Marie-Annick Lépine sauvée par la musique
L’album «Le cœur est un rêveur» est offert en magasin et sur les plateformes numériques.
Patrick Delisle-Crevier
Avant ma rencontre avec Marie-Annick Lépine, je me suis plongé dans son nouvel opus. Le son de l’album est positif, souvent rythmé et dansant, avec quelques plages plus douces et plus introspectives, telles Ne me secouez pas, Ta dernière adresse et Comme on était. Celles-ci nous rappellent le triste départ de Karl Tremblay, l’homme de sa vie, son pilier, son amoureux et le père de ses deux enfants. J’avais quelques fois interviewé Marie-Annick tandis qu’elle était entourée de ses Cowboys, mais il s’agissait d’une première rencontre en tête à tête. Radieuse, pétillante, rayonnante, elle s’est livrée comme jamais et s'est révélée un véritable coup de cœur.
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Marie-Annick, comment vas-tu?
Ça va. J’ai eu une grosse semaine de promotion, que je termine avec toi. Je dois avouer que j’ai trouvé le mois de février très difficile. Le décès de mon père, Serge (le 30 janvier), a comme été la goutte de trop. J’ai eu de la misère à traverser les premières semaines de ce mois froid, alors j’ai décidé de partir six jours dans le Sud avec mes filles, Pauline, 9 ans, et Simone, 12 ans. Pas de ménage, pas de lavage, pas de vaisselle, pas de lunch, pas de souper, pas de devoirs... Juste un break qui nous a fait le plus grand bien! Moi qui ne suis pas une grande sportive quand il fait -35 °C, j’ai pu bouger et nager dans la mer et la piscine. Ça nous a ressourcées et ç’a été très salvateur. C’est tant mieux, parce que je devais être en forme à mon retour, puisque je rencontrais une trentaine de journalistes. Disons qu’avec l’état émotif dans lequel j’étais avant de partir, je ne me sentais pas d’attaque.
Par le passé, tu avais l’habitude d’être avec Les Cowboys Fringants pour les entrevues. Appréhendais-tu cette tournée médiatique en solo?
Oui, j’étais très nerveuse au début et j’avais peur de l’accueil qui allait être réservé à mon album. Mais la glace a été brisée rapidement, et les commentaires à propos de mon disque n’ont été que positifs, alors je suis fière de moi. C’est vrai qu’habituellement, j’étais entourée de mes Cowboys, mais je me suis bien débrouillée. Cela dit, après une semaine, je commence à m’ennuyer de mes filles et j’ai hâte de retourner à la maison auprès d’elles.
Dis-moi, que représente pour toi ce quatrième album solo?
Il représente beaucoup, parce que la création de cet album est ce qui m’a fait le plus de bien depuis le décès de Karl. Ç’a été un bout rough... J’ai voulu garder le cap pour mes deux filles, alors j’ai fait de mon mieux pour tenter de combler l’immense vide laissé par Karl dans leur cœur et leur vie. J’ai travaillé fort pour leur faire passer un beau temps des fêtes et adoucir le tout. La gestion de la succession a aussi été compliquée, et par-dessus tout ça, il y avait l’épicerie, les lunchs, les devoirs... J’en ai pris beaucoup sur mes épaules, et je me suis épuisée. Il est arrivé un moment où je n’étais plus capable de suivre.
Tu t’es un peu perdue et oubliée, dans tout ça?
Oui. À un moment, je me suis rendu compte que ça faisait six mois que je n’avais rien fait pour moi-même. J’avais les enfants en solo à temps plein, donc je ne sortais plus, je n’allais plus voir les artistes au Vieux Palais, une salle de spectacle à l’Assomption dont je suis la directrice générale. Je n’avais plus le temps: j’étais une maman à plein temps et je compensais pour deux parents tout en traversant un deuil épouvantable. Je me suis dit que si je ne voulais pas tomber, je devais me trouver un projet qui allait me nourrir. Je me suis mise à l’écriture d’un album et, comme toujours, la musique m’a sauvée. Créer ce disque m’a permis de revivre un peu, et aussi de me protéger de l’automne, car j’avais peur, avec les odeurs de la saison, de revivre le départ de Karl. C’était mon premier automne sans lui, et j’appréhendais ça. Il me fallait donc un projet, je devais voir du monde. Je me suis entourée de Daniel Lacoste et de Pierre Fortin, deux vieux amis, des supers complices et des multi-instrumentistes, et nous avons construit cet album. Ce fut juste du bonheur; ce disque m’a sauvée!

