des municipalités avoisinantes ne sont pas suffisants.
Des personnes réussissent à échapper au brasier...
C'est le cas d'un jeune couple, Marie-Josée Rodrigue et Louis-Charles Lacroix qui habitait en face du Musi-Café.
«On a vu le feu qui se propageait entre les bâtiments, j'ai ramassé des vêtements pour m'habiller et je l'ai traînée (en parlant de sa conjointe enceinte) pour qu'on puisse se sauver», avait déclaré à l'époque le jeune homme de 26 ans.
En cette nuit chaude d'été, malheureusement, la trentaine de personnes entassées pour faire la fête dans le Musi-Café n'ont pas eu la même chance.
Les flammes se propagent à une vitesse folle, détruisent sur leur passage une trentaine d'immeubles.
Dans les heures qui suivent, des gens observent à distance la scène, atterrés, angoissés.
Les yeux rougis, plusieurs attendent désespérément des nouvelles d'un proche disparu.
«On est chez nous, dans sa chambre, on l'attend, on l'espère», avait mentionné l'après du 6 juillet 2013, Christine Poulin, la mère d'Élodie Turcotte, 18 ans, qui travaillait au Musi-Café.
La tragédie fait en tout 47 victimes.
En fin de journée, le 6 juillet, après avoir survolé la zone dévastée, la première ministre du Québec, Pauline Marois vient s'enquérir de la situation et offrir son soutien à la mairesse, Colette Roy-Laroche.
Son gouvernement débloquera 60 M$ en aide directe à la Ville et ses quelque 2000 citoyens évacués de la zone rouge.
Pendant ce temps sur la vaste scène, deux enquêtes s'enclenchent pour faire la lumière sur les tragiques événements.
- Écoutez l'entrevue avec Jean Clusiault, père de Kathy, emportée par l’explosion à Lac-Mégantic alors qu’elle avait 24 ans à l’émission de Marie Montpetit via QUB radio :
Celle du Bureau de la sécurité des Transports du Canada afin de trouver la cause et une autre criminelle par la Sûreté du Québec.
Le grand patron de la Montreal Maine et Atlantic Railway (MMA) entreprise ferroviaire impliquée dans la catastrophe, attendra quatre jours avant de se présenter sur les lieux du drame.
Accueilli par une pluie d'insultes, Edward Bukhardt est clairement devenu l'ennemi numéro 1 de la population endeuillée.
Trois semaines après le déraillement (27 juillet 2013), l'heure est au recueillement.
Une messe est célébrée en l'Église Sainte-Agnès en hommage aux 47 personnes disparues. Les familles éprouvées défilent sous une haie d'honneur formée de pompiers et policiers.
Un écran géant a été installé à l'extérieur pour permettre aux quelques centaines de personnes n'ayant pas eu accès à l'église de suivre la cérémonie empreinte d'une grande tristesse.
Le 1er août 2013, la Sûreté du Québec met fin aux recherches sur la scène.
Les corps de 42 personnes ont été retrouvés, 38 d'entre elles formellement identifiées par le bureau du coroner.
« C'est difficile pour nous aussi les policiers. Des parents nous ont suppliés de ne pas partir avant d'avoir trouvé leur fils, mais tout ce qu’il était humainement possible de faire a malheureusement été fait » avait mentionné à l'époque aux journalistes, l'inspecteur Michel Forget de la SQ.
Neuf mois plus tard (13 mai 2014), trois employés de la MMA sont arrêtés.
Menottes aux poignets, le mécanicien de locomotive Thomas Harding, le contrôleur de la circulation ferroviaire, Richard Labrie et Jean Demaître, directeur de l'exploitation au Québec pour la MMA défilent devant de nombreux citoyens qui ont des sentiments partagés à leur endroit:
« Je voulais voir le visage de ceux qui n'ont pas fait leur boulot comme il se doit » avait réagi au moment de la comparution des trois hommes, Raymond Lafontaine qui venait de perdre plusieurs membres de sa famille dans cette tragédie.
Ils sont formellement accusés de négligence criminelle causant la mort de 47 personnes.
Août 2014, le BST dévoile les conclusions de son enquête: on y soulève la faible culture de la sécurité à la MMA et le fait qu'un nombre «nettement insuffisant» de freins à main avait été appliqué pour sécuriser le train lors de son immobilisation au haut de la pente à Nantes:
«L'entreprise tourne les coins ronds plutôt que d'investir dans la formation de ses employés et l'entretien de ses infrastructures», avait déclaré Jean Laporte, administrateur en chef des opérations du BST à ce moment.
Plus de 6 millions de litres de pétrole brut se sont déversés à la suite de ce déraillement, les travaux de décontamination aux coûts de 105 M$ s'étalent sur plus deux ans pour prendre fin en octobre 2015.
Janvier 2018, au terme d'un procès de 41 jours, les jurés acquittent les trois employés de la MMA, ne leur reconnaissant aucune responsabilité criminelle.
«Ç'a été dur, ç'a été long... Maintenant c'est terminé», avait déclaré Richard Labrie à sa sortie de la salle d'audience, tout en soulignant la résilience des gens de Lac-Mégantic et leur appui moral tout au long des procédures.
En mai 2018, Justin Trudeau et Philippe Couillard confirment une entente pour la construction d'une voie de contournement afin de sortir le train du centre-ville.
Cinq ans plus tard, cette voie est plus que jamais un sujet de discorde.
«Cette voie-là n'est pas faite pour aider au rétablissement social, elle est là pour faire un cadeau au Canadien Pacifique de plus d'un milliard de dollars», martèle le maire de Frontenac, Gaby Gendron.
Des propriétaires du secteur où doit passer la voie ferrée, qui verront leur terre être coupée en deux, contestent les expropriations devant la Cour fédérale.
Certains qualifient le projet de seconde tragédie alors qu'il avait pour objectif d'assurer la paix et le bonheur collectif de toute une population.