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L'article provient de TVA Nouvelles
Société

Un enfant issu d’un trouple peut légalement avoir plus de deux parents, tranche la Cour supérieure

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Photo portrait de Yannick Beaudoin

Yannick Beaudoin

2025-04-30T20:27:37Z
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Un enfant québécois pourra avoir plus de deux parents d’ici un an, a tranché la Cour supérieure dans un jugement rendu le 25 avril dernier.

Il est inconstitutionnel d’interdire à un enfant issu d’un trouple, ou d’un autre modèle de famille multiparentale, d’avoir légalement plus de deux parents, a conclu le juge Andres C. Garin dans sa décision expliquée dans un document d’une centaine de pages.

Le magistrat s’est rangé derrière la position des demandeurs, qui estiment que le droit civil québécois limite de façon injustifiée la filiation légale à deux liens de parenté, ce qui porte atteinte au droit à l’égalité prévu dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Le juge a donc déclaré invalides plusieurs articles du Code civil du Québec aux termes de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Il accorde une période de 12 mois au gouvernement du Québec pour modifier son Code civil afin de permettre aux adultes membres d’une famille multiparentale d’être reconnus juridiquement en tant que parents des enfants issus de leur relation.

«La limite de deux liens de filiation transmet aux familles pluriparentales et à la société en général le message que seules les familles dites "normales", avec un maximum de deux parents, représentent des structures familiales valides et dignes de reconnaissance juridique. Ce message renforce et perpétue le désavantage subi par ceux et celles qui évoluent dans un modèle familial non traditionnel. En définitive, la différence de traitement est discriminatoire et porte atteinte au droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne», explique le juge Garin.

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Ce dernier a accueilli favorablement la preuve voulant qu’une telle limite impose un stress aux parents choisissant un modèle familial pluriparental.

«Ce stress survient notamment à l’occasion d’interactions avec des institutions et avec l’État. Il est plus ressenti en lien avec le risque que les parents non reconnus ne puissent participer à des décisions qui relèvent de l’exercice de l’autorité parentale — en particulier celles qui concernent la santé de l’enfant», indique le magistrat.

«La preuve prépondérante révèle également que ceux qui adoptent un modèle familial pluriparental subissent des micro‐agressions. Avec le temps, celles‐ci peuvent sans doute devenir épuisantes. Les personnes qui évoluent dans un modèle familial s’écartant de la norme biparentale sont donc poussées à élaborer des stratégies afin de ne pas avoir à s’expliquer constamment et à répétition», ajoute-t-il.

Empêcher aux membres d’une relation multiparentale d’être tous reconnus également en tant que parents des enfants de leur famille cause également «un désavantage économique, une exclusion sociojuridique et un préjudice psychologique et identitaire», peut-on lire dans le jugement.

En plus de la Coalition des familles LGBT+, la partie demanderesse compte trois familles pluriparentales qui ont fait valoir leurs arguments et leur réalité devant le Tribunal.

Première famille

La première famille est constituée de deux femmes et un homme; il s’agissait initialement d’un couple hétérosexuel, Monsieur D* et Madame M*, tous deux membres des Forces armées canadiennes, à qui s’est ajoutée une deuxième femme, Madame P*, avec qui Madame M. est tombée amoureuse après une rencontre en mission au Koweït. Les deux femmes ont ensuite entamé une relation amoureuse à trois avec Monsieur D.

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Le couple initial avait déjà des enfants, mais Madame P. a exprimé le souhait de devenir mère, ce qui a conduit à ce qu’elle tombe enceinte de Monsieur D, avec l’accord des trois membres de l’union.

Tous les trois agissent désormais comme parents de l’enfant, bien que le certificat de naissance n’identifie que Madame P. comme parent.

Deuxième famille

La deuxième famille est issue d’un couple de femmes lesbiennes, Madame Pa* et Madame J* qui souhaitaient chacune avoir un enfant et voulaient que leurs enfants aient un lien biologique.

Elles ont donc approché Monsieur Je*, un ami d’enfance du frère de madame Pa, qui souhaitait, à l’âge de 40 ans, avait exprimé le souhait de devenir parent.