Comment décrirais-tu les chansons de cet album?
C’est un disque qui tient plusieurs discours. Je ne parle pas juste de Karl et du deuil, parce que je fais partie des personnes qui écoutent encore un album du début à la fin, et c’était important pour moi que ce ne soit pas un album trop triste. Je voulais qu’il y ait différents mouvements, différents propos et différentes émotions. Ç’a été mon mandat, comme c’était le cas avec les albums des Cowboys et mes disques solos précédents. Je ne voulais pas faire pleurer les gens tout le long ni faire une thérapie de groupe. Dans la vie, il faut aussi sourire, danser et réfléchir, et les deux pièces instrumentales sont importantes pour ça. L’absence de paroles permet aux gens de se libérer l’esprit. Je pense qu’il y a un bel équilibre dans cet album, et c’est ce que je voulais. Il y a même un petit clin d’œil à la Bolduc!
Le cœur est un rêveur n’est pas ton premier disque solo, mais il a tout de même une portée différente, puisque c’est ta première carte de visite vers une carrière sans Les Cowboys Fringants. Comment perçois-tu tout ça?
La grosse différence, c’est que mes autres albums étaient des parenthèses entre deux tournées ou deux albums des Cowboys. Ils étaient non nécessaires à ma vie. Ils me comblaient, mais ce n’était pas grave si je ne faisais pas de tournée parce que j’avais mon projet principal qui me tenait occupée. Là, je n’ai plus ces spectacles avec les Cowboys, et ça me manque vraiment. Je me dis que cet album va me permettre, en attendant de voir ce qui se passera dans le futur, d’aller à la rencontre du public. J’ai une belle proximité avec lui via les réseaux sociaux. Le soir, quand je suis seule et que mes filles sont couchées, je jase avec les fans. Ça meuble ma solitude.
C’est un double deuil pour toi: celui de Karl et celui des Cowboys...
Oui, c’est un virage à 180 degrés, parce que j’ai perdu le père de mes enfants, mon amoureux de toujours et aussi mon band de musique et mon travail. Je ne suis pas encore tout à fait réadaptée; ça va prendre du temps, apprendre à vivre sans Karl. Même la paperasse occupe beaucoup de mon espace mental; il y a encore plusieurs choses à régler. Je veux réussir à rependre les rênes de ma vie, mais, pour le moment, comme je le dis dans une de mes chansons, je suis encore dysfonctionnelle.
Et Les Cowboys Fringants sans Karl, est-ce envisageable?
Je ne pense pas. Il n’est pas question de le remplacer, et on serait incapables de monter sur une scène sans lui pour l’instant. On n’est pas rendus là. Les boys et moi, nous nous parlons et textons souvent, mais il n'est pas question de recommencer à faire de la musique ensemble pour le moment. Je vais commencer mes spectacles solos en juin, je vais faire les Francos et donner quelques autres spectacles, mais pas trop, parce que je veux m’occuper de mes filles. Nous irons ensemble aux Îles de la Madeleine pour poursuivre la tradition que nous avions avec Karl, puis l’automne prochain, je vais vraiment entamer ma tournée. Refaire de la musique et retrouver le public me fera le plus grand bien.
As-tu d’autres projets, outre la musique?
Il y a une belle exposition d’œuvres inspirées de Karl qui débute au Pub Randolph de Repentigny. C’est un endroit que Karl a ouvert et qui lui tenait à cœur. Les œuvres sont magnifiques, et certains artistes remettront les profits des ventes de leurs œuvres ou de leurs reproductions à la recherche sur le cancer. Je poursuis aussi mon travail au Vieux Palais de L’Assomption. J’y dirige une magnifique chorale, et nous avons le mandat d’y intégrer des enfants de familles à faibles revenus à un coût moindre, et aussi d’offrir des spectacles au plus bas prix possible. C’est d'ailleurs à cet endroit que nous avons donné notre tout premier spectacle, le 4 juillet 1997, de même que le tout dernier, quelques jours avant la mort de Karl.