«Pointe de l’iceberg»: les accusations liées à des abus physiques sur des enfants explosent au Québec
«C’est quand même surprenant de voir le nombre de dossiers qu’on traite», confie une lieutenante-détective du SPVM


Laurent Lavoie
Les accusations criminelles liées à des abus physiques sur des enfants ont bondi de 67% en sept ans au Québec, un portrait alarmant qui ne pourrait être que la «pointe de l’iceberg», s’inquiètent des acteurs du milieu policier et de la protection de la jeunesse.
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«Il n’y a pas de profil type [d'accusé]. C’est présent dans tous les milieux socio-économiques», résume avec lucidité la procureure de la Couronne Kahina Rougeau Daoud, de l’équipe d’abus physiques contre des mineurs et de violences sexuelles, à Montréal.
Entre 2018 et 2024, les chefs d’accusation pour des crimes en contexte d’abus physiques sur un mineur sont passés de 1213 à 2035 dans la province, selon des données obtenues par Le Journal auprès du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).
Les voies de fait et les voies de fait armées sont les plus fréquentes. On parle ici notamment de coups de ceinture, de fouetter un enfant avec des fils de téléphone ou de lui tordre des bras.
Les gestes peuvent aussi être survenus en marge de crimes sexuels, ou encore lors de cas de séquestration. Bref, les exemples sont aussi nombreux qu’horribles.
«Quand on met les pieds dans des endroits comme la DPJ ou nos unités [d'enquête], on voit l’ampleur de la situation», confie Mélanie Provencher, lieutenante-détective à la section des abus physiques et décès d'enfants à la police de Montréal.
«C’est quand même surprenant de voir le nombre de dossiers qu’on traite», dit-elle, en soulignant qu'on «sous-estime vraiment» la quantité de victimes d’abus.
Effet domino
Selon plusieurs observateurs, la COVID-19 aurait en partie contribué à l'explosion de ces cas. La détresse psychologique et les problèmes de consommation ont pris de l’ampleur durant le confinement.
«Pour moi, c’est la pointe de l’iceberg, lance la journaliste et militante pour la protection des enfants Nancy Audet. On avait déjà une grande fragilité avant [la pandémie], et ça a juste exacerbé plusieurs problématiques. Ça a juste fragilisé encore plus nos services.»

Cette période a aussi été marquée par une flambée de violences à travers la province, notamment en contexte conjugal. Inévitablement, il y a eu des répercussions sur les petites victimes.
«Ça fait effectivement partie des dossiers qu’on a dans nos bureaux, rapporte Me Kahina Rougeau Daoud. Il y a de la violence tant envers les conjointes qu’envers les enfants.»

Garderies et écoles
Autre fait marquant, il y a eu une «explosion» dans la dernière année des signalements dans les milieux institutionnels, comme les garderies et les écoles, remarque la lieutenante-détective Provencher.
Cela serait dû à une volonté grandissante de dénoncer et à l’arrivée du Protecteur national de l’élève, qui traite les plaintes dans le réseau scolaire québécois.
«Les gens ont une voie de communication pour que des mesures soient prises», constate Mélanie Provencher.
Me Kahina Rougeau Daoud rappelle que plusieurs «mesures de protection» sont prévues pour appuyer les victimes mineures durant les procédures judiciaires.
Leur identité est protégée du public. Il est aussi possible de témoigner à distance ou encore devant un paravent, loin du regard de leur agresseur.
Ce qu’elles ont dit...
«La maltraitance est toujours d’actualité. On n’est plus dans les années 1950, mais, malgré tout, elle est toujours d’actualité.» – Julie Cailliau, directrice de l’Observatoire des tout-petits
«Ce n’est pas de ne pas se mêler de ses affaires de signaler un abus potentiel. C’est un devoir citoyen que tout le monde devrait faire.» – Audrey Simard, inspectrice à la division des crimes sexuels du SPL
«C’est énorme. En moins d’une décennie, une augmentation de 67%, ça nous fait une courbe rapide et c’est ça qui est inquiétant.» – Dre Cécile Rousseau, pédopsychiatre
«Je trouve qu’il manque encore le filet de sécurité nécessaire pour nos enfants. Il n’y a pas de services pour les familles.» – Me Valérie Assouline, avocate spécialisée en droit de la famille et de la jeunesse
«Au Québec, pour une raison qui m’échappe, on n’en parle pas suffisamment, on n’en parle pas beaucoup, mais on a quand même un problème de maltraitance qui est assez majeur.» – Nancy Audet, conférencière et militante pour la protection de la jeunesse
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