Publicité
L'article provient de 24 heures

Tannés de se faire piquer, des citoyens veulent ramener un pesticide controversé contre les maringouins

AFP
Partager
Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2024-06-21T10:00:00Z
Partager

Des citoyens de Mirabel exigent que la Ville recommence à épandre un pesticide contre les maringouins et les mouches noires appelé Bti, décriant qu’il est «impossible» de profiter de leur cour sans se faire piquer. Seules 34 municipalités au Québec utilisent encore ce produit pour diminuer la gêne causée par les insectes piqueurs, alors que le ministère de l’Environnement invite à la prudence.

• À lire aussi: Voici les conseils d’un exterminateur pour éloigner les moustiques

• À lire aussi: Voici pourquoi vous vous faites plus piquer que d'autres par les moustiques

«Il faut que je donne du Benadryl à mes enfants chaque fois qu’ils veulent veiller avec nous le soir, et ce, même avec du chasse-moustiques et des Thermacell», dénonce Alexandre, un citoyen de Mirabel qui a lancé une pétition il y a une dizaine de jours pour que la Ville lève la suspension d’arrosage au Bti.

Depuis deux ans, la quantité de moustiques a fortement augmenté dans la municipalité des Laurentides «au printemps, à l’été et à l’automne», selon le père de famille qui se dit «très inquiet» des maladies transportées ces insectes.

Il serait même «impossible de rester à l'extérieur en soirée», signale la pétition ratifiée par près de 450 résidents.

Publicité

En 2023, Mirabel a cessé le traitement des insectes piqueurs. L’épandage du pesticide biologique, le Bti, se faisait chaque printemps pour tuer les larves après l’éclosion des œufs, juste avant qu’elles ne deviennent des adultes.

Le Bti s'attaque aux larves des mouches noires, notamment.
Le Bti s'attaque aux larves des mouches noires, notamment. AFP

«Cette décision du conseil municipal a été prise par souci de protéger l’environnement et la biodiversité du territoire», souligne la directrice des communications de la Ville, Valérie Sauvé.

Les analyses réalisées l’an dernier par le Service de l’environnement et du développement durable de Mirabel ont révélé une légère hausse de la quantité de moustiques. Les conditions climatiques chaudes et pluvieuses du printemps ont aussi joué un rôle à cet accroissement.

Une pétition signée par quatre personnes a été déposée au conseil municipal à ce sujet en juin 2023, mais aucune en 2024, confirme Mme Sauvé.

34 municipalités arrosent toujours

Une autorisation du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) est nécessaire pour faire l’épandage du pesticide aux fins de contrôle des insectes piqueurs.

À ce jour, 34 municipalités sont titulaires d’un tel permis au Québec.

De nombreuses villes ont cessé de traiter au Bti dans les dernières années, comme Terrebonne, Nicolet et Gatineau, suivant le principe de précaution.

En 2023, le MELCCFP demandait d’éviter ou de réduire au minimum les épandages du Bti, en raison d’«un doute raisonnable» sur l’innocuité de l’insecticide.

L’Union des municipalités du Québec (UMQ) met également en garde sur son utilisation.

Publicité

À Terrebonne, l’insecticide est interdit depuis 2021. Là aussi, des citoyens avaient exigé le retour de l’épandage de Bti l’année suivante. Ils se disaient incapables de sortir «plus de dix minutes» sans se faire piquer.

L’administration municipale n’a toutefois pas constaté une hausse des plaintes citoyennes concernant un nombre plus élevé de moustiques et de mouches noires sur le territoire. C’est même le contraire: une soixantaine de requêtes a été enregistrée entre 2018 et 2020, contre 18 plaintes depuis 2021.

La Ville signale également de grosses économies dues au coût élevé du produit, qu’elle estime à plus de 800 000$ par année.

«Plusieurs raisons nous ont menés à stopper l'épandage de Bti, mais la plus importante est qu’il est impossible d’intervenir dans la nature sans qu’il y ait d’impact», mentionne pour sa part la mairesse de Nicolet, Geneviève Dubois. «Nous pensons qu’il y a des limites à poser de telles actions dans l’environnement pour satisfaire l’humain.»