Les trois adultes ont ensuite décidé de former une famille à trois avec comme projet que Madame Pa et Madame J portent chacune un enfant dont Monsieur Je serait le père.

Madame Pa est tombée enceinte et a donné naissance à un enfant, mais les tentatives de fécondation de Madame J n’ont pas fonctionné.

Sur le certificat de naissance de l’enfant porté par Madame Pa, celle-ci est identifiée comme la mère et Monsieur Je comme père, mais les trois adultes exercent le rôle de parent de cet enfant, encore à ce jour, bien que Madame Pa et Madame J ne forment plus un couple depuis plusieurs années.

Troisième famille

La troisième famille est pour sa part constituée d’un couple hétérosexuel, Monsieur Mi* et Madame L* et d’une amie de longue date de Madame L, Madame A*.

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À la suite d’un diagnostic de leucémie reçu par Madame L, celle-ci s’est fait prélever des ovules en clinique de fertilité avant d’entamer ses traitements. Des embryons ont alors été formés avec le sperme de Monsieur Mi, puis congelés.

Quelques années plus tard, Madame L, Monsieur Mi et Madame A ont décidé de former une famille à trois. Madame A est éventuellement tombée enceinte de Monsieur Mi et a donné naissance à un garçon.

En parallèle, Madame L et Monsieur Mi ont trouvé une mère porteuse en Sasktachewan pour porter à terme l’un de leurs embryons.

L’enfant a fait l’objet d’un premier certificat de naissance, saskatchewanais, puis d’un second, québécois. Sur le document québécois, Madame L est identifiée en tant que mère alors que Monsieur Mi est identifié comme père.

Aujourd’hui, les trois adultes élèvent les deux enfants à parts égales.

Préjudices pour l’enfant et les parents d’une famille pluriparentale en fonction du Code civil actuel, selon le jugement rendu

- «Le fait qu’il ne peut établir de lien de filiation signifie qu’en principe, il ne peut réclamer une pension alimentaire du parent non reconnu. De plus, si ce parent décède [sans laisser de dispositions testamentaires], l’enfant ne sera pas un successible. En somme, la limite de deux liens de filiation prive l’enfant d’avantages économiques potentiels à l’égard du parent non reconnu».

- «Le parent non reconnu n’a aucun droit en ce qui concerne la garde de son enfant. Il n’a aucun droit de participer aux décisions fondamentales concernant l’éducation, la religion, les activités, les déplacements ou même la résidence de l’enfant. Il n’a pas non plus le droit de participer aux décisions concernant le consentement aux soins médicaux pour l’enfant».

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- «Même en l’absence de tout conflit entre les parents, celui dont la filiation n’est pas reconnue se trouve dans une situation précaire dans ses interactions avec des tiers en lien avec son enfant. Ces derniers, y compris notamment des institutions publiques en matière d’éducation ou de santé, des employeurs ou des assureurs, peuvent bien ne pas reconnaître l’existence de la relation avec l’enfant, ce qui n’est pas sans conséquence pour l’enfant ou pour le parent. Par exemple, on peut s’interroger sur la capacité du parent non reconnu à intervenir auprès des tiers en cas d’urgence et à poser des gestes dans l’intérêt de son enfant. Pourra-t-il recueillir son enfant à l’école en cas de maladie? Pourra-t-il l’amener à des rendez-vous médicaux? Pourra-t-il profiter d’un congé parental pour s’en occuper? L’enfant pourra-t-il profiter des assurances dentaires et de santé du parent? En l’absence d’un lien de filiation reconnu, la possibilité d’une réponse négative à ces questions ne peut être écartée».

- «En cas de conflit avec les parents dont la filiation est reconnue, la situation juridique du parent non reconnu est précaire. Il peut même se trouver à risque d’être exclu de la vie de son enfant. En raison de cette vulnérabilité juridique, la relation de l’enfant avec son parent non reconnu est fragilisée, ce qui ne saurait être dans l’intérêt de l’enfant».

*Les noms des membres des trois familles sont fictifs, puisque leur identité respective est protégée par une interdiction de divulgation.

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