Une femme doit se «soumettre à son homme»: les animateurs antiféministes du Lucide Podcast sont-ils dangereux?


Anne-Sophie Poiré
Un balado masculiniste québécois commence à semer la controverse sur les réseaux sociaux. Les animateurs, qui prônent un retour aux rôles traditionnels des genres, sont accusés de flirter avec des propos qui encouragent le contrôle coercitif. Cette notion, au centre de la violence conjugale, pourrait bientôt être criminalisée par Ottawa.
Autour de la table d’un studio maison, affublés de lunettes de soleil, Olivier Jean et Joël McGuirk, la mi-trentaine, discutent de dating et de relations de couple.
L’un des épisodes du Lucide Podcast porte sur Chloé, 24 ans, qui «a choisie (sic) un homme traditionnel». Elle est la copine de Joël, l’animateur.

Les deux hommes racontent à quel point «les femmes n’ont aucun leadership», que leur «carrière» et leurs «diplômes», les vrais gars n’en ont «rien à calisser». Ce qu’elles ont à offrir dans le monde de la séduction, c’est d’être «cute» et d’avoir une «énergie féminine».
Ils expliquent également que le mot «soumission» est devenu oppressant «à cause du féminisme». Une femme devrait sans contredit se «soumettre à son homme» et ne pas avoir à penser toutes les 30 secondes. «Siffler dans sa tête» est amplement suffisant.
Olivier rappelle qu’aujourd’hui, les femmes sont beaucoup plus «esclaves» de leur patron qu’elles ne l’étaient de leur conjoint lorsqu’elles restaient à la maison.
«Si tu n’as pas ce salaire-là, tu n’es pas capable de te payer les mêmes choses que ton homme te payait avant, en échange de juste faire le ménage pis le lavage et de lui donner un peu de sexe le soir», analyse-t-il.
Joël, lui, observe qu’une femme qui a eu plusieurs partenaires sexuels aura beaucoup de «traumas», puisqu’elle conserve «un attachement» avec chaque homme avec qui elle a couché. «C’est prouvé scientifiquement», mentionne celui qui se décrit comme un «alpha».
Dans le balado d’une heure ayant pour thème «Chloé a choisie (sic) un homme traditionnel», ladite Chloé ne parlera qu’un total de 6 minutes 55 secondes.
«Une version Wish d’Andrew Tate»
Ce contenu peut choquer, mais il n’est pas nouveau. Les deux animateurs du Lucide Podcast remâchent grosso modo les mêmes propos antiféministes qui envahissent les réseaux sociaux depuis près deux ans.
«Une version Wish d’Andrew Tate», commentent plusieurs internautes sous leurs vidéos. Une pâle copie de l’original, autrement dit.
«Ils bourgeonnent autour d’Andrew Tate. Ils font partie d’une chorale qui chante la même chanson», résume le politologue à l’UQAM et auteur de l’essai Les hommes et le féminisme paru en 2023, Francis Dupuis-Déri.
Comme Tate, Olivier Jean et Joël McGuirk se présentent comme des coachs-entrepreneurs-maîtres de la séduction faisant la promotion d’un style de vie ultra-masculin axé sur la performance physique et financière.


Et même si ces influenceurs antiféministes ont encore peu de visibilité au Québec, ils parviennent à rejoindre de jeunes hommes qui adhèrent de plus en plus au «retour des bonnes vieilles valeurs traditionnelles de type papa a raison», signale la doyenne de la Faculté de science politique et de droit de l'UQAM, Rachel Chagnon.
Encourager le contrôle coercitif
Si les idées masculinistes du Lucide Podcast trouvent écho chez certains jeunes hommes, elles sont aussi dénoncées sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines. Les animateurs ont notamment été accusés d’encourager le contrôle coercitif dans les relations de couple.
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Contrôle économique et de l’habillement, surveillance accrue, dénigrement ou mépris: cette notion, au centre de la violence conjugale, pourrait bientôt être criminalisée au Canada.
Le 8 mars dernier, le gouvernement du Québec pressait d’ailleurs Ottawa d’aller de l’avant afin de mieux protéger les victimes.
Olivier Jean et Joël McGuirk aiment répéter qu’il est important «de mettre ses limites et ses standards dès le début» d’une relation.
Ils ne veulent ni «d’une fille qui sort dans les clubs habillée en pute avec ses amies» ni d’une fille qui fréquente les festivals. Ils exigent que «leur femme» soit le moins possible sur les réseaux sociaux ou du moins, qu’ils aient un droit de regard sur leur téléphone.
Selon eux, ces demandes ne sont pas du contrôle ou de l’insécurité. C’est simplement «la base du respect qu’une femme doit avoir envers son homme», ont-ils répondu à leurs détracteurs sur TikTok.
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«Dans leur podcast, il y a confusion de genre entre ce qu’est un vrai homme, la vraie virilité et l’acceptation ne pas avoir le contrôle sur tout», note Rachel Chagnon.
«Il y a quelque chose de très triste et fragilisé dans cette espèce d’égo qui n’est plus capable de se construire en relation avec les autres, poursuit-elle. Ils ne sont plus capables d’avoir d’empathie pour leur vis-à-vis. On sent la dérive narcissique et leur besoin de valorisation constante.»
L’experte souligne que le contrôle coercitif se nourrit justement dans ces confusions de genre.
«Il s’appuie sur une vulgarisation des rôles sexuels traditionnels. On le distingue difficilement [le contrôle coercitif], parce qu’il est camouflé par une vision patriarcale, comme l’idée qu’il est normal qu’un homme contrôle les finances parce qu’il a une intelligence plus rationnelle.»
Y a-t-il un réel danger?
Chloé, la copine de Joël McGuirk, a assuré dans une vidéo qu’elle n’était pas prisonnière d’une relation toxique.
Sa parole n’est ici nullement remise en question.
«Il est fort possible qu’une femme qui est dans un environnement coercitif, surtout si elle adhère aux valeurs traditionnelles, ne reconnaisse pas son mal-être. Elle peut trouver normal que son partenaire lui dise quoi mettre dans sa garde-robe, parce que c’est lui qui paye pour ses vêtements», précise la professeure Chagnon.
Francis Dupuis-Déri pointe pour sa part une certaine «habilité» dans leur discours. «Ils font parler des femmes dans leur podcast, ce qui donne l’impression qu’ils les laissent s’exprimer et qu’elles sont d’accord avec eux.»
Et c’est là que réside le réel danger, selon les experts: dans la chambre d’écho.
«L’algorithme de TikTok va trouver les bonnes cibles et continuer de leur pousser du contenu en ce sens», indique la chargée de cours en médias socionumériques à l’UQAM, Laurence Grondin-Robillard, dont la thèse de doctorat porte sur la circulation de l’information sur TikTok.
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«On est sur des plateformes qui ne favorisent pas le contre discours parce que pour des raisons économiques, on a créé des algorithmes qui amènent des gens dans une chambre d’écho», ajoute Rachel Chagnon.
«On n’a pas encore absorbé l’importance que prennent ces réseaux sociaux. On est en train d’abandonner le discours entre les mains d’entreprises privées qui n’ont pas de conscience sociale», conclut-elle.