Vers un retour du «boys’ club» à Ottawa?


Anne-Sophie Poiré
Avec les tarifs douaniers de Donald Trump qui occupent toute la place dans la campagne électorale fédérale, l’enjeu des droits des femmes se retrouve dans l’angle mort des partis. Alors que le ministère consacré à la condition féminine a été dissout par le premier ministre sortant Mark Carney, que les candidatures libérales et conservatrices n’atteignent pas la zone paritaire et que Pierre Poilievre semble obsédé par l’horloge biologique des femmes, la question se pose: faut-il craindre le retour du «boys’ club» à Ottawa?
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Lorsque Mark Carney a prêté serment le 14 mars dernier, on apprenait que le poste de ministre des Femmes, de l'Égalité des genres et de la Jeunesse (FEGC) avait été supprimé de son cabinet.

C’est vrai, le Conseil des ministres a été dissout quelques jours plus tard, au moment du déclenchement des élections. La disparition d’un tel ministère demeure néanmoins «un recul marqué» pour l’égalité des sexes, selon la professeure à l’école de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, Joanie Bouchard.
«Le vrai test sera la composition officielle du [prochain] cabinet. Quand le gouvernement sera élu, il nous démontrera si l’égalité des genres est une priorité», estime pour sa part la chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS)», Eve-Lyne Couturier.
Mais à la vue des dernières semaines, l'experte en doute.
«La campagne électorale n’est absolument pas intéressée aux enjeux féministes, dit-elle. L’équité, les femmes, la parité: ce n’est vraiment pas au cœur des politiques du Parti libéral ni de celles des conservateurs.»
Pas de parité
Les derniers sondages placent les libéraux à quelques points d’avance des conservateurs dans les intentions de vote. À moins d’un revirement de situation, le prochain premier ministre du Canada sera donc Mark Carney (Parti libéral du Canada) ou Pierre Poilievre (Parti conservateur du Canada).

Chacune de leur formation politique n’est pas parvenue à atteindre la zone paritaire dans ses candidatures, en présentant entre 40% et 60% de femmes ans les 343 circonscriptions au pays.
Les libéraux accumulent 36% de candidatures féminines. Du côté conservateur, le ratio est d’environ 23%.
Et pour la première fois en 14 ans, aucune femme ne prendra part aux débats des chefs qui se tiendront cette semaine.
Un «boys' club» face à Trump?
«C’est certain qu’on revient à la formule du boys’ club dès que la situation politique devient compliquée [comme actuellement avec la guerre commerciale]. On retombe dans nos vieux réflexes qui sont de croire que les hommes savent mieux comment gérer», remarque la doyenne à la faculté de science politique et droit de l’UQAM, Rachel Chagnon.
Elle ne s’attend d’ailleurs à voir plus de femmes accéder à des postes importants dans les prochaines années.
Mais ce manque de femmes dans les lieux de pouvoir n’est pas sans conséquences.
«La diversité, ce n’est pas juste pour faire de belles photos. Ça encourage le changement de perspectives et ça évite les angles morts», signale la chercheuse Eve-Lyne Couturier.
Un exemple? Les déclarations Pierre Poilievre selon lesquelles le prix inabordable de l’immobilier repousse le moment où les femmes, dont «l’horloge biologique tourne», peuvent fonder une famille.
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Les propos du chef conservateur ont choqué, alors que l’origine même du concept d’horloge biologique est ancrée dans le sexisme.
Un ministère, une fausse bonne idée?
Avec le gouvernement de Donald Trump qui met la hache dans les programmes faisant la promotion de l’équité et de l’inclusion au sud de la frontière, les expertes interrogées par 24 heures jugent qu’un ministère des Femmes et de l’Égalité des genres aurait été plus que le bienvenu au Canada.
«On n’est pas dans un scénario similaire au Canada, mais on n’a pas choisi d’envoyer le message qu’on met de l’avant ces initiatives et que ces enjeux [d’égalité des genres et de parité] sont encore importants», fait valoir la professeure Joanie Bouchard.
Mais, bien que la destruction du ministère des Femmes et de l’Égalité des genres en dise long sur les priorités des libéraux, Rachel Chagnon ne s’attend pas à de grandes conséquences.
«On pleure la perte du symbole, mais je ne crois pas qu’on va remarquer l’absence de ce qui était considéré comme un ministère de seconde zone, avec moins de ressources», affirme la juriste.
Elle reconnaît faire entendre «une voix dissonante» dans l’écosystème féministe.
«Mark Carney nous a rappelé la game: il y a un boys club à Ottawa. Je pense que comme femme, la journée où ce ministère a été créé, on s’est fait avoir», admet-elle.
Avant la création du ministère des Femmes et de l'Égalité des genres en 2018, l’agence Condition féminine Canada (CFC) était «beaucoup plus efficace et mieux financée pour faire la promotion de l’égalité des genres», selon Mme Chagnon.
«Les ressources qui étaient censées arriver avec le ministère ne sont jamais arrivées. Le budget de CFC, qui était injecté directement dans les activités en lien avec la cause des femmes, n’a pas été changé. Mais la structure d’un ministère coûte beaucoup plus cher que celle d’une agence», détaille l’experte.