Oubliez ce qu’on vous a toujours dit: c’est bien correct de manger ses émotions


Sarah-Florence Benjamin
En grandissant, on vous a surement averti de ne pas manger vos émotions. Cette habitude à la mauvaise réputation est-elle si mauvaise pour la santé? On a posé la question à une travailleuse sociale spécialiste en troubles alimentaires pour y voir plus clair.
«Si je suis stressée ou triste, je vais spontanément penser à la nourriture. Je ne fais même pas le lien, c’est un réflexe. Je suis triste et tout à coup j’ai envie de manger du gâteau au fromage.»
Avec les années, Lou (prénom fictif) s’est rendu compte que la nourriture l’aide à apaiser des émotions négatives. Pour dire simple, elle mange ses émotions.
«La nourriture me donne du plaisir et le plaisir me distrait ou calme mon émotion négative», confie-t-elle.
Une réaction humaine normale
L’habitude de Lou n’a rien d’anormal, insiste Anne-Gaëlle Leloup, travailleuse sociale et psychothérapeute.
«Il y a toujours une composante émotionnelle à l’alimentation. Les émotions influencent ce qu’on mange, avec qui et en combien de temps», explique-t-elle.

On peut manger ses émotions pour se rassurer, se consoler ou se couper d’émotions négatives, mais on peut aussi le faire quand on vit des émotions positives.
«On peut vouloir prolonger le plaisir ou célébrer grâce à la nourriture», précise la travailleuse sociale qui s’intéresse aux relations qu’on entretient avec la nourriture.
«Tout le monde le fait, des gens de tout âge et de tous les corps», souligne-t-elle.
C’est une manière répandue de gérer ses émotions, parce qu’elle est relativement simple et facile d’accès pour une majorité de personnes.
• À lire aussi: Il faisait des crises de panique lorsqu’il mangeait trop salé ou gras
Est-ce si mauvais?
Contrairement à la croyance populaire, il n’y a rien de mauvais avec l’acte de manger ses émotions en tant que tel.
«Ça ne sert pas d’essayer de se restreindre de manger, parce que ça crée des frustrations et un sentiment de honte qui mènent souvent à plus d’excès», affirme Anne-Gaëlle Leloup.
Comme n’importe quel autre mécanisme d’adaptation, manger ses émotions peut toutefois devenir problématique dans l'excès.
«Ce n’est pas le geste le problème, mais la récurrence, parce qu’on n’a pas d’autres moyens de se réguler», estime Anne-Gaëlle Leloup.
«Si on a tendance à systématiquement faire appel à la nourriture pour faire face à ses émotions de manière répétée, chaque fois, on s’envoie le message qu’on n’est pas capable de tolérer l’émotion», précise-t-elle.
• À lire aussi: Qu’est-ce que la bigorexie, le trouble qui pousse à se surentraîner?
La faute de la culture des régimes
Manger ses émotions, c’est comme faire du sport ou appeler un ami lorsqu’on ne se sent pas bien. Pourtant, la première stratégie est beaucoup plus «démonisée», regrette Anne-Gaëlle Leloup.
«La culture des régimes est insidieuse dans notre société. On associe des valeurs à des façons de manger ou à des corps différents. Si quelqu’un gère ses émotions par le sport, on va penser que c’est une personne disciplinée, en santé. Quand quelqu’un se réfugie dans la nourriture, au contraire, c’est mal vu», déplore la thérapeute.
• À lire aussi: Mieux manger en 2024: voici 8 résolutions à adopter... plutôt qu’un régime
Que faire si ça devient problématique?
Lou a longtemps tenté d’arrêter de manger ses émotions. Sa position a toutefois changé.
«Si tu essaies juste d’enlever un mécanisme qui t’aide à gérer ton stress sans travailler sur ce qui cause ton stress, tu fais juste te faire du mal. Si je faisais juste remplacer la nourriture par autre chose, je n’allais pas mieux parce que je faisais encore de l’évitement», mentionne-t-elle.
«Maintenant, quand ça arrive, je me fais un chocolat chaud et j’essaie de ne plus badtripper.»
Si on remarque qu’on a tendance à manger ses émotions chaque fois qu’on se sent stressé, c’est une bonne idée de s’interroger sur les raisons qui nous poussent à la faire, suggère Anne-Gaëlle Leloup.
«Admettons que je suis stressée par le fait d’avoir un délai impossible à respecter pour le travail. Je peux grignoter toute la journée pour m’aider à faire face au stress, mais ça ne règle pas mon problème de départ», illustre-t-elle.
Plutôt que de chercher à se soulager avec la nourriture, il vaut mieux agir directement sur la source de stress en demandant de l’aide ou en exprimant à son supérieur que le délai n’est pas raisonnable, par exemple.
Et si le fait de manger ses émotions provoque une détresse ou un sentiment de perte de contrôle lorsqu’on mange, elle conseille de demander de l’aide professionnelle.
• À lire aussi: «J’ai des périodes de crise où je mange tout ce que je trouve»: l'hyperphagie, ce trouble alimentaire méconnu