Une première association pour les victimes de violence conjugale et familiale voit le jour


Mathieu Carbasse
Le cheminement des personnes victimes dans le système de justice s’apparente souvent à un parcours du combattant. C’est pour cette raison que Karine Bleau a décidé de créer la première association de femmes et d’enfants victimes. La mère de famille a été rejointe dans son entreprise par des dizaines de personnes, dont l’ancien sénateur Pierre-Hugues Boisvenu et la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier.
Karine et sa fille Isabelle ont accepté que 24 heures les suive pendant plus d’un an pour documenter leur parcours judiciaire et raconter leurs tentatives de reconstruction. Elles lèvent aujourd’hui le voile sur leur histoire dans un témoignage rare. Ce texte fait partie d’une série de trois.
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À force de naviguer dans les zones grises du système de justice, Karine Bleau a choisi de passer à l’action au milieu de l’hiver.
«Il fallait vraiment créer une association pour que les victimes soient représentées, pour qu'on puisse parler de ce qui ne fonctionne pas et, éventuellement, apporter des solutions au système judiciaire pour que ce soit plus facile pour les victimes», explique-t-elle en entrevue à 24 heures.
Entourée de sa fille et de proches désireux de faire changer les choses, la femme de 49 ans a créé une association destinée aux femmes et aux enfants victimes de violence sexuelle, conjugale et familiale, une première du genre au Québec.

«Ça fait longtemps que j’y pensais. Quand j’ai commencé à faire des recherches, j’ai vu qu’une telle association n’existait pas. Pourtant, dans les institutions, les victimes de violence conjugale et familiale ne sont pas reconnues. Leur voix ne porte pas. Lorsque des projets de loi sont discutés, lorsque des solutions sont proposées, elles ne sont pas consultées», déplore-t-elle.
Alors que son ancien conjoint a dernièrement été reconnu coupable d’avoir agressé sexuellement sa fille Isabelle, Karine a vu ce dernier être acquitté en mars dernier des charges de viols conjugaux qui pesaient contre lui.
«Des trous dans le système»
Preuve d’un besoin criant, près de 80 femmes ont déjà rejoint l’Association des femmes et enfants victimes de violence sexuelle, conjugale et familiale (AFEVV) depuis sa création, le 16 avril dernier.
Karine Bleau pourra également compter sur des soutiens de poids, dont ceux de l’ancien sénateur Pierre-Hugues Boisvenu et de l’actuelle mairesse de Longueuil, Catherine Fournier.
L’avocat Marc Bellemare, spécialisé notamment dans la défense des victimes d'actes criminels, a lui aussi l’intention de s’impliquer dans l’association.
L'ex-sénateur Boisvenu embarque...
«Je crois que c’est une très bonne initiative, car les victimes elles-mêmes doivent reprendre le pouvoir. Elles doivent prendre la parole, elles doivent oser partager leur expérience dans le système de justice, qu’elle soit bonne ou mauvaise, pour que le législateur améliore le système», souligne Pierre-Hugues Boisvenu, qui a pris sa retraite en février dernier.
«Plus les victimes vont s’organiser, plus le législateur va être à leur écoute», résume-t-il à 24 heures.

Alors qu’il a consacré sa vie au service des victimes d'actes criminels à la suite de l’assassinat de sa fille en 2002, Pierre-Hugues Boisvenu souhaite aider Karine Bleau à trouver du financement, le nerf de la guerre.
«Ce qui manque beaucoup, c’est d’avoir une permanence qui permet de faire le lien entre les membres, de monter des dossiers ou d’organiser des réunions politiques avec des ministres, etc. Ça prend du temps et de l’argent», explique-t-il.
Catherine Fournier aussi
Pour Catherine Fournier, rejoindre une telle association va de soi.
«Tout ce qui potentiellement est un pas en avant pour le droit des personnes victimes est quelque chose de positif que je veux appuyer sans réserve», explique la mairesse de Longueuil à 24 heures.

Si son implication reste encore à déterminer, la politicienne de 32 ans souhaite faire bénéficier l’association de sa propre expérience, comme elle le fait déjà pour le Réseau des Centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC).
Ce qu’il faut changer dans le système
Parmi les chantiers prioritaires que Karine Bleau a identifiés et auxquels elle souhaite s’attaquer, il y a le manque de ressources pour les victimes, les longs délais judiciaires et la protection des enfants dans le cas de violence conjugale.
De son côté, Catherine Fournier pointe aussi le difficile accès à l’information pour les victimes.
Pour M. Boisvenu, des efforts doivent être entrepris afin de renforcer le rôle et l'accompagnement des victimes dans le processus judiciaire.
«Notre système de justice est ainsi fait que c’est d’abord les droits des criminels qui priment. L’avocat de la Couronne parle au nom des victimes, mais il défend l’intérêt public, pas l’intérêt des victimes. De plus, quand il y a des négociations entre la Couronne et la défense, la victime n’a pas de mots à dire», déplore-t-il.