Vouvoiement bientôt obligatoire à l’école: ça ne sert à rien, disent des expertes


Anne-Sophie Poiré
Est-ce que le vouvoiement est encore une marque de respect au Québec? C’est ce que croit Bernard Drainville, a souhaite rendre la pratique obligatoire pour les élèves pour augmenter le civisme et le respect à l’école. Des expertes ne sont pas de son avis.
• À lire aussi: Un enfant issu d’un trouple peut légalement avoir plus de deux parents, tranche la Cour supérieure
• À lire aussi: Cellulaires interdits dans les écoles: «Il est aussi très important d'éduquer le numérique», nuance un directeur scolaire
«Le respect ne tient pas au vouvoiement. Et je ne pense pas que les enseignants ont besoin d’une règle de plus à faire respecter dans leur classe», a lancé la professeure et chercheuse en didactique à l’UQAM, Mélanie Dumouchel, en entrevue à 24 heures en août 2024.
«Est-ce que je crois que le vouvoiement peut augmenter le respect à l’école? Pas du tout. Il y a d’autres mesures qui devraient d’abord être envisagées», a quant à elle affirmé la doctorante en sociolinguistique à l’Université de Montréal, Alexandra Dupuy.
En plus d’instaurer le vouvoiement, la mesure du ministre de l’Éducation Bernard Drainville obligera les élèves de toutes les écoles à s’adresser aux adultes et au personnel scolaire en utilisant les termes «Monsieur» ou «Madame», dès janvier 2026.

Le vouvoiement est actuellement laissé à la discrétion des établissements d’enseignement.
La proposition avait d’abord été évoquée en août dernier par la Commission de la Relève de la Coalition avenir Québec (CAQ), qui affirmait vouloir ramener une «culture du civisme» à l’école.
Redonner du pouvoir aux profs
Aurélie Diep, présidente des jeunes militants de la CAQ et étudiante au baccalauréat en enseignement du primaire, a dit avoir elle-même observé l’impolitesse des élèves envers les professeurs au cours de ses stages.
«On veut donner un coup de barre pour ramener une certaine discipline dans les classes. C’est vraiment plus difficile d’envoyer promener quelqu’un au “vous”», a-t-elle signalé.
Sans prétendre que le vouvoiement pourrait à lui seul ramener le civisme à l’école, Mme Diep a estimé que l’imposer permettrait de «marquer l’autorité» en créant une certaine distance entre les élèves et le personnel scolaire.
«Je crois que les professeurs ont déjà le pouvoir et le professionnalisme nécessaires pour instaurer le respect dans leur classe», a fait valoir Mélanie Dumouchel.
«C’est une idée préconçue, galvaudée, que de penser que le vouvoiement est associé au civisme. C’est une règle de bienséance qui n’est pas garante du respect qu’on accorde à un professeur. On peut tutoyer et être très respectueux.»
Aucune étude spécifique n’atteste que le vouvoiement installerait le respect dans les classes du primaire et du secondaire, a d'ailleurs reconnu la présidente de la Commission de la Relève de la CAQ, en août dernier.
La distance du «vous»
Le vouvoiement est-il réellement une marque de respect au Québec?
«D’une perspective de convention sociale en français, on sait que le vouvoiement est un indicateur de respect et de reconnaissance de l’autorité. Mais les mots ont l’importance qu’on leur accorde», a souligné Mme Dupuy.
Depuis la Révolution tranquille dans les années 1960, le tutoiement a pris la place du vouvoiement dans la société et les familles québécoises.
«Même [les croyants et pratiquants de] la religion catholique se sont mis à tutoyer Dieu», expliquait au journal Métro en 2021 la sociolinguiste et professeure au Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, Julie Auger.
Par ailleurs, si le «vous» envoie un message de politesse, il installe également une distance qui n’incite pas nécessairement au respect. À preuve, certaines personnes sont parfois offensées d’être vouvoyées.