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Prix IgNobel: quand science rime avec humour

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Jean-Philippe Lepage

2025-11-20T11:00:00Z
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Vache: On les présente souvent comme des anti-Nobel et c’est peut-être pourquoi, même s’ils existent depuis 1991, les Prix IgNobel demeurent méconnus. Ils récompensent pourtant des réalisations qui, même si elles font rire, nous font aussi réfléchir, comme le veut leur slogan.

Les Prix IgNobel – jeu de mot phonétique avec le mot «ignoble» en anglais – célèbrent les recherches créatives qui sortent des sentiers battus tout en ayant ce petit quelque chose qui suscite la curiosité et l’intérêt pour les sciences. Marc Abrahams, mathématicien, rédacteur en chef et cofondateur de la revue scientifique au contenu humoristique Annals of Improbable Research (Annales des recherches improbables), en est le créateur.

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L’idée d’un mathématicien

Abrahams a raconté dans le livre Les Prix IgNobel (2006) que l’idée lui est venue lorsqu’il est devenu rédacteur en chef, en 1990. Dès lors, nombre de chercheurs en quête de reconnaissance, croyant mériter un prix Nobel, se sont mis à lui demander son aide pour arriver à l’obtenir. «J’avais beau leur expliquer que je ne disposais d’aucune influence, ils finissaient toujours par m’abreuver en détail de toutes leurs recherches et des mérites qui devraient leur revenir, a-t-il expliqué. Parfois, ils avaient raison. Ils méritaient bien un prix, mais peut-être pas le Nobel...»

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Un comité bien spécial

Une fois la décision prise de lancer les Prix IgNobel, il a également été décidé qu’ils récompenseraient les recherches particulièrement loufoques et dérangeantes. Un Bureau des gouverneurs des Prix IgNobel a été mis sur pied pour choisir les lauréats. Ce comité spécial comprend des rédacteurs de la revue scientifique, des scientifiques – incluant d’authentiques Prix Nobel! – des journalistes et des personnalités représentant une panoplie de domaines. Toutefois, tout cela reste très informel, au dire d’Abrahams.

Des catégories qui varient

Dix prix sont remis chaque année dans 10 catégories, mais celles-ci varient selon les éditions. Ces catégories sont largement calquées sur celles des prix Nobel (physique, chimie, psychologie ou médecine, littérature, paix, économie), mais elles s’étendent aussi à d’autres branches scientifiques, comme les mathématiques. Certaines reviennent presque tous les ans, comme la chimie, la physique et la médecine, alors que d’autres, telles que la nutrition ou l’ingénierie, sont plus ponctuelles. Les catégories et les recherches primées ne sont dévoilées que lors de la soirée de gala de l’année en question.

Mike Benveniste
Mike Benveniste

Une cérémonie décalée

Les prix sont remis lors d’une cérémonie tenue devant public et retransmise en direct sur le web. Le premier gala, en 1991, s’est tenu à une heure tardive, alors que 350 personnes s’étaient entassées dans le musée du MIT (Massachusets Institute of Technology). «Cette année-là, nous avions invité quatre authentiques Prix Nobel pour nous seconder, se souvient le mathématicien dans son livre. Tous sont arrivés affublés de lunettes à la Groucho Marx, de nez de clown et de chapeaux rigolos.» La cérémonie, ouverte à tous, a été un franc succès. À tel point que, l’année suivante, il a fallu trouver un nouvel emplacement plus vaste. Tradition oblige, aujourd’hui encore, l’événement est empreint d’humour, et il est entrecoupé de lancers d’avions en papier et de mini «non-opéras».

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Bien que souvent burlesques, les Prix IgNobel demeurent également engagés dans un cadre académique, chose que les chercheurs apprécient. À preuve, selon le site web, le comité des Prix IgNobel recevrait quelque 9000 candidatures par année.

D’IgNobel à Nobel tout court!

Andre Geim: Bengt Oberger/Wikimédia / grenouille: Lijnis Nelemans Wikimédia
Andre Geim: Bengt Oberger/Wikimédia / grenouille: Lijnis Nelemans Wikimédia

Physicien britannique d’origine russe, Andre Geim a reçu le prix IgNobel de physique en 2000 pour avoir démontré qu’il pouvait faire léviter une grenouille grâce à son magnétisme intrinsèque. L’expérience du scientifique – qui a suggéré qu’un dispositif magnétique similaire pourrait également servir à faire léviter un être humain – est devenue virale, à tel point que, selon le média web Futura-Sciences, un chef religieux britannique se serait dit prêt à payer un million de livres pour pouvoir léviter devant sa congrégation! Puis, en 2010, Geim a été lauréat du prix Nobel de physique pour ses travaux sur le graphène, un composé de carbone qui a ouvert de nouvelles perspectives expérimentales grâce à sa résistance et à ses propriétés conductrices.

Des IgNobel de la paix en tous genres

Les récipiendaires d’un IgNobel de la paix comptent autant:

- Des personnalités, par exemple l’ancien président français Jacques Chirac, qui s’est vu décerner ce prix en 1996 pour avoir commémoré le 50e anniversaire d’Hiroshima en relançant les essais nucléaires dans le Pacifique, ou encore le japonais Daisuke Inoue, qui l’a raflé en 2004 pour avoir inventé le karaoké et avoir ainsi offert aux gens une nouvelle façon d’apprendre à se tolérer les uns les autres.

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- Des pays, comme l’Inde et le Pakistan, qui l’ont remporté conjointement en 2020, parce qu’elles sont deux nations nucléaires qui jouent à la provocation mutuelle.

- Des chercheurs, comme cette équipe formée d’Ethan Beseris, Steven Naleway et David Carrier, qui a été récompensée en 2021 pour avoir testé l’hypothèse selon laquelle les humains auraient développé la barbe pour se protéger des coups de poing au visage.

En vrac

Quelques recherches improbables primées

- En 1993, un IgNobel de littérature a été remis aux 976 coauteurs d’un article de recherche médicale «qui a cent fois plus d’auteurs que de pages».

- Le physicien Robert Matthews s’est vu décerner l’IgNobel de physique en 1996 pour son travail sur la loi de Murphy, étudiant entre autres la raison pour laquelle les rôties tombent toujours sur leur côté beurré ou tartiné.

- Bernard Vonnegut, chercheur en sciences de l’atmosphère, a raflé un IgNobel de météorologie en 1997 pour son travail de recherche dont le rapport est intitulé Le plumage des poulets comme mesure de la vitesse des vents des tornades.

- En 1998, le Canadien Troy Hurtubise s’est vu remettre un IgNobel d’ingénierie et de sécurité pour son armure de protection conçue pour étudier les grizzlys de près.

- Trois chercheurs américains ont obtenu l’IgNobel de physique de 2009 pour leur travail sur la raison qui fait en sorte que les femmes enceintes ne sont pas constamment en train de basculer vers l’avant.

- En 2014, quatre chercheurs ont été récompensés du prix IgNobel de physique pour avoir expliqué la physique derrière le fait de glisser sur une pelure de banane.

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Les gagnants 2025

De la physique des pâtes aux vaches repeintes en zèbres, voici les 10 gagnants de la 35e édition des Prix IgNobel, qui a eu lieu à Boston, aux États-Unis, le 18 septembre, soit un mois avant les vrais Nobel.

ISTA
ISTA

La physique des pâtes

Ce sont des Italiens qui ont été récompensés en physique pour une étude «traitée aux petits oignons»: comment éviter la formation de grumeaux lors de la préparation d’une sauce cacio e pepe. «Vous imaginez que ces travaux confirment tous les stéréotypes sur les Italiens, notamment que nous ne pensons qu’à la cuisine, mais ce n’est pas vrai», s’est défendu un des lauréats, en arborant une toque de chef cuisinier.

Sur le bout des ongles

William B. Bean, décédé en 1989, a consacré une bonne partie de sa vie à travailler sur ses propres ongles. Pendant 35 ans, ce chercheur a mesuré, enregistré et publié tous les 5 à 10 ans des textes relatifs à leur croissance. «Il faisait une petite marque sur ses ongles, puis les observait attentivement pendant qu’ils poussaient», a raconté son fils Bennett, venu chercher l’anti-Nobel de littérature.

Wikimédia
Wikimédia

Ego, mais pas trop

Qu’arrive-t-il à un narcissique quand on lui dit qu’il est intelligent? C’est l’objet de l’étude menée par une équipe de chercheurs polono-canado-australienne. «Si tu es extraordinaire et que tu le sais, tape dans tes mains», ont lancé au public les lauréats de cet anti-Nobel de psychologie.

Daniele Dendi et al
Daniele Dendi et al

Pizzas et lézards

Ainsi donc, les lézards mangent des pizzas. C’est du moins ce que se sont dit des chercheurs observant des lézards chaparder des restes de plats dans des hôtels au Togo. Ils ont même poussé leur appétit de connaissance jusqu’à déterminer que la variété quatre fromages était leur préférée. Un anti-Nobel de nutrition à savourer.

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Mère et ail

L’anti-Nobel de pédiatrie a récompensé des travaux portant sur ce que ressentent les bébés allaités lorsque leur mère mange... de l’ail. Et, surprise, «les nourrissons ont apprécié le goût de l’ail», a déclaré l’une des lauréates.

La vache!

Vache: Tomoki Kojima et al / Lauréats: YouTube/Improbable Research
Vache: Tomoki Kojima et al / Lauréats: YouTube/Improbable Research

Une équipe de chercheurs japonais a décroché l’anti-Nobel de biologie en montrant que repeindre des vaches avec des rayures, comme des zèbres, leur permettait de se protéger des mouches. Pendant que l’un des chercheurs recevait la récompense, ses collègues se sont mis à tourner autour de lui avec de fausses mouches sur des pancartes, jusqu’à ce qu’il enlève sa veste pour révéler une chemise à rayures zébrées.

La diète du Teflon

L’anti-Nobel de chimie a été décerné à une équipe ayant proposé de gonfler le volume des aliments en leur ajoutant de la poudre de Teflon, ce revêtement chimique utilisé dans les ustensiles de cuisine antiadhésifs. Le but? Obtenir une sensation de satiété sans calories supplémentaires!

Alcool et langues étrangères

Boire de l’alcool – mais en quantité moindre qu’une pinte de bière – permet de mieux parler une langue étrangère. L’équipe de scientifiques germano-néerlando-britannique qui a remporté l’anti-Nobel de la paix a eu cette idée en notant que «les Allemands saouls prononcent mieux le Néerlandais que des Allemands sobres».

Alcool et vol des chauves-souris

Getty Images/iStockphoto
Getty Images/iStockphoto

Cette fois, ce sont les chauves-souris qui étaient l’objet des recherches des vainqueurs de l’anti-Nobel de l’aviation. Ils ont démontré l’incapacité de ces mammifères à voler après avoir ingéré de l’alcool via leur régime alimentaire de fruits fermentés. «Le problème, c’est que les chauves-souris aiment l’alcool», ont-ils souligné.

Chaussures de l’enfer

Les lauréats indiens ont reçu l’anti-Nobel de l’ingénierie pour avoir réussi à prouver que les chaussures sentant mauvais nuisent à l’expérience positive liée à l’utilisation d’un range-chaussures. Et cela, grâce à l’aide de «nez humains courageux», ont-ils déclaré.

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