Essai: la quête de notre mémoire collective

Jacques Lanctôt
On s’entend pour dire que l’enseignement de l’histoire a été, au cours des dernières décennies, le parent pauvre de notre système d’éducation. Même encore aujourd’hui, il n’est pas rare d’entendre des élèves se plaindre que «les cours d’histoire, c’est plate». Et pourtant, cela ne devrait pas être le cas. Et surtout, l’enseignement de l’histoire devrait être au cœur de tout cours sur la culture générale.
Dans cet ouvrage magistral, l’historien et sociologue Gérard Bouchard lance un cri d’alarme: notre société est en crise, les valeurs traditionnelles qui formaient le ciment de la nation québécoise et qui étaient véhiculées par des vecteurs tout aussi traditionnels – église, école, médias, littérature, famille – sont en train de disparaître, pour une multitude de raisons.
Que va-t-il advenir de la nation québécoise si nous perdons toute référence à notre histoire passée et à notre identité propre? L’enseignement de l’histoire a ici un rôle important à jouer dans la promotion des valeurs fondatrices et dans le renforcement du «fondement symbolique, à savoir l’ensemble des représentations premières d’où naissent les mythes, les idéaux, les valeurs transcendantes, les visions de même que les traditions qui soudent une société et mobilisent ses membres», répond l’historien.
Les programmes
Au cours des dernières années, l’histoire nationale a été attaquée et discréditée. Cela participe du courant woke, même si Gérald Bouchard ne l’affirme pas dans son plaidoyer. On a accusé l’enseignement de l’histoire d’être partial, de ne pas faire assez de place aux minorités et à la diversité, on l’a même taxé de raciste et de xénophobe.
Aussi, «[l’histoire] ne se serait pas montrée suffisamment sensible aux clivages et aux conflits qui affectent la nation et elle aurait tardé à prendre en compte sa diversité croissante», selon ses détracteurs. On est aussi allé jusqu’à dire que l’enseignement de l’histoire nationale--- n’était plus pertinent aujour-d’hui, donc ringard.
Bouchard en profite pour passer en revue les divers programmes d’enseignement de l’histoire depuis le XIXe siècle, les diverses écoles et théories, et leur évolution jusqu’à aujourd’hui à travers les différentes commissions et les nombreux rapports et recommandations.
«Quel mal y aurait-il à ce que l’histoire nationale éveille un attachement, un sentiment favorable à la société à laquelle on appartient?» rétorque Bouchard à certains spécialistes qui déplorent que l’enseignement de l’histoire puisse inculquer ce genre de sentiment. Il n’y voit actuellement aucune possibilité de dérive ni «signes alarmants annonçant un avenir particulièrement troublant».
Un aspect émotionnel
Revenir sur notre passé n’a rien de ringard et ne signifie nullement qu’on se complaît dans le misérabilisme et le défaitisme. Comment ne pas rappeler, en les commentant, aux élèves et étudiants, la Conquête (ou la défaite) de 1760, la déportation des Acadiens, les Rébellions de 1837-1838, le Rapport Durham et l’Acte d’union qui ont suivi, la lutte pour le français? se demande Bouchard. «Le passé québécois ou canadien-français est indissociable des deux colonialismes (ceux de la France et de la Grande--Bretagne) qui ont contribué à le façonner.
On comprend aisément que les récits construits du point de vue de l’impérialiste ou du “vainqueur” soient plus attrayants, plus sereins. Cependant, le devenir québécois ne relève pas de ce camp et, quoi que l’on fasse, on n’y peut rien.» À cela s’ajoute une dimension que Bouchard trouve essentielle: l’émotion.
«L’histoire étant l’étude des sociétés humaines et des personnes qui les composent, comment peut-on en amputer la dimension émotive qui est au cœur à la fois de la vie sociale et de la mémoire collective?» Et de citer en exemple la lettre de Chevalier de Lorimier à sa femme et à ses enfants avant de monter sur l’échafaud. Ici, l’émotion aidera l’étudiant à se rappeler un tel épisode de notre histoire.
Bien sûr, cet ouvrage s’adresse aussi (beaucoup) aux spécialistes et autres didacticiens chargés de rédiger les programmes d’études des différents niveaux et ne constitue pas une lecture facile, mais le lecteur non spécialiste y trouve néanmoins son compte et peut se faire ainsi aisément une opinion sur les propositions de l’auteur. L’articulation entre le passé et le présent sera toujours d’actualité. Il reste encore beaucoup à faire pour dresser un portrait d’ensemble de notre mémoire collective avec ses figures phares, conclut Bouchard.