Liberté, que d’abus on commet en ton nom !

Jacques Lanctôt
D’abord ce titre, Maudites chartes !, qui laisse entendre que l’auteur est contre les chartes des droits et libertés. À moins que ce ne soit ironique, l’auteur se métamorphosant en partisan du projet de loi sur la laïcité qui peste contre les tribunaux qui veulent se substituer aux élus ? On ne tardera pas à le savoir.
D’entrée de jeu, en préface, Alain Deneault indique les couleurs. Les gouvernements abusent de leurs prérogatives et « outrepassent le cadre de leurs fonctions », en imposant des mesures restrictives pour combattre la pandémie. Et puis il leur prête des intentions : « Qu’est-ce qui freinera le pouvoir lorsqu’il lui conviendra à nouveau d’abuser de ses prérogatives à la prochaine occasion – la médicamentation forcée des cas problèmes à l’école, la surveillance électronique des éléments troubles de la société... » Il ne faut donc pas se surprendre d’apprendre que le projet de loi sur la laïcité du gouvernement québécois brime les droits de la personne et qu’il faut y voir l’œuvre quasi satanique de Mathieu Bock-Côté et Jacques Beauchemin, deux « conservateurs ethnicistes ».
Gouvernement par les juges
Le juriste et professeur Louis-Philippe Lampron est plus nuancé heureusement. Il nous livre, dans cet ouvrage, un échantillon de ses interventions publiques sur la question des droits et libertés fondamentaux, au cœur de nombreux débats qui ont divisé l’opinion publique depuis une dizaine d’années : « Qu’il s’agisse des “crises” des accommodements religieux et de la commission Bouchard-Taylor, en passant par les nombreuses tentatives de légifération sur le port de signes religieux dans l’espace public, par le conflit étudiant de 2012 ou par les récentes restrictions découlant de l’état d’urgence sanitaire [...] : chacune de ces situations factuelles a permis de mettre en lumière des aspects particuliers du régime québécois de protection des droits et libertés de la personne. »
Or, précise Lampron, la démocratie, ce n’est pas une simple règle mathématique, où c’est « la majorité qui décide ». Le pouvoir doit protéger également les droits individuels, les droits fondamentaux comme la liberté d’expression, la liberté de religion et d’association, le droit à la vie.
En cas de doute, il reste, en ultime instance, les tribunaux où les juges sont habilités à trancher. Or, depuis la saga sur les accommodements religieux, ce « gouvernement par les juges » a pris de plus en plus d’importance. L’auteur le justifie par la nécessité qu’une institution indépendante — les tribunaux — puisse parer à d’éventuels abus de l’État.
Lampron aborde également la délicate question de la liberté d’expression. A-t-on le droit d’interdire l’accès à un colloque public de groupes radicaux comme La meute, par exemple ? Oui, répond l’auteur, « dans le cas où ces derniers ne respectent pas les conditions minimales permettant la rencontre des points de vue opposés ».
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Puis il analyse trois cas connus, dont l’affaire Mike Ward — il est contre la décision de la Cour suprême en faveur de Ward — ; et le cas de cette chargée de cours de l’Université d’Ottawa suspendue pour avoir « utilisé à quelques reprises un mot qui a choqué certain·e·s étudiant·e·s de son groupe » — il est contre la mise à l’index de mots ou d’œuvres.
Les discussions autour de la loi sur la laïcité de l’État et celles du port de la burqa et du niqab pour les employés de l’État constituent le plat principal du présent recueil. On l’