Un ex-vendeur de La Baie au centre-ville raconte la belle époque de Montréal


Julien McEvoy
Rien de mieux pour revivre les années 80 à Montréal que d’écouter un ex-vendeur de La Baie au centre-ville parler du magasin, celui de l’époque où le cœur de la métropole était aussi le cœur du Québec.
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Alain Gascon est un pur produit du quartier Ahuntsic, à Montréal. Né à l’hôpital Fleury en 1966, il a passé son enfance sur l’avenue Étienne-Brûlé et habite aujourd’hui un condo de la rue Marie-Anne-Lavallée, tout près.
Quand il avait 8 ans, Alain fréquentait le magasin La Baie du centre-ville avec sa famille, la fin de semaine.
«C’est un bel édifice, il y avait des parades de mode spectaculaires avec des mannequins de New York.»
«On entrait, ça sentait le parfum. Les femmes au comptoir étaient belles, élégantes. On montait à l’étage, vers la section jouets, c’était avant les Toys "R" Us, c’était magique.»
Le midi, les gens faisaient la file pendant une heure, au cinquième étage, juste pour manger «une p’tite soupe» au restaurant La Soupière.
«C’était ça, un grand magasin. Une deuxième maison, un petit village où on passe la journée.»
À 19 ans, Alain ne parle pas «un maudit mot» d’anglais quand il postule au magasin. Pendant huit ans, il sera vendeur au département de l’audiovisuel et apprendra l’anglais sur le tas.

«J’étais fier de travailler dans ce grand magasin de l’Ouest. La clientèle parlait anglais, fallait se débrouiller.»
On est en 1985 et c’est le début de l’audiovisuel. Le caméscope Betamovie de Sony est là depuis 1983, le Fujix DS-1P de Fuji, le premier appareil photo numérique, arrive en 1988.

«Les vendeurs étaient excités, on essayait tout, quand on faisait développer nos photos, on obtenait un disque compact qu’il fallait lire sur une machine spéciale.»
Des vedettes venaient souvent en magasin. Alain a testé le caméscope Sony sur Michel Courtemanche, sur des joueurs du Canadien et des chanteurs populaires.

Il a même déjà vu Dave Murray et Steve Harris, deux membres du groupe Iron Maiden, déambuler «comme ça» dans le magasin. Le mélomane d’Ahuntsic était au centre du monde.
Dans le condo d'Alain, les disques occupent l’espace, il a longtemps dépensé toutes ses payes chez le disquaire. Son musicien de père a 90 ans et chaque jeudi, il joue encore du drum au parc dans le quartier avec son orchestre, Alain y va souvent.

«J’achetais mes disques dans les magasins du centre-ville, c’était le cœur de la province, c’était vivant.»
Le reflet du temps perdu, car, aujourd’hui, dit-il, le centre-ville est placardé et respire la misère. «C’est triste.»

En 1992, Loto-Québec ouvre un casino à Montréal dans les anciens pavillons de la France et du Québec et Alain postule. Il pensait rester un an comme gardien de sécurité; ça fait 32 ans qu’il est là.
D’ailleurs, Le Journal doit quitter son condo de la rue Marie-Anne-Lavallée, car Alain travaille à midi aujourd’hui.

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