Voici comment Sophie Thibault a vaincu son anxiété, en début de carrière
Nathalie Slight
Elle ne rêvait pas d’être journaliste, et pourtant, Sophie Thibault aura incarné l’une des voix les plus familières de l’information au Québec, pendant près de quatre décennies. Le 19 juin prochain, la cheffe d’antenne sera à la barre de son ultime bulletin de nouvelles. En attendant, elle revient sur les moments forts de sa carrière et nous fait part de ses projets.
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Sophie, avec un père directeur de l'information à Radio-Canada et une mère autrice et journaliste, on aurait pu s'attendre à ce que tu te diriges tout naturellement vers une carrière dans le milieu journalistique...
Eh non! J’ai fait un bac en psychologie, mais durant mes études, j’ai réalisé que ce domaine n’était pas fait pour moi. D’ailleurs, j’ai inconsciemment saboté mon examen d’entrée à la maîtrise. Je devais effectuer une simulation de consultation, un exercice qui se voulait sérieux, mais j’ai fait des blagues tout le long. Comme je m’étais retrouvée sans projet, mon père m'avait dit: «Pourquoi n'essaies-tu pas le métier de journaliste?»
Avais-tu l’âme d’une journaliste?
L’été de mes 16 ans, mon père est arrivé à la maison avec une caméra vidéo. Les voisins, mon frère et moi, nous avions réalisé un bulletin de nouvelles, juste pour le plaisir. C’était rempli de niaiseries, et pourtant, papa avait décelé quelque chose chez moi... Une certaine présence à la caméra.
Tu n’avais jamais envisagé d’évoluer dans le milieu journalistique auparavant!
Non, puisque depuis que j’étais enfant, je voyais mon père lire tous les journaux et les magazines et travailler le jour, le soir et les fins de semaine. Son métier, je le trouvais plate, plate, plate! À sa suggestion, je me suis inscrite à un certificat en Information et journalisme à l'Université de Montréal et j’ai suivi une formation radio-élocution à l'école Promédia. C’est vraiment là que j’ai eu la piqûre pour le métier.
De quelle façon as-tu commencé ta carrière dans les médias?
J’ai commencé à écrire pour des magazines, par exemple, un texte sur les préparatifs au mariage pour Clin d'œil. Puis, le co-fondateur de Promédia, Pierre Dufault, m’a dit qu’un poste se libérait à la radio communautaire de Châteauguay. J’ai animé une émission sur la musique de film, mais je me suis rapidement retrouvée directrice de la programmation!
Rêvais-tu à l’époque de devenir lectrice de nouvelles?
Non, je n’ai jamais eu de plan de carrière, car je doutais énormément de moi. À un moment donné, j’ai eu l’occasion de passer un screen test – comme on dit dans le jargon du métier – pour travailler à Télé-Métropole. Je me suis donc retrouvée aux côtés de Pierre Bruneau, pour une simulation de bulletin de nouvelles. Comme j’avais déjà un emploi que j’aimais beaucoup à la radio, je ne ressentais pas la pression de décrocher ce job à tout prix. À ma grande surprise, une semaine plus tard, j’apprenais qu’on me confiait le poste.

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Après avoir couvert la santé et les affaires sociales pendant deux ans, tu as animé ton tout premier bulletin de nouvelles en 1990, en pleine crise d’Oka!
Comme je suis en train de numériser toutes mes cassettes VHS, je suis récemment tombée sur mes premiers bulletins de nouvelles. De l’extérieur, je semblais relativement en contrôle, mais j’avais zéro assurance, un tout petit filet de voix et le regard d’un chevreuil apeuré sur l’autoroute! J’étais tellement énervée lorsque j’entrais en ondes que j’entendais mon cœur battre dans mes oreilles et que les feuilles sur lesquelles je lisais les informations restaient collées sur mes mains moites.
Comment as-tu fait pour combattre cette nervosité?
Pour la lecture des précèdes ou les converses avec un journaliste sur le terrain, tout allait bien. Par contre, mon cœur s’emballait dès que j’avais plus de trois minutes à faire toute seule devant la caméra. Ça m’angoissait tellement que je faisais de l’hyperventilation. Cela dit, dès que j’ai identifié la source de mon problème, j’ai appris à respirer et cette angoisse a fini par passer... au bout de quelques mois.
En 37 ans de journalisme, quels ont été tes moments les plus marquants?
Un des premiers qui me vient en tête, c’est évidemment le 11 septembre 2001. Je ne travaillais pas cette journée-là, mais je ne pouvais pas rester chez moi à ne rien faire. Je suis entrée dans la salle des nouvelles en disant à mes patrons: «Mettez-moi n’importe où, je veux aider.» Autre moment marquant d’une rare intensité: la pandémie.
Que retiens-tu de cette période?
Le sentiment d’urgence, la peur, l’inconnu, les rues vides, le couvre-feu, les essais et erreurs. Ç’a été une période anxiogène, mais je me sentais privilégiée de pouvoir éclairer et rassurer le public durant ces moments difficiles.
Parmi tes moments marquants en carrière, il y a sûrement eu de belles rencontres...
J’ai déjà coanimé le bulletin de nouvelles avec Charles Aznavour. Cette entrevue était prévue depuis longtemps et elle devait être pilotée par Pierre Bruneau. Comme il était malade, je l’ai remplacé au pied levé. Pendant une heure et demie, Charles Aznavour est donc resté à mes côtés, à commenter l’actualité québécoise. Il a été très gentil et d’une grande générosité.
(Après réflexion, Sophie ajoute...)
J’ai effectué à plusieurs reprises des entrevues de fin d'année avec le premier ministre en poste. Je me souviens de ma toute première entrevue avec Jean Chrétien, j’étais toute jeune. Il a commencé la discussion en disant: «Vous êtes une p’tite qui, vous?» Il savait très bien qui j’étais, puisque son équipe l’avait sûrement briefé... Il voulait peut-être me déstabiliser...
Tu as annoncé en février dernier que tu allais prendre ta retraite, après 37 ans de carrière journalistique. Est-ce une décision mûrement réfléchie?
Bien sûr. Lorsque j’ai pris la barre du TVA Nouvelles 17 h, après le départ de Pierre Bruneau, j’ai signé pour trois ans. Ça me menait donc à 64 ans. On a tous des repères inconscients dans la tête. Pour ma part, ç’a été le décès de maman, qui a rendu l’âme à 80 ans. Si je me rends à cet âge vénérable e et que je continue de travailler jusqu’à 70 ans, il ne me restera que 10 ans pour effectuer tous les voyages et les projets photo dont j’ai envie!
(Après avoir pris une grande respiration...)
J'adore mon métier, le milieu de l’information est hyperstimulant, parce qu’on est au cœur de l’action, qu'on pose des questions à des décideurs et qu’on fait – bien humblement – une différence dans la société. C'est formidable, mais c’est épuisant aussi. Ces dernières années, j’ai réussi à établir un équilibre entre l’effervescence que m'apporte la salle des nouvelles et la tranquillité que m’offrent la photographie et la nature. Sans m’en rendre compte, je préparais l’après-TVA.
Ta retraite est-elle liée au cancer de la peau qu'on t'a diagnostiqué en 2017?
Mon départ n’a rien à voir avec le cancer. Je viens d’avoir 64 ans et c’est le bon moment pour moi. J’ai le goût de me concentrer sur la beauté du monde. Je veux juste respirer, découvrir la joie de flâner, m’asseoir sur une terrasse pour écouter les moineaux et regarder les gens passer.
Ta retraite sera donc remplie de photographie!
J’ai un peu de difficulté avec le mot «retraite». Une collègue m’a dit que le 20 juin serait le premier jour du reste de ma vie! Je ne vais pas arrêter de travailler, je vais porter un autre chapeau. C’est spécial parce que, malgré mes 37 ans de journalisme, je doute plus que jamais, alors que je me sens totalement sur mon X derrière mon appareil photo.
Comment expliques-tu ce sentiment?
Lorsque je cherche la chouette lapone en forêt, je la trouve immédiatement. Si je vais faire des photos de pygargues, j'ai la chance d’avoir un accouplement devant moi. Dans ce temps-là, je me sens en grande réverbération avec l'univers. J’adore partager ma passion pour la photographie. Début juin, j’ai accompagné un groupe à l’île aux lièvres. Au menu: photos des Eiders à duvet, balades en forêt avec le fondateur de Duvetnor et biologiste Jean Bédard pour admirer la faune et la flore. J'ai aussi offert une conférence sur l’art de photographier la nature. Les gens, le bois, le fleuve, les oiseaux, la photo, tout ça est synonyme de bonheur pour moi.
As-tu des projets de voyage?
Oui, je prévois aller visiter les îles Galápagos l’an prochain. C’est un voyage dont je rêve depuis longtemps. J’ai tellement hâte de photographier les fous à pieds bleus ou encore les tortues âgées de 150 ans! C’est suite à un voyage là-bas que Charles Darwin a développé sa théorie de l’évolution. Ce n’est pas rien! Sinon, je souhaite visiter le Japon. J’ai beaucoup lu sur l’endroit, mais je n’y ai jamais mis les pieds.
(Sophie devient émotive...)
Mon chien, Nano, âgé de 16 ans, est décédé, fin mars. C’est la première fois en 25 ans que je n’ai pas de chien dans ma vie. Même si le départ de Nano laisse un grand vide, ça nous laisse aussi la liberté de partir quand bon nous semble, sans avoir à nous soucier de trouver une gardienne. C’est donc une totale liberté qui approche, autant sur le plan professionnel que sur le plan personnel.

Ta conjointe, Dominique Poirier, avec qui tu partages ta vie depuis 22 ans, est journaliste et animatrice à la Société Radio-Canada. Est-elle également à la retraite?
En fait, elle l'était, mais elle est retournée travailler pour un remplacement par intérim. Puisqu'elle est spécialiste des normes et pratiques journalistiques, elle est de ces personnes qui sont indispensables à l’information. Nous avons plusieurs projets de voyage à venir, mais en attendant qu’elle vienne me rejoindre, j'ai des amis qui ont très hâte que j’entre officiellement dans le club des retraités! (rires)
Que feras-tu le 20 juin au matin?
Ouf! Je vais prendre le temps de me déposer. Je me réjouis à la simple idée de marcher en forêt, d’identifier le chant des oiseaux qui m’entourent via le l’application Merlin Bird ID. L’autre jour, j’étais en Estrie et l’application a reconnu sept espèces d’oiseaux, dont la paruline flamboyante, le cardinal et la sittelle à poitrine rousse. J’ai une pièce, chez moi, qui contient tout mon matériel photo et vidéo, un drone et tout le nécessaire pour de la vidéo et du montage. J’ai aussi une chaîne YouTube, que je me promets d’alimenter assidûment.
Tu vas officiellement devenir productrice de contenu!
Oui, je le suis déjà un peu, mais à partir du 20 juin, j’aurai tout mon temps. Une dame m’invite à prendre en photo un nid de grive à dos olive dans sa cour? Un monsieur m’apprend qu’il y a des bébés renards non loin de sa ferme? J’arrive! J’ai plusieurs projets, mais pour l’instant, je me concentre sur mon dernier bulletin de nouvelles, le 19 juin. Depuis l’annonce de ma retraite, vous êtes plusieurs à me dire que vous allez vous ennuyer de moi. Eh bien, dites-vous que moi aussi, je vais m’ennuyer de vous!
Sophie Thibault, en bref...
1988: Sophie est engagée à Télé-Métropole comme journaliste attitrée à la santé et aux affaires sociales.
1990: Elle couvre la crise d’Oka, ce qui marque un tournant dans sa carrière.
2002: Elle devient la première femme en Amérique du Nord à être nommée cheffe d’antenne en solo d’un grand bulletin de fin de soirée, le TVA 22 h .
2022: Elle succède à Pierre Bruneau à la barre du TVA 17 h, après 20 ans au TVA 22 h
2025: En février, elle annonce sa retraite après 37 ans de service. Le 19 juin, la cheffe d’antenne présentera son dernier bulletin de nouvelles en carrière.