En kayak sur la nappe phréatique de Montréal
Notre chroniqueur a vécu l’expérience surréaliste d’une balade en kayak dans une caverne de Montréal


Louis-Philippe Messier
À l’intérieur de Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
J’ai le vertige... Mon kayak semble voler, façon chasse-galerie, suspendu au-dessus d’un canyon. Je suis sur la nappe phréatique de Montréal. Sur une eau si cristalline que j’aperçois même le fond à six mètres en dessous.
Le spéléologue Daniel Caron me guide dans la nouvelle section de la caverne de Saint-Léonard, surnommée « Galerie de l’Écho », qu’il a codécouverte en 2017, en attirant même l’attention du National Geographic.
Environ dix mètres de roc au-dessus de nos têtes nous séparent des terrains de baseball du parc Pie-XII, à Saint-Léonard.
Nos embarcations flottent sur quelque six mètres de liquide invisible. Ces eaux de pluie ont percolé jusqu’ici et mettront des années à rejoindre la rivière des Prairies.
Le corridor est trop étroit pour retourner les kayaks, sauf, de justesse, à deux endroits. Il faut parfois évoluer à reculons. Les parois, l’air, l’eau, tout ici bas reste en permanence à 8 °C, été comme hiver.
Origines

Les murs parfaitement verticaux et le plafond plat et droit semblent conçus par un architecte.
« Des théories loufoques ont circulé au sujet de ces corridors caverneux, certains disaient que c’était les mêmes concepteurs que [ceux] des pyramides égyptiennes, d’autres parlaient d’extraterrestres », me raconte en riant M. Caron.
La réalité est moins romanesque : un glacier de quelque trois kilomètres de hauteur recouvrait Montréal il y a 15 000 ans.
Ce mastodonte a glissé et écartelé la terre en élargissant une fissure préexistante.
« Si tu regardes les parois, tu vas voir qu’elles s’emboîtent parfaitement comme un casse-tête », me fait remarquer le spéléologue.
Au détour d’un canal, je sursaute lorsque soudain quelqu’un se met à parler derrière moi, mais c’est un caprice de l’écho, une sorte de mirage auditif.
Ouvrir au public

Vice-président de Spéléo Québec, Daniel Caron rêve de faire découvrir sa Galerie de l’Écho au public. Ce vétéran pratique la spéléologie depuis 1968. C’est lui, notamment, qui a convaincu l’arrondissement de Saint-Léonard, en 1982, d’ouvrir sa caverne au public. Avec les nouvelles galeries découvertes, ce site est devenu unique : « Montréal est la seule ville du monde à posséder une telle merveille cavernicole ; faire du kayak sur la nappe phréatique, c’est incroyable ! » dit-il.
Il me montre comment l’endroit pourrait être aménagé afin de permettre les visites sans endommager les lieux et pour éviter aux visiteurs d’avoir à patauger dans l’eau glaciale jusqu’à la taille comme j’ai dû le faire pour accéder aux kayaks.
Conseiller de Saint-Léonard, Dominic Perri me parle d’un projet que son arrondissement vient de proposer à Infrastructure Canada dans l’espoir d’obtenir du financement.
« Une sorte de musée accueillera les visiteurs, qui apprendront sur les cavernes, avant de pouvoir eux-mêmes y descendre », m’explique-t-il.
Il est anormal qu’une telle merveille existe sans que les Montréalais y aient accès (à moins d’être un journaliste dans le cadre d’un reportage). Bientôt, la ligne bleue aura une station (Lacordaire) non loin du parc Pie-XII. Le REM doit aussi passer près de là. Pour le projet de Spéléo Québec et de Saint-Léonard, les astres s’alignent.