Le Bti y est interdit depuis 2021 pour les moustiques et 2022 pour les mouches noires.

Les risques du Bti

Dans certaines villes où il y a encore de l’épandage, plusieurs citoyens s’y opposent. À Trois-Rivières, Christiane Bernier mène la lutte.

«Je n’ai pas de diplôme là-dedans, mais j’ai tellement creusé le sujet que je le connais par cœur», lance celle qui se décrit comme une «citoyenne-scientifique». L’an dernier, elle a déposé une pétition de 2650 noms au conseil municipal et elle continue de faire de la pression sur l’administration pour qu’elle cesse l’arrosage du produit.

Publicité

«J’ai passé mon été 2022 à informer les citoyens des effets du Bti sur la biodiversité. Personne ne savait ce que c’était ni que Trois-Rivières en faisait l’épandage depuis 2008», raconte-t-elle.

Le confort c. la biodiversité

Le Bti présente les risques les plus faibles pour la santé et l’environnement parmi les pesticides homologués pour contrôler les insectes piqueurs, indique le MELCCFP.

Cet insecticide, sans risque pour l’humain, est un «excellent produit» pour se débarrasser des moustiques porteurs de maladie, comme la malaria, le virus du Nil occidental ou la dengue, souligne la professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Valérie Langlois.

• À lire aussi: Cet insecte est dangereux: capturez-le sur le champ si vous l’apercevez

Pour l’instant, ces infections ne sont pas une menace au pays.

Des patients infectés par la dengue sont traités dans un hôpital de Dhaka, au Bangladesh.
Des patients infectés par la dengue sont traités dans un hôpital de Dhaka, au Bangladesh. Eyepix/WENN

«On a habitué les citoyens au confort de moins se faire piquer, mais à quel point ce luxe il trône sur la biodiversité», questionne Mme Langlois, qui a conduit une étude commandée par le MELCCF sur les effets du Bti.

«Assez de preuves ont permis de démontrer qu’il causait des problèmes dans la métamorphose de la grenouille des bois et des crapauds d’Amérique. On a constaté que leurs gènes bougeaient et que le corps tentait donc de se détoxifier. Le Bti affecte aussi le microbiote des grenouilles dont elle a besoin pour la digestion», explique la chercheuse.

La diminution des maringouins et des mouches noires a également un effet négatif sur l'ensemble de la chaîne alimentaire, alors que plusieurs prédateurs insectivores, comme les chauves-souris et les hirondelles, se nourrissent massivement de ces insectes.

PIERRE-PAUL POULIN/LE JOURNAL DE MONTRÉAL/AGENCE QMI
PIERRE-PAUL POULIN/LE JOURNAL DE MONTRÉAL/AGENCE QMI

D’autres familles d’insectes qui ne piquent pas, mais qui sont proches de celles visées par l’insecticide, peuvent aussi être affectées. C’est notamment le cas des Chironomidés, précise le ministère de l’Environnement.

À l’heure actuelle, l’utilité du Bti ne serait donc que «cosmétique» selon Valérie Langlois.

«Il faut plutôt miser sur la protection personnelle pour éviter de se piquer, comme porter des couleurs pâles, utiliser des lampes répulsives, des moustiquaires ou mettre du chasse-moustiques», détaille l’experte.

C'est quoi, au juste, le Bti?

Le Bacillus thuringiensis israelensis (Bti) est l’un des pesticides utilisés à travers le monde pour réduire les populations d’insectes piqueurs qui se reproduisent dans les milieux humides. Il a été découvert en Israël en 1976.

L’insecticide dit «biologique» est composé d’une bactérie qui se retrouve naturellement dans les sols. Il cible les larves de mouches noires et de moustiques pour en réduire la population. On le pulvérise dans l’eau stagnante et courante, là où pondent ces insectes.

Le Bti a permis de remplacer l’utilisation de plusieurs pesticides chimiques comme le DDT.

Publicité
Publicité