Scotch à 55$ le verre, alcool fort et bouteilles de vin: soirée arrosée à la FTQ-Construction aux frais des travailleurs
Le directeur général Éric Boisjoly a apposé sa signature sur une facture de 1707,43$ en boissons
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Sarah-Maude Lefebvre et Jean-Louis Fortin
2025-01-29T05:00:00Z
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Mais qui surveille les dépenses des dirigeants de la FTQ-Construction? Notre Bureau d’enquête a découvert que l’argent des travailleurs a servi à acheter d’importantes quantités d’alcool et des repas luxueux au restaurant.
Scotch à 55$ le verre, tournée d'alcool fort, des centaines de dollars en bouteilles de vin: une «réunion d’équipe» organisée par les dirigeants de la FTQ-Construction qui s’est terminée au petit matin a coûté plus de 4500$ aux travailleurs syndiqués.
À près d’une heure du matin, le 19 janvier 2024, le directeur général de la FTQ-Construction, Éric Boisjoly, apposait sa signature sur une facture de 1707,43$ uniquement en boissons, au Manoir Saint-Sauveur.
FTQ-Construction : Alcool et repas luxueux sur le bras des travailleurs
De l’alcool pour les vacances d'été
Du vin, du gin et des cafés alcoolisés pour passer l’après-midi
On y retrouve plusieurs verres de scotch 16 ans à 55$ le verre, trois Bowmore double 18 ans à 38$ l’unité, un whisky japonais à 30$ et plusieurs autres consommations d’alcool fort.
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Journal de Montréal
Plus tôt dans la soirée, les dirigeants de la plus importante organisation syndicale de la construction au Québec avaient soupé dans un restaurant de Saint-Sauveur.
L’addition: 2153,80$, avec notamment filet mignon à 80$ la pièce, sans compter 654$ de bouteilles de vin achetées le soir même à la SAQ pour accompagner leur repas, avec l’argent de la caisse syndicale.
Une inscription «réunion d’équipe 23 personnes» a été gribouillée derrière une des factures.
Jdem
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Notre Bureau d’enquête a pu consulter certaines factures récentes de dirigeants de la FTQ-Construction qui ont été remboursées par l’argent des travailleurs.
Certaines rappellent le train de vie princier que menait l’ex-directeur général Jocelyn Dupuis, tombé en disgrâce à la suite des révélations de ses dépenses il y a une quinzaine d’années (voir ci-bas).
Ils n’ont «rien appris»
Pour le professeur en organisation et ressources humaines à l’UQAM Michel Séguin, spécialisé en gouvernance et éthique, de telles dépenses démontrent que la FTQ-Construction «n’a rien appris».
«Tout cela nuit à la réputation de la FTQ-Construction. Comme si elle était intouchable et maintenait des méthodes de fonctionnement qui datent. C’est triste pour le monde syndical, car les travailleurs méritent d’être protégés», dit-il.
M. Séguin affirme aussi que la consommation d’alcool aux frais de contribuables ou de syndiqués n’est plus acceptable de nos jours.
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«On peut se demander en quoi est-ce dans l’intérêt des cotisants», dit-il.
Pour Martine Valois, professeure de droit à l’Université de Montréal, «les syndiqués n’ont pas à payer pour les repas arrosés de la direction».
Elle croit que le gouvernement doit se pencher sur la situation, puisque ce n’est pas la première fois que le syndicat fait les manchettes pour les dépenses de ses dirigeants.
« C’est sûr que devant cette répétition-là, il devra y avoir une intervention. Le gouvernement peut intervenir et il devrait le faire »
- Martine Valois, professeure de droit à l’Université de Montréal
Photo tirée du site de l'Université de Montréal
Silence à la FTQ-Construction
Nous avons soumis ces cas à la FTQ-Construction, qui a décliné nos demandes d’entrevue et refusé de répondre à nos questions.
L’organisation nous a transmis une déclaration écrite à l’effet que «tous les rapports de dépenses sont soumis à la vigilance du comité exécutif».
Elle a aussi indiqué que «trois syndics sont élus (...) pour vérifier les livres et registres comptables» et que «les états financiers sont audités annuellement par une firme comptable externe».
Comme à la belle époque
L'ex-directeur de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis Chantal Poirier / Le Journal de Montréal
Les dépenses récentes des dirigeants de la FTQ-Construction rappellent celles de l’ex-directeur Jocelyn Dupuis.
Il y a une quinzaine d’années, l’enquête menée par la Sûreté du Québec avait fait état de dépenses douteuses, comme des bouteilles de vin à 300$ commandées au restaurant.
Dupuis avait même été condamné à 12 mois de prison en janvier 2015 pour fraude et fabrication de fausses factures totalisant plus de 63 000$.
Ce scandale avait été dévoilé par l’ex-directeur de l’Association nationale des mécaniciens industriels Ken Pereira, qui avait mis la main sur plusieurs factures de Dupuis.
Rien n’indique qu’il y a eu de la fraude dans les dépenses de 2024.
«On a corrigé le tir»
En 2009, l’ancien président de la FTQ Michel Arsenault avait assuré que le ménage avait été fait au sein du syndicat et que de nouvelles règles de gouvernance avaient été mises en place pour éviter qu’un pareil scandale ne se répète.
«Moi, quand j’ai été convaincu comme président de la FTQ qu’il y a eu du laxisme, de l’exagération dans les comptes de dépenses, j’ai demandé à Jocelyn Dupuis de quitter la FTQ-Construction [...] En deux semaines, on a corrigé le tir. En deux mois on a établi de nouvelles règles de gouvernance», avait-il dit à l’époque, en entrevue avec La Presse Canadienne.
La FTQ-Construction en bref
▪ Le plus important syndicat de construction au Québec ▪ Représente 70 000 personnes, soit plus de 44% des travailleurs de ce secteur ▪ Divisée en 17 sections locales affiliées ▪ Regroupe autant des opérateurs de machinerie lourde que des grutiers ou encore des électriciens
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