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L'article provient de 24 heures

De jeunes hommes font l’apologie du viol sur TikTok (et c’est inquiétant)

Photomontage Marilyne Houde
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Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2023-12-14T11:00:00Z
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Que feriez-vous si tout était légal pendant cinq heures? À cette question posée sur TikTok, de jeunes hommes affichent ouvertement que leur première ambition serait de violer quelqu’un. Portrait d’une tendance inquiétante de plus en plus dénoncée sur le réseau social.

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Les réponses prennent plusieurs formes, mais la définition est la même: si le crime devenait légal pendant quelques heures, un nombre incalculable d’utilisateurs de TikTok — pour ne pas dire de jeunes hommes — commettraient une agression sexuelle. 

Et c’est sans parler des références à la pédocriminalité et à l’inceste. 

«C’est inquiétant, comme tendance», lance d’emblée la chargée de cours en médias socionumériques à l’UQAM, Laurence Grondin-Robillard. 

«On banalise vraiment les violences faites aux femmes et aux minorités, mais encore plus les conséquences sur les victimes d’agression sexuelle. Même si tout est légal pendant 5 heures seulement, les séquelles restent très longtemps», explique celle dont la thèse de doctorat porte sur la circulation de l’information sur TikTok. 

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Pour éviter d'employer le mot «viol», qui est le plus souvent censuré par le réseau social, certains utilisent un émoji violet ou répondent par le mot «griffith». Cette expression est inspirée du populaire manga Bersek, dans lequel le personnage de Griffith agresse une femme de manière très violente. 

Cette scène d’agression a inspiré de jeunes tiktokeurs, qui font depuis quelques temps l’apologie du viol sur la plateforme avec une certaine discrétion. Mais d’autres affirment clairement leur intention de «violer» ou de supprimer «le consentement». 

Une chambre d’écho de plus en plus dénoncée

Un des dangers avec cette tendance, selon Laurence Grondin-Robillard, est de se retrouver coincé dans une chambre d’écho dans laquelle plusieurs utilisateurs martèlent qu’il est légitime de dire qu’on aimerait violer une femme. 

«Ces commentaires sont faits à visage découvert. Du moment qu’un jeune homme réagit à la vidéo, il envoie un signal à l’algorithme qu’il est intéressé par ce genre de contenu, surtout s’il laisse un commentaire en lien avec [...] l'objectification des femmes ou le fait qu’il aimerait violer sa cousine», illustre la doctorante. 

«L’algorithme de TikTok va trouver les bonnes cibles et continuer de leur pousser du contenu en ce sens», précise-t-elle. 

C’est de cette manière que le contenu de l’influenceur américano-britannique Andrew Tate, qui fait l’objet d’accusations de viol et traite humaine en Roumanie, a pu rejoindre autant de jeunes hommes. 

Dans ses vidéos, Tate affirme que les femmes doivent rester à la maison, qu'elles ne peuvent conduire et qu'elles sont la propriété d'un homme. Il soutient que les victimes de viol doivent «assumer la responsabilité» de leur agression. Il parle de frapper les femmes, de les étouffer et de les empêcher de sortir. 

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Pourquoi les jeunes hommes ne seraient-ils pas autorisés à dire publiquement qu’ils aimeraient violer une femme si tout était légal pendant cinq heures, donc? 

«Ce n’est pas tant un fantasme qu’un biais de confirmation ou d’incitation à participer à cette tendance», résume Laurence Grondin-Robillard. 

«À ces discours, il y a toutefois des réponses», nuance la sociologue spécialisée en violence sexiste et sexuelle à l’UQAM, Sandrine Ricci. Par des commentaires ou des vidéos, de nombreuses jeunes femmes commencent à dénoncer l’apologie du viol par l’entremise de cette fameuse question «Que feriez-vous si tout était légal pendant cinq heures». 

«Le changement est long à opérer. Mais les jeunes femmes sont de plus en plus outillées à répondre à ces commentaires, poursuit la chercheuse. Ça permet d’être optimiste.» 

La culture du viol domine encore

Sans écarter le contexte spécifique de TikTok, toujours considéré comme un lieu de «divertissement» et de «rigolade», Mme Ricci souligne qu’un jeune qui répond qu’il commettrait une agression sexuelle contribue à promouvoir la culture du viol. 

Rappelons que la culture du viol est l’ensemble des comportements qui banalisent, excusent et justifient les agressions sexuelles, selon la définition du Conseil du statut de la femme. 

«Il ne faut pas négliger le fait que même si le gars ne le pense pas vraiment ou qu’il s’agit d’une blague, il le dit, fait-elle valoir. Devant ces commentaires, les femmes se construisent comme des personnes à risque de subir une violence sexuelle. Ça vient modifier leurs comportements en les plaçant en état d’hypervigilance.» 

Les expertes consultées par 24 heures citent toutes deux les résultats d’une étude québécoise sur les effets de l'alcool et de l'excitation sexuelle sur la perception du consentement. Cette enquête a été conduite en 2016 auprès de 150 hommes de 20 à 39 ans par le chercheur Massil Benbouriche. 

Les participants à l’étude devaient répondre à cette question: «Si vous étiez absolument certain que Marie ne porte jamais plainte et que vous ne soyez jamais poursuivi, quelles seraient les chances d'avoir une relation sexuelle avec Marie alors qu'elle n'est pas d'accord?» 

Près d’un tiers des répondants (30%) a rapporté explicitement une intention de commettre un viol. 

«Il y a une persistance des préjugés qui viennent rationaliser les violences sexuelles, malgré les luttes féministes: elle l’a cherchée, elle a menti, ce n’était pas vraiment un viol, il n’a pas voulu faire ça, signale Sandrine Ricci. Tous ces mythes sur le viol — pourtant largement contredis par les données — continuent de banaliser les agressions sexuelles.» 

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