Qui est Jessie Murph et pourquoi provoque-t-elle autant le Web?
Juliette de Lamberterie
Le 22 juillet, Jessie Murph, une chanteuse de 20 ans dont beaucoup ignoraient jusque-là l'existence, performait pour le Tonight Show Starring Jimmy Fallon. Son esthétique, ses décors, mais surtout les paroles de sa chanson 1965 ont provoqué un tollé sur les réseaux sociaux.
• À lire aussi: «Too much»: Voici pourquoi cette nouvelle série Netflix fait autant jaser
• À lire aussi: L’équipe prédit 11 tendances mode qui seront partout à Osheaga 2025
• À lire aussi: Fermeture de la marque de cosmétiques Ami Colé: un cri du cœur lancé à l'industrie de la beauté
«Je renoncerai à quelques droits...»
La jeune chanteuse aura donné une performance remarquée chez Jimmy Fallon. Habillée d’une mini robe rose bonbon à froufrous et de collants en dentelle, les inspirations de sa tenue étaient floues. Années 1960, façon Priscillia Presley? Style coquette? Look de danseuse? Ses pieds nus ne nous laissent que plus perplexes.
Son style de performance a aussi animé les conversations. Jessie Murph adopte une voix rauque et fait beaucoup de modulations, d’une manière visiblement inspirée d’Amy Winehouse. Sa mise en beauté accentue l’effet de comparaison, puisqu’elle arbore une coiffure avec beaucoup de volume sur le dessus de sa tête et des cheveux foncés très longs, en plus d’un maquillage marqué sur les yeux et la bouche.
La manière dont elle danse, toutefois, diverge complètement de l’icône britannique. Elle fait de petits mouvements, plutôt dans la retenue, lui donnant un air presque enfantin. C’est ce qui rend le contenu de sa chanson, 1965, d’autant plus surprenant. Le thème, c’est bien sûr de se projeter dans le passé, en idéalisant une relation amoureuse de l’époque. Dans un couplet, elle chante: «On irait à l’église le dimanche, on se lèverait le lundi / Tu irais au travail et je resterais à la maison pour chanter et faire des choses amusantes», ou encore «Et j’aurais neuf filles, et le film Dirty Dancing n’existerait pas encore».
jessie murph new song “1965” has a lyric that says “i might get a little slap slap but you wouldn’t hit me on snapchat” referring to how she would rather be subject to domestic violence in 1965 than modern day dating and i cannot stop thinking about it that’s so insane
— katie 🦋 (@libraavenuus) July 22, 2025
Mais la phrase qui a réellement choqué le Web, c’est la suivante, qui revient à chaque refrain: «Je pense que je renoncerai à certains droits / Si tu m’aimais / Comme si c’était 1965».
Des réactions fortes
Entre ces références esthétiques, ce qu’elle chante et son style de performance, il y a donc une dissonance marquée, un amalgame de styles et d’inspirations qui semblent incompatibles. Un mélange parfait pour attirer toutes sortes de commentaires et de critiques sur les réseaux sociaux.
jessie murph is what happens when someone born in 2005 is not exposed to music history https://t.co/i3fxLXdTOh
— 🎱 (@needan8ball) July 24, 2025
Dans sa chanson, Jessie Murph exprime clairement un agacement quant à la culture du dating de 2025. Elle y parle de Snapchat, par exemple, une application toujours utilisée par les jeunes pour le classique booty call, ou encore du manque de manières en date de certains hommes d'aujourd’hui. Mais ces paroles qui glorifient un mode de vie traditionnel de l’époque, où le racisme était la norme, la violence domestique bien plus banalisée et où la majorité des femmes blanches ne travaillaient pas, ne sont pas passées. Particulièrement dans un contexte trumpiste où les idéaux conservateurs sont de plus en plus présents dans le discours public.
I don't care what the intention was with this bullshit, singing "I think I'd give up a few rights if you would just love me like it’s 1965" during a time when women are, in fact, losing rights they've fought for, is frankly abhorrent. https://t.co/QnOt3crzY7
— イsene☆ (@sene_omic) July 24, 2025
Certains interprètent la performance de cette chanteuse jusque-là inconnue à eux comme l’indicateur que notre culture est en train de changer. Alors que les stars de la pop sont généralement en contradiction avec les valeurs conservatrices, et jouaient historiquement plutôt le rôle de déranger l'ordre établi (pensons à Madonna), la présence de Jessie Murph indique que de nouvelles stars portant des idéaux traditionnels pourraient prendre plus de place dans la culture populaire. Certains parlent même d'un «indicateur de fascisme». Dans le clip vidéo de la chanson, on est dans la provocation: les tromperies, les scènes graphiques et la violence y sont toutes présentes.
Toutefois, surtout dans cette culture de l'ironie, pas toujours facile de réellement comprendre l'intention des artistes. Des utilisateurs interprètent plutôt sa chanson comme une satire de la trad wife (la femme traditionnelle qui reste à la maison). C'est d'ailleurs ce que la chanteuse a affirmé sur TikTok, en réponse aux nombreuses réactions à sa performance. «Êtes-vous stupides?», dit-elle dans une vidéo publiée sur son compte. Les commentaires sont majoritairement négatifs; si elle a à l'expliquer, la parodie ne fonctionne visiblement pas.
Peu importe l'intention, ses paroles arrivent à un moment où les conversations autour des droits des femmes sont extrêmement tendues, et étaient certaines de provoquer la controverse. Les thèmes de la violence domestique ou des relations toxiques ne sont pas nouveaux en musique, et permettent d'ailleurs aux femmes de s'exprimer sur ces sujets — Lana Del Rey, qui les intégrait comme thèmes centraux, est aussi une inspiration de Murph —, mais c'est la façon dont on les aborde qui détermine la réception du public. Ici, on vante l'époque visuellement et textuellement, floutant ce qui est sincère ou non. On pourrait presque analyser la chanson 1965 comme du rage baiting (appel à la rage), un procédé où l'on publie du contenu avec l'intention principale de provoquer l'indignation, pour maximiser l'engagement et la visibilité.
Alors que tous les artistes se battent pour se faire une place dans les algorithmes, on peut s'attendre à de plus en plus de projets et de campagnes de marketing de ce genre qui provoquent la rage pour accumuler les écoutes. D'ailleurs, ça a plutôt fonctionné: en date du 29 juillet, le nouvel album de Jessie Murph, Sex Hysteria, était en huitième place du classement Billboard 200.
À VOIR AUSSI: