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L'article provient de Le Journal de Québec
Culture

Romans d’ici: savourer le goût des autres

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Josée Boileau

2023-06-10T04:00:00Z
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Marie-Hélène Poitras nous entraîne dans des histoires marquées par le défi de notre temps : comment combler l’envie d’être ensemble.

Il y a chez Marie-Hélène Poitras quelque chose du peintre en mouvement : jetant sur la toile des traits et des couleurs, par ce seul geste, il livre déjà une œuvre. L’écrivaine, elle, étale sous nos yeux des phrases si finement montées qu’avant même de savoir où elles vont nous mener, on est conquis.

Son dernier livre, un recueil de nouvelles portant le curieux titre de Galumpf (on aura l’explication dans l’ouvrage), en fait à nouveau la démonstration.

Le cœur du propos est notre besoin des autres — par amour, désir, bon voisinage, protection, ou souci d’humanité.

À cet égard, la nouvelle Exercices d’empathie — qui a failli donner son nom au recueil — se distingue. Une jeune femme a décidé d’être une espèce de Jésus Christ des temps modernes : aimer tout le monde, y compris ses collègues. Le travail est aliénant, il faut bien tenter de rester humains.

Mais les petits despotes ne manquent pas dans les hiérarchies ; alors comment aimer qui vous regarde de haut ? « Ne pas le juger. Ne pas le détester. C’est vraiment difficile. Peut-être que je n’y arriverais pas. » Tendre la main, soit, mais si personne ne la saisit ? 

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Il y a donc des liens impossibles dans ce beau recueil. L’animateur de radio renvoyé à sa solitude après sa toute dernière émission de nuit en est un exemple brutal. Mais il y a des rescapés aussi, comme cette fillette abandonnée à elle-même, qui n’a pour toute compagnie qu’un énorme chien, à peine domestiqué. La catastrophe semble inévitable.

« Ne fais pas mal à la petite fille, même si c’est dans une histoire inventée », a toutefois demandé le chum de l’autrice. La promesse, judicieusement intégrée, sera tenue.

Se laisser surprendre

Cette sensibilité-là, assumée ouvertement ou bien transposée dans des univers aux antipodes — du centre-ville glauque de Montréal jusqu’à une île coupée du continent —, donne l’agréable impression que Poitras avance dans ses histoires au même rythme que nous, qu’elle-même se laisse surprendre.

Ainsi, dans la sensuelle nouvelle Chasseurs sauteurs, il faut voir comment sa narratrice, une cavalière de haute tenue, passe du « il » au « tu » pour raconter le désir qui monte envers son entraîneur. Et comment, plus loin, l’offre d’amour de celui-ci s’effondre en une seule phrase, inattendue.

Marie-Hélène Poitras conclut son recueil par un texte qui tisse les parallèles entre son amour pour les chevaux (elle a longtemps monté et leur a consacré son premier roman, Griffintown) et celui pour l’écriture. 

On lit « Aller à cheval a la beauté de ce qui est vain » ; la phrase vaut aussi pour le fait d’écrire. Mais dans les deux cas, le risque, la discipline, les moments de grâce qui s’y greffent l’emportent pour qui s’y lance.

Et pour qui observe, on ne peut que s’incliner devant l’élégance d’un exercice réussi.

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