Travailleurs étrangers: perdre cinq ans d’efforts au Québec pour une note de 59% à l’examen de français
Une famille philippine bien intégrée au Québec risque l'expulsion


Julien McEvoy
Deux Philippins qui s’épanouissent à Sorel-Tracy depuis 2019, lui à l’usine, elle chez A&W, vivent le stress d’une vie depuis que le patriarche, machiniste à 33$ de l’heure, a obtenu 59% au test de français de Québec.
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«Ils vont m’empêcher de continuer, je n’ai pas eu 60%», raconte Roger Fuentes Viterbo, 45 ans, dans un français fragile. Le certificat de sélection du Québec (CSQ), dit-il, «est difficile à obtenir», surtout en raison de l’examen écrit.
Ce test imposé aux immigrants est pénible pour des Asiatiques comme Roger, pour qui les subtilités du français ne sont pas une sinécure.
«Quatre personnes sur cinq couleraient ce test-là anyway, au Québec», remarque son patron chez Industries Rainville, Ghislain Sabourin.
Propriétaire de quatre usines dans le secteur de l’aéronautique en Montérégie, l’homme d’affaires compte 157 employés et peine à trouver les mots pour vanter les mérites de Roger.
«C’est une machine, il est heureux, il nous donne de bonnes heures, mais ils nous mettent des bâtons dans les roues», lance-t-il au sujet des gouvernements de leurs nouvelles règles en matière de travailleurs étrangers temporaires.
Stressés raide
Chez Roger et sa femme Roslyn, c’est un peu le stress, ces jours-ci. Leurs quatre enfants (5 ans, 9 ans, 13 ans et 17 ans) fréquentent tous le CPE ou l’école en français, mais leur avenir au Québec est compromis.
Dès septembre, leur père ne pourra plus travailler à cause de son échec au test du CSQ. Adieu, l’usine, adieu, son salaire de 80 000 $ par année avec les heures supplémentaires.
«Je vais réessayer dès que je pourrai, mais ce test est vraiment dur», confie Roger. Pour l’instant, son employeur va devoir refaire chaque année les demandes de renouvellement de permis pour lui, sa femme et ses enfants.
«Ça fait cinq ans qu’il est ici, on peut avoir une extension de deux ans, de quatre ans, même, pour lui faire passer le test?», demande son patron.
Pas le temps de niaiser
À l’usine, Roger est devenu le roi de la nuit, le quart de soir roule bien grâce à lui, il n’a aucun problème non plus à parler en français avec ses collègues ainsi qu'avec les profs de ses enfants.
Pareil pour Roslyn, qui a appris le français sur le tas, ce qui est beaucoup mieux qu’à l’école, dit-elle, en servant les clients du fast-food où elle travaille.
«Apprendre la grammaire du français, c’est difficile quand tu travailles plus de 40 heures par semaine», dit la Philippine de 38 ans au sujet de son amoureux.
«Ces gens-là ne peuvent pas passer 40 heures à l’école, ils travaillent et ils sont essentiels à l’économie du Québec», renchérit Ghislain Sabourin.
«On se prive de talent, ça n’a aucun sens», lâche-t-il.
Six vies risquent de dérailler pour un petit point à l’examen, six futurs citoyens trop contents de participer à l’économie québécoise risquent d’être écartés, se désole l’employeur.
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