Fermeture de la marque de cosmétiques Ami Colé: un cri du cœur lancé à l'industrie de la beauté
Juliette de Lamberterie
Après 4 ans d'opérations, la marque Ami Colé, l'une des seules compagnies de beauté Black-owned vendues chez Sephora, est forcée de fermer en septembre. Elle est née pendant une période où les investisseurs étaient plus enclins à investir dans les entrepreneuses et entrepreneurs noir·e·s en 2020, mais les conditions sociales et économiques ont bien changé depuis, menant aujourd'hui à la clôture de l'entreprise. Plusieurs journalistes beauté lancent un cri du cœur à l'industrie.
Le 17 juillet dernier, Diarrha N'Diaye-Mbaye, fondatrice des cosmétiques Ami Colé, a publié un texte dans The Cut pour annoncer la fin de sa marque. Ayant travaillé pendant 4 ans à la faire vivre - elle avait d’ailleurs commencé à préparer ce projet des années à l'avance afin de bâtir des fondations solides -, N'Diaye-Mbaye partage dans son texte qu'il est devenu trop difficile de compétitionner avec les grandes corporations du monde de la beauté, dans un contexte économique très incertain. La réélection de Donald Trump et l'incertitude autour des tarifs ont certainement fait changer le paysage économique rapidement.
Comme plusieurs médias beauté l'ont rappelé dans les derniers jours, il n'y a que 0,1% du capital de risque qui est alloué aux entrepreneures noires aux États-Unis. Au Canada, il n'y pas de chiffres précis pour cette statistique. Selon la firme The51, toutefois, les femmes toutes confondues ne reçoivent que 1,9% du capital de risque au pays. Et depuis 2014, toujours selon cette source, seulement 10% des transactions d'investissement en capital-risque impliquaient «une poignée de main avec une femme». Julee Wilson, journaliste et éditrice beauté chez Cosmopolitan, a rédigé une lettre ouverte adressée à l'industrie de la beauté après l'annonce de Diarrha N'Diaye-Mbaye, où elle écrit que ce manque d'investissement dans les femmes noires ne constitue «pas juste des opportunités manquées - c'est un échec intentionnel d'imagination, d'investissement et d'équité».
Malgré le fait qu'elle ait dédié sa carrière à célébrer et à promouvoir la diversité et l'inclusion dans le domaine de la beauté, notamment en mettant en lumière les marques Black-owned, Wilson écrit: «Je finis quand même par les voir disparaître une par une.»
De la naissance d'Ami Colé à aujourd'hui
Dans son texte dans The Cut et sur le compte Instagram d'Ami Colé, Diarrha N'Diaye-Mbaye rappelle comment sa compagnie est née. Diarrha a grandi à Harlem, à New York, et passé son enfance dans le salon de coiffure tenu par sa mère sénégalaise, Aminata "Ami" Colé, où elle a témoigné des façons dont les rituels beauté forment des communautés. Adolescente, elle maquillait déjà ses amies, mélangeant des produits le plus souvent non adaptés aux peaux noires. Puis, de Sephora à Glossier, elle a évolué dans l'industrie pour se tailler une place de marque, jusqu'au jour où elle décide de commencer à créer son propre projet, en 2019.
Alors qu'elle commence à imaginer la marque, qui porte aussi maintenant le nom de sa fille, N'Diaye-Mbaye consulte sa communauté en ligne pour établir les besoins en beauté des femmes noires et racisées, et les produits dont celles-ci manquent; elle en a consulté plus de 400! Elle construit son plan, mais en 2019, difficile de trouver des investissements.
Puis vient 2020, l'année du meurtre de George Floyd qui a retenti partout sur la planète. «Dans les semaines après le début des émeutes, j'ai reçu un afflux de demandes pour donner vie à ma "marque méritante"», raconte-t-elle. Dès l'été du lancement, la marque est un véritable succès; l’huile à lèvres et le fond de teint sont particulièrement populaires. Le compte Instagram de la marque est inondé de messages de femmes heureuses d'avoir enfin trouvé des produits qui leur ressemblent.
En quelques années, Ami Colé a amassé 80 prix beauté, donc 4 prix Allure, une inclusion dans la liste d'Oprah's Favorite Things et des mentions de diverses vedettes, comme Kelly Rowland et Martha Stewart. En 2022, la marque débarquait chez Sephora. Les choses se sont gâtées alors qu'Ami Colé tentait de continuer de croître et que les ventes ne cessaient de fluctuer. Mais la fondatrice pointe aussi du doigt que, au moment où les investisseurs auraient pu garder le cap sur l'avenir stable et prometteur de la marque, ils se sont montrés «capricieux», «certains montrant une attitude face à l'équité et le fait de "parier gros sur l'inclusivité" qui a beaucoup changé de ton depuis 2020».
Réactions publiques
Dans sa lettre chez Cosmopolitan, Julee Wilson exprime son désarroi envers les investisseurs: «Je m’adresse à vous : les conglomérats de plusieurs milliards de dollars et les investisseurs aux poches profondes. Vous qui avez fait de la place à Rhode, Drunk Elephant, OUAI et Hourglass Cosmetics, pour n'en citer que quelques-uns (no shade, c'étaient des valeurs sûres). Alors, ne prétendons pas que les comptes en banque sont soudainement vides pour financer les talents noirs. Il y a de l'argent. Il y a des infrastructures.»
Harper's Bazaar et New York Magazine ont publié des textes similaires. Sur le post Instagram d'annonce d'Ami Colé, les commentaires affligés s'accumulent: «Nooo way!» «Y a-t-il une pétition qu'on peut signer??» «Nous serons toujours des Ami Colé girlies.»
Diarrha N'Diaye-Mbaye a tenu à terminer sa publication sur une note d'encouragement: «À toutes les femmes noires et racisées, n'ayez pas peur d'échouer publiquement. Allez-y! Rêvez librement! Apprenez, relevez-vous et réessayez.» Un message doux-amer.
Alors que les produits d'Ami Colé sont toujours disponibles en ligne et chez Sephora, il est encore temps de se ruer pour en acheter et refaire ses stocks.
