Patrice L’Ecuyer se lance un grand défi à 65 ans
Patrice L’Ecuyer est en tournée avec son spectacle avec «Après seulement 32 ans d’absence sur scène». Infos: patricelecuyer.com.
Michèle Lemieux
À 65 ans, alors qu’il n’a plus rien à prouver, Patrice L’Ecuyer monte sur scène pour nous présenter son premier one man show en carrière. Avec Après seulement 32 ans d’absence sur scène, l’animateur, acteur et humoriste se livre comme jamais, nous permettant de découvrir l’homme à travers sa vulnérabilité, ses peurs et ses insécurités. Malgré une jeunesse ingrate, Patrice n’a jamais cessé de croire en son rêve, et il a eu raison de persévérer. Non seulement sa carrière a largement dépassé ses attentes, mais elle est une véritable inspiration pour plusieurs.
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Patrice, pourquoi t’es-tu lancé ce défi de monter seul sur scène pour la première fois en carrière?
C'est drôle, parce qu'il y a bien des gens qui ne comprennent pas. Moi, ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne comprenne pas! (sourire) Je ne pensais pas qu'on pouvait réaliser de grands rêves à 65 ans. Il ne faut jamais arrêter de rêver dans la vie. Pourquoi on s'arrêterait d'avancer à cause de notre âge? Si on a le goût d'arrêter, je comprends très bien qu’on puisse le faire. Mais moi, je n'ai jamais travaillé dans ma vie: je me suis toujours amusé. Mon métier est une passion. Pourquoi je m’en priverais? C’est sûr que si le monde ne veut plus me voir, je vais comprendre très vite...
Quand tu as parlé de ton projet, ta blonde a-t-elle été derrière toi?
Ma blonde a été derrière moi tout de suite. Elle m’a demandé si je le sentais. Oui, je sentais que c’était la chose à faire. Elle était bien contente pour moi. Elle ne veut pas venir voir le show avant la première. Mes filles n’ont plus. Les gens qui me suivent depuis longtemps, qui sont près de moi, savent que j’ai toujours voulu faire ça.
Est-ce qu'il y a des gens qui n'ont pas compris ta démarche?
J'ai des amis dans le métier qui me demandent pourquoi je me mets en danger ainsi. Ils ne comprennent pas. On dirait qu'il y en a beaucoup qui ne veulent plus faire de scène de peur d’avoir des blancs. Moi, je ne suis pas rendu là. Si c’était le cas, je ne le ferais pas. Je n'ai pas l'impression de me mettre en danger plus que je l'ai fait par le passé.
Tu as toujours été discret sur ta vie, mais avec ce show, tu te dévoiles beaucoup. Qu'est-ce qu'on va apprendre sur toi?
Les gens qui vont sortir de ce spectacle vont avoir l'impression de me connaître. Je suis exactement le même gars que dans la vie. On va me voir, entre autres, très vulnérable. Je raconte mes débuts, mes grandes déceptions et ma naïveté face à ce métier-là. Normalement, je devrais être dans la salle, pas sur scène. Quand on voit des gens qui ont du succès, on a l'impression que tout a toujours été facile. Ça n’a pas été mon cas. Quand j'avais 16 ans, j’ai dit à ma blonde que je voulais faire ce métier. Elle a tellement ri qu’elle est tombée à la renverse dans un banc de neige. Ça m'avait fait quelque chose... On a souvent l'impression qu’on ne peut pas faire ce qui nous plaît, qu’on ne mérite pas ça. Et on se prive. Pourquoi ne pas rêver? Pourquoi ne pas essayer?
Après tout, rendu dans la soixantaine, qu’est-ce qui peut t’arriver?
Effectivement. Ils me barreront! (rires) J’éprouve un certain détachement, quand même. Certains me disent que ça prend du courage pour me dévoiler ainsi. Je leur réponds: «Mais qu’est-ce que tu veux qu’il m’arrive?» Avec ce show, on comprend comment j’ai grandi dans ce métier, d'où je viens, qui m’a donné mes premières chances, mais je parle aussi de ceux qui m’ont donné des jambettes.
Si ta blonde a ri autant à l'idée que tu deviennes humoriste quand tu avais 16 ans, était-ce parce que tu n'étais pas un gars flamboyant qui semblait prédestiné à une carrière d’humoriste?
Je faisais rire, c'est sûr, mais mon adolescence a été très ingrate. J’étais maigre, maigre, maigre. Une grande échalote. J’étais un professionnel de l'acné. J’avais les dents par en avant. Pire que Gilles Latulippe. Il fallait que je force pour fermer mes lèvres parce que mes dents du haut étaient très avancées et celles du bas, très reculées. Quand je raconte ça, les gens ne me croient pas. Quand j’étais jeune, j’ai eu des broches. Des années plus tard, j’ai revu mon orthodontiste. Il venait à peine de jeter mon moule. Après toutes ces années, j’étais le seul cas qu’il avait conservé, car j’étais son pire cas en carrière...
Son pire, vraiment?
Oui. Quand je dis que mon enfance a été ingrate... À l’époque, j’étais le seul de l’école à porter des broches, et en métal! On m’appelait Dents d’acier. Mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent. Acheter des broches en 1972, ça coûtait à peu près le même prix que ça coûte aujourd'hui. Si mes parents n'avaient pas pris cette décision-là, je n’aurais pas eu la même carrière. Je ne dis pas que je n'aurais jamais travaillé, mais j’aurais eu une autre carrière. Chose certaine, je n’aurais pas joué dans Blanche...
Clovis, le bel amoureux de Blanche, qui a fait chavirer les cœurs...
Oui. Quand tu es connu, les gens ont l'impression que tu as un succès extraordinaire avec les filles. Au contraire! Dans ma carrière, j’ai eu des occasions. Tout le monde les voyait autour de moi... sauf moi! Je n’allumais pas du tout! Les gens sont surpris d’apprendre ça. Certains m’ont demandé pourquoi je me dénigrais comme ça. Je ne me dénigre pas: c’est ce que j’ai vécu. Tout ce que je raconte dans le show est vrai.
Patrice, il faut quand même parler de ta détermination. Tu as composé avec le doute et tu as réussi à t’en faire un ami, si j’ose dire...
La réalité — en toute bonne foi, comme disent les Français —, c'est que j'ai le cul bordé de nouilles. J'ai été tellement chanceux! Chaque fois que j'ai frappé un mur dans ma carrière, il y a toujours eu des gens pour m’aider. Un de mes profs de théâtre avait lâché la LNI deux jours avant le début de la saison. Son coach était mal pris, alors il lui a suggéré de me prendre, car il m’avait comme élève. C'est comme ça que j'ai mis le pied dans la LNI. Monique Duceppe m’a confié mon premier grand rôle au théâtre, à Sorel en 1988. Le propriétaire de la salle ne voulait rien savoir. J'étais un jeune, je n'étais pas connu, mais les sœurs Duceppe, Louise et Monique, se sont battues pour que j’y sois. Après une semaine, les billets étaient vendus pour l'été. Moi, je n'ai rien demandé. Ce sont les autres qui l'ont fait pour moi. Je pense à Dominique Michel qui a parlé de moi pour que je fasse partie du Bye Bye. Je n'étais pas connu. J'ai été chanceux.

As-tu déjà eu envie d’abandonner?
Oui. Souvent dans ce métier, j’ai eu envie de lâcher parce que ça a été long avant que ça décolle. Ça a pris au moins sept ou huit ans.
C’est plein d’espoir, car tu as réussi à avoir la carrière que tu souhaitais, et plus encore!
Je pars de loin, c’est certain. C’est plus facile de rester terre à terre quand tu es conscient que ce n’est pas juste toi, mais qu’il y a du monde qui t’aide. Je connais du monde bien plus talentueux que moi, des gens qui ont plus de charisme, mais ils n’ont pas eu ma chance. Mille et une affaires peuvent arriver dans ce métier-là. Moi, j’ai été chanceux tout le temps. Quand j’ai commencé à animer, il n’y avait pas de jeune animateur à la télévision. Radio-Canada ne voulait rien savoir. Avant les réseaux sociaux, le public envoyait des lettres et des télégrammes à Radio-Canada, ou téléphonait. Avec Jean Bissonnette, on venait de commencer Les détecteurs de mensonges. Ça marchait fort! Il est venu me voir avec une pile de lettres du service des relations publiques. C’était les commentaires des gens qui disaient que je me tenais croche, que je parlais trop fort et trop vite, que je n’articulais pas. Jean riait de ça. Au début, moi aussi, mais un moment donné, j’ai arrêté de rire. J’ai commencé à perdre confiance en moi. Jean me disait: «Ça marche? Alors ne les écoute pas.» C’est une leçon que j’ai retenue: on ne peut pas plaire à tout le monde. Ça n’arrivera jamais. Si on ne l’accepte pas, on sera malheureux.
Amorcer une tournée a-t-il exigé une certaine préparation, ne serait-ce que physiquement?
Oui, j’ai commencé à m’entraîner en prévision du show. J'ai appelé Nathalie Lambert au MAA Club Sportif en lui disant qu’il fallait que je me mette en forme. Ça fait un an que j’ai un entraîneur. On m’a pris en main pour me remettre sur pied. Je partais de loin. J'ai complètement arrêté de boire, non pas parce que j'avais un problème de boisson. Je ne prends pas une goutte. Si le show dure trois ans, je ne sais pas dans quel état je vais être rendu là. Alors je bouge, je me tiens en forme, je mange sainement. Quand j’étais plus jeune, sans en être conscient, je faisais attention. Il fallait que je sois en forme. À mon âge, c'est encore plus important...
As-tu un rituel avant d’entrer en scène?
La seule chose que je fais avant d'entrer en scène, c'est d’aller en coulisses pour écouter le public. Quand ça parle fort dans la salle avant un spectacle, c'est sûr que ça va être un bon show. Quand ça murmure, ça va être un public timide. Ça peut être très bon, mais c'est tout le temps plus difficile. Alors j’écoute et quand ça ne parle pas fort, je me dépêche de m'en aller pour ne pas me décourager. (rires)
Et après toutes ces années de carrière, ressens-tu encore le trac?
Je l'ai vécu les premières semaines, mais moi, ça ne m’a jamais paralysé. J’aime ça: ça me stimule. Peut-être que lors des premières à Québec et Montréal, ce sera pire...
As-tu une superstition quelconque liée à la scène?
Je ne suis pas tellement superstitieux, mais comme je viens du théâtre, il y a une couleur que les gens ne mettent pas sur scène et c’est le vert. C'est une superstition qui m'a été transmise par les plus vieux acteurs avec lesquels je travaillais: tu ne portes jamais de vert sur scène. La vraie raison, c’est que dans le temps du théâtre classique, les gens portaient du vert et mouraient parce que cette couleur était faite avec de l’arsenic. C’était donc toxique. C’est pour cette raison qu’on disait qu’il ne fallait pas porter de vert, car ça portait malheur. Quand est venu le temps de discuter de ce que j’allais mettre sur scène, on m’a proposé un vêtement vert, mais je n’ai pas osé. Je n’ai pas de superstition... mais je repensais aux grands de théâtre avec lesquels j’ai grandi: Jean Duceppe, Andrée Lachapelle, Rita Lafontaine, Raymond Bouchard, qui ne jouaient jamais en vert. J’ai décidé de ne pas en porter.