La forteresse de Montréal: inutile et inutilisée

Martin Landry
Une quarantaine d’années après sa fondation, la petite colonie de Ville-Marie est mal protégée face aux attaques des Iroquois. Les colons français se sentent en danger.
Le gouverneur de Montréal, Louis-Hector de Callière, fait construire, entre 1685 et 1689, une palissade plus grande, mais pas très étanche. On raconte que les fermiers étaient capables de passer entre les pieux pour aller travailler aux champs. De plus, l’entretien de cette palissade de pieux de bois de cèdre, qui s’étendait sur presque 3 km, coûtait une petite fortune et exigeait énormément de soins.

D’IMPORTANTS TRAVAUX
En 1713, on décide d’entreprendre la construction d’une grande muraille de pierre autour de Montréal. Toutefois, le Conseil de la Marine juge que les revenus que génère la colonie canadienne ne sont pas assez importants pour justifier le financement royal de ces fortifications-là. Les Montréalais vont donc devoir en assumer eux-mêmes les coûts de construction.
En 1716, le Conseil de la Marine désigne l’ingénieur militaire français Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry pour concevoir et mettre en œuvre un plan de construction des remparts. L’année suivante, il élabore des plans et devis et à l’été de cette même année, les travaux commencent. Chaussegros de Léry estime à cinq années de travaux la réalisation de la grande forteresse montréalaise. Mais dans les faits, ils s’étireront sur presque 25 ans. Cet ensemble forme un mur rectangulaire qui ceinture la ville fortifiée de Montréal au milieu du 18e siècle. Mais qui dit grand mur dit également frein au développement urbain.
Ainsi, à la fin du régime français, la moitié des 4000 habitants de Montréal vivent dans les faubourgs à l’extérieur des fortifications.

LA STRUCTURE
Ces murs, d’une hauteur de près de six mètres, sont percés par des meurtrières à tous les deux mètres.
La forteresse comporte des fronts défensifs qui sont reliés par des courtines, et 16 portes, dont la plus importante, la porte de la place du marché, est située près de la pointe à Callière.
La forteresse était aussi entourée d’un fossé en pente douce d’au moins 60 mètres. En cas d’attaque, l’assaillant aurait à traverser un ruisseau à l’extérieur de l’enceinte, à gravir le fossé et trouver une façon d’escalader les murs en évitant le feu des soldats de garde postés sur les fronts défensifs.
À l’époque, on ne pensait pas qu’il était possible que les colonies britanniques soient en mesure de se rendre jusqu’à Montréal avec de l’équipement lourd. Donc, les fortifications de Montréal ont été conçues pour résister aux assauts d’artillerie légère, mais pas contre les attaques des boulets des canons britanniques.

ATTAQUE DE 1760
En 1759, la ville de Québec est prise par les Anglais. Les troupes françaises se replient alors à l’intérieur des murs de Montréal, mais la situation y est particulièrement difficile. Les troupes françaises sont privées de secours de leur métropole et la ville est rapidement cernée par les Anglais. L’artillerie lourde britannique est postée sur le fleuve, vis-à-vis de l’île des Sœurs, Longueuil et même Pointe-aux-Trembles. On craint que les bâtiments soient ravagés par les bombardements, comme à Québec. Pour éviter la destruction de Montréal, le gouverneur Vaudreuil signe la capitulation générale le 8 septembre 1760.
Toute la colonie passe donc aux mains des Anglais et Vaudreuil est renvoyé en France.
DENSIFICATION URBAINE
Malgré le manque d’espace à l’intérieur des fortifications de la ville, la population montréalaise se densifie entre 1720 et 1780. On y construit près de 400 maisons, ainsi que plusieurs grands bâtiments pour les communautés religieuses.
Indéniablement, avec ce développement urbain, les murs commencent à étrangler la ville.
Il semble d’ailleurs de plus en plus évident que ces remparts, en bien mauvais état, ne défendraient pas grand-chose en cas d’attaque. En plus, certains secteurs de la forteresse favorisent l’accumulation de détritus, qui rendent Montréal malsaine sur le plan sanitaire.
Finalement, les structures défensives de Québec, du Richelieu et des Grands Lacs rendent la forteresse de Montréal bien peu utile.
DÉMOLITION DES MURS
En 1796, des Montréalais proposent dans une pétition de détruire tout simplement les murs de la ville.
Au tournant du siècle, Montréal a le vent dans les voiles. Les magasins de la rue Saint-Paul sont remplis de produits d’importations britanniques et les nombreux marchands de la ville sont des plus dynamiques. Il semble bien que la vieille forteresse ait fait son temps.
La Chambre d’assemblée du Bas-Canada adopte donc, en 1801, une loi pour démolir les fortifications de Montréal. La tâche est titanesque : plus de 10 000 allers-retours de charrettes remplies à rebord de pierres pendant 13 ans ont été nécessaires pour démanteler les fortifications.
Une fois débarrassée de ce corset de pierres, la ville peut enfin s’ouvrir sur le fleuve Saint-Laurent et, surtout, intégrer les faubourgs qui s’étaient multipliés autour de ces grands murs.
Quand le démantèlement des remparts se termine en 1817, cela faisait depuis presque 100 ans que la ville avait été ceinturée.