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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Mémoires d’un ex-voyou du métro Frontenac

Plus jeune, le poète Tommy Height a fait les 400 coups autour (et sur le toit) de la station

Tommy Height tient son livre sur le quai de la station qui a déjà été le centre de son monde.
Tommy Height tient son livre sur le quai de la station qui a déjà été le centre de son monde. Photo Louis-Philippe Messier
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Photo portrait de Louis-Philippe  Messier

Louis-Philippe Messier

2021-08-23T05:00:00Z
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À l’intérieur de Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.


Le Centre-Sud garde le cachet brut malfamé et l’énergie du Montréal des années 1990. Lorsqu’un ami m’a parlé d’un « bum du métro Frontenac » qui publie un recueil de poèmes fulgurants sur sa jeunesse dans ce recoin de la ville qui me fascine, j’ai voulu y déambuler avec l’écrivain.

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À l’origine, le mot voyou désignait les enfants de la rue comme Tommy Height.  

« J’étais assez turbulent et je me battais souvent », me confie l’homme de maintenant 40 ans, qui lançait jeudi son premier recueil de poésie intitulé, comme de raison, Métro Frontenac.

Pour le jeune Tommy, l’édicule de la station Frontenac était un quartier général. Lui et ses amis grimpaient dessus, c’était leur terrasse. 

« Le mur arrière était incliné à 45 degrés. En courant, on parvenait à monter sur le toit. »

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Plusieurs de ses poèmes racontent ces heures entre amis sur le toit de la station. Il apportait une radio, des cassettes de rap et un calepin pour noter ses idées de textes.

« Sur le métro avec mes chums, j’avais la paix... jusqu’à tant que la police nous débarque ! On pouvait voir le coucher de soleil à l’ouest. »

Sexe mania

Lorsqu’il était enfant, Tommy aimait à faire irruption dans le bar de danseuses Sexe Mania, avec ses amis, jusqu’à ce que les portiers les chassent.
Lorsqu’il était enfant, Tommy aimait à faire irruption dans le bar de danseuses Sexe Mania, avec ses amis, jusqu’à ce que les portiers les chassent. Photo Louis-Philippe Messier

Des surdoses, des règlements de compte et des suicides lui ont coûté des amis. Tommy, lui, a su éviter le pire.

« J’ai été arrêté souvent, mais j’ai jamais fait de prison », résume-t-il.

Préadolescent, Tommy passait chaque jour devant le bar de danseuses Sexe Mania.

« Quand j’avais 8 ou 9 ans, avec deux de mes amis, on vérifiait si la porte secondaire était verrouillée. Si elle ne l’était pas, on crissait un coup de pied dedans, on rentrait et on courait partout. On se faisait sacrer dehors par les portiers. Les danseuses trouvaient ça drôle. Elles riaient sur le stage. »

Tommy m’invite à la boulangerie italienne Capri, où il se procure un gros morceau de pizza froide aux tomates. 

« J’ai mangé ça des centaines de fois pendant mon enfance, c’était très souvent ça mon dîner. Ça ou de la poutine. »

Autre lieu significatif : le McDonald’s. 

« La nuit, on allait se battre au McDo. C’est ça qu’on faisait. On n’avait rien à faire. »

Quand il faisait trop mauvais pour aller sur le toit du métro Frontenac, il se réfugiait à la Maison des jeunes ou à la bibliothèque, où il dévorait des bandes dessinées.

Débrouillard et travaillant comme jeune adulte, il multiplie les emplois. Il creuse des piscines. Il conduit des chariots élévateurs.

Sauvé par le hip-hop

Le poète tient à laisser chaque semaine un exemplaire de son recueil sur un banc du métro.
Le poète tient à laisser chaque semaine un exemplaire de son recueil sur un banc du métro. Photo Louis-Philippe Messier

En lisant Métro Frontenac, on comprend que c’est le hip-hop qui a évité au futur poète de mal finir. 

Son premier emploi valorisant fut chez Musique Plus : sa connaissance du rap y était une compétence payante. 

Tommy gagne maintenant sa vie comme rédacteur pour la compagnie de pièces de vélo Kindernay. Il n’a jamais terminé son secondaire. Lecteur vorace, il s’est nourri de nombreux poètes et paroliers.

Le titre de ma chronique parle de « mémoires », parce que ses poèmes nous injectent de bribes de souvenirs. J’ai l’impression d’être moi-même déjà allé sur le toit du métro Frontenac avec mes amis en attendant la police...


Métro Frontenac, Tommy Height, Hurlantes éditrices, 2021, 92 pages.

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