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L'article provient de Le Journal de Québec
Société

Vous savez, au Québec, l’école n’a pas toujours été obligatoire!

Classe d'enseignement ménager, 1947
Classe d'enseignement ménager, 1947 BAnQ Québec, Fonds Ministère de la Culture et des Communications, (03Q,E6,S7,SS1,P35957), Olivier Desjardins.
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Photo portrait de Martin Landry

Martin Landry

2023-08-27T04:00:00Z
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Cette semaine, c’est la rentrée des classes. Les grandes vacances pour la jeunesse québécoise de 6 à 16 ans sont bel et bien terminées. Les élèves doivent «obligatoirement» retourner sur les bancs d’école. Cette obligation s’est pourtant imposée très tardivement dans un système scolaire qui a pris plus de 300 ans à se dessiner.

S'instruire en Nouvelle-France

Le Collège des Jésuites, la première école de la colonie, ouvre ses portes en 1635 dans la ville de Québec. Il est l’ancêtre des institutions scolaires en Amérique du Nord. Le Collège constituait une force d’attraction pour amener de nouvelles familles à s’établir dans la colonie. On y apprend le latin, le grec, la philosophie, les auteurs classiques, la religion et la rhétorique. 

Le collège et l’église des Jésuites à la Conquête
Le collège et l’église des Jésuites à la Conquête Gravure de Richard Short, 1761, Archives de la Ville de Québec, N016369.

Parallèlement, les Ursulines mettent sur pied en 1639, toujours à Québec, une institution d’enseignement pour jeunes filles. 

Du côté de Montréal, il faut attendre 1658 pour voir Marguerite Bourgeoys ouvrir dans une modeste étable désaffectée la première école de Ville-Marie. On y offre un enseignement bien rudimentaire à une poignée d’enfants. Par la suite, en 1666 puis en 1694, les Sulpiciens et les frères Charon fondent des institutions de niveau élémentaire.

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Durant toute l’époque coloniale française, les autorités politiques ne structurent pas de système d’éducation. Ce sont plutôt les communautés religieuses qui le prennent en charge. Le roi interdisait même les presses à imprimer, ainsi aucun livre n’a été édité ici pendant tout le régime français, ce qui n’encourage en rien le développement littéraire en terre d’Amérique française.

En campagne, aux premières heures de la colonisation, ce sont bien souvent les curés qui assurent l’instruction des enfants. D’ailleurs, l’objectif premier de l’école élémentaire de l’époque est de former de bons catholiques aux mœurs exemplaires.

Les jeunes ne sont absolument pas obligés de fréquenter l’école, mais la majorité des parents souhaitent que leurs enfants possèdent une instruction de base. Cependant, toutes les raisons sont bonnes pour manquer les cours: ramassage du bois pour l’hiver, trop de neige, froid mordant, semences des céréales au printemps, récoltes à l’automne, guerres, etc. 

Règle générale, les élèves ne passent pas plus de deux ans sur les bancs d’école. C’est bien rare de voir un jeune de plus de 10 ans en classe. 

Idola Grenier, première institutrice au Breeches, pose avec ses élèves en 1910.
Idola Grenier, première institutrice au Breeches, pose avec ses élèves en 1910. Photo gracieuseté Société Historique de Disraeli

Une fois qu’ils savent lire quelques mots et compter, la grande majorité des enfants d’agriculteurs doivent aider aux travaux de la ferme. Notre calendrier scolaire est encore aujourd’hui basé sur une logique agricole. 

Les jeunes qui ont la chance de fréquenter les écoles secondaires ont le choix entre les classes de sciences ou de lettres. Fait inusité, dans les classes de lettres, l’usage du français était interdit, les cours s’y donnaient seulement en latin. Si le français était la langue d’enseignement des sciences, on sait que quelques classes étaient dispensées en langues huronne et algonquienne.

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Au moment de la chute de la Nouvelle-France, il y a à peine 50 écoles primaires dans tout le pays.

La Conquête et ses bouleversements

Bien que le Collège n’ait pas survécu à la conquête britannique, son héritage est bel et bien resté. Parmi les instructions données par l’autorité métropolitaine britannique au premier gouverneur de la Province of Quebec, James Murray, on retrouve l’ordre de privilégier la construction d’écoles protestantes. Les écoles franco-catholiques sont donc délaissées par les autorités malgré la croissance démographique de cette population.

Les balbutiements d'un système scolaire

Les projets de système scolaire publics ont été ainsi au cœur de la lutte de pouvoir qui se tenait entre les francophones et les anglophones. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, ces affrontements ont créé une situation complètement catastrophique dans le domaine de l’éducation. 

Par exemple, le clergé catholique bloquait systématiquement toutes les réformes scolaires qui risquaient de lui faire perdre le monopole sur le contrôle des âmes des Canadiens français. À cette époque-là, c’est moins de 5% des enfants (5 à 14 ans) qui sont inscrits à l’école.

Ce sont des écoles pour filles créées à partir de 1950 qui enseignent le travail ménager. Ces écoles au programme spécifiquement féminin sont créées pour former des épouses dévouées au foyer.
Ce sont des écoles pour filles créées à partir de 1950 qui enseignent le travail ménager. Ces écoles au programme spécifiquement féminin sont créées pour former des épouses dévouées au foyer. L'Institut familial des Soeurs Grises de Montréal, [Vers 1955], BAnQ Vieux-Montréal, Fonds Armour Landry, (06M,P97,S1,D10333-10333), Armour Landry.

Heureusement, les choses vont changer avec l’avènement de l’Acte d’union et l’arrivée de nouveaux acteurs politiques à l’Assemblée législative. Entre 1841 et 1849, quatre lois sur l’éducation sont adoptées. 

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Ces lois établissent les bases d’une première structure scolaire étatique liée aux institutions municipales. Le financement des institutions scolaires se fait de façon plutôt modeste par l’État, mais aussi par une taxe sur la propriété foncière et des frais de scolarité imposés à tous les enfants de 5 à 14 ans, peu importe s’ils fréquentent ou non l’école. 

La guerre des éteignoirs

Comme le rapporte Flavie Lemoine de l’Université de Montréal, une importante partie de la population considère être lésée par ces nouvelles taxes scolaires, d’autant plus que leurs enfants ne fréquentent même pas l’école. Ces parents mécontents, appelés les éteignoirs, manifestent, boycottent la taxe, s’en prennent physiquement aux estimateurs municipaux. 

On peut aussi lire qu’ils molestent leurs chevaux en leur tordant la queue et vont jusqu’à se livrer à du vandalisme aux écoles. Devant cette montée de boucliers, le gouvernement de Louis-Hippolyte La Fontaine restreint le financement obligatoire aux parents d’enfants de 7 à 14 ans et impose la taxe seulement pendant les mois d’école. 

Trop peu trop tard, la mesure n’a pas vraiment d’impact et la population ne décolère pas. Cet épisode sera surnommé la «guerre des éteignoirs» en référence aux personnes opposées aux «lumières du savoir».

Un centenaire de mauvais résultats scolaires

Malgré les critiques, le gouvernement garde le système scolaire financé par la population. On constate que la fréquentation scolaire est très inégale à travers le territoire, en grande partie à cause du déséquilibre de financement entre les communautés. La persévérance scolaire reste médiocre. 

D’abord, le travail des enfants est une composante économique clé dans plusieurs familles. Ensuite, une partie importante de l’élite préfère encore maintenir les enfants de classes populaires dans la relative ignorance. 

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L’opinion de l’élite sur la scolarisation de masse se transforme graduellement au cours de la première moitié du XIXe siècle. On note que la persévérance scolaire est nettement plus marquée dans les milieux anglophones, ce qui s’explique par le niveau social économique et le désir des parents protestants que leurs enfants puissent lire la Bible.

La COVID-19 n’est pas le seul virus ayant retardé les programmes scolaires. La rentrée de 1946 fut reportée à Montréal pour freiner l’épidémie de polio qui accablait la ville. Cette mesure était notamment justifiée par le fait que la maladie s’attaquait principalement aux enfants.
La COVID-19 n’est pas le seul virus ayant retardé les programmes scolaires. La rentrée de 1946 fut reportée à Montréal pour freiner l’épidémie de polio qui accablait la ville. Cette mesure était notamment justifiée par le fait que la maladie s’attaquait principalement aux enfants. Bibliothèques et archives Canada / domaine public

Du côté francophone, à une époque où la «survie de la race canadienne-française» est une priorité pour l’élite politique québécoise, plusieurs considèrent comme essentiel de rattraper ce retard. Malgré des tentatives sous le gouvernement d’Honoré Mercier, l’obligation scolaire n’est pas imposée au Québec bien que 30% des Québécois soient illettrés contre 7% en Ontario en cette fin de siècle.

Pire encore, malgré la pression du pape en 1930 qui demande avec insistance que l’école devienne obligatoire dans tous les états pontificaux, l’épiscopat québécois refuse de bouger en ce sens. Il faudra attendre la Seconde Guerre mondiale pour que le gouvernement provincial d’Adélard Godbout réussisse à faire voter le 26 mai 1943 la loi rendant obligatoire la fréquentation scolaire des enfants de 6 à 14 ans. 

Notez que cette obligation de fréquenter l’école existait déjà en France depuis 1882 et en Ontario depuis 1891. On était «un tit peu» en retard!

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Une révolution scolaire

Les problèmes de sous-financement et d’abandon précoce perdurent cependant pendant une vingtaine d’années après la promulgation de la loi de 1943. Dans la société de l’après-guerre, moins de 50% des enfants du Québec terminent leur 7e année de l’élémentaire même si l’école est obligatoire jusqu’à 14 ans. 

C’est par l’arrivée au pouvoir du gouvernement Lesage, porte-étendard de la Révolution tranquille, que des réformes structurantes modifient durablement la qualité de l’éducation au Québec. Les Libéraux repoussent l’âge de l’obligation scolaire à 15 ans, et la maintiennent gratuite jusqu’en 11e année (avant 1964). Par la suite, les parents doivent payer pour les études de leurs enfants. 

Jean-Paul Desbiens critique, dans son essai de 1960 «Les insolences du frère Untel», le système d’éducation québécois et la piètre qualité de la langue parlée. À plus de 100 000 exemplaires vendus, l’essai attirera l’attention de l’opinion publique et servira de catalyseur à la réforme éducative de la Révolution tranquille.
Jean-Paul Desbiens critique, dans son essai de 1960 «Les insolences du frère Untel», le système d’éducation québécois et la piètre qualité de la langue parlée. À plus de 100 000 exemplaires vendus, l’essai attirera l’attention de l’opinion publique et servira de catalyseur à la réforme éducative de la Révolution tranquille. Jean-Paul Desbiens, Les insolences du frère Untel, 11e édition, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 1960, 158 p. BAnQ, Collection patrimoniale (236887 CON).

Une commission d’enquête sur le financement et l’enseignement est aussi instaurée, la commission Parent. Ses principales recommandations ont été mises en œuvre et sont devenues les bases du programme scolaire que l’on connaît aujourd’hui. 

Même si le nouveau système d’éducation mis en place est essentiellement public, les écoles privées sont également financées et reconnues dans le préambule de la Loi 60 de 1964 qui crée le ministère de l’Éducation. 

Depuis cette réforme fondamentale, on considère que l’objectif de l’éducation est de préparer les enfants au marché du travail, certes, mais aussi à la citoyenneté. 

Cette semaine, c’est le retour en classe! Depuis 80 ans, on souhaite aux élèves du Québec, peu importe leur milieu social, bonne rentrée!

Ouvrages de référence: Histoire de l'éducation au Québec de Richard Leclerc et La révolution de l’éducation au Québec (HISTOIRE CANADA) d’Andrée Dufour.
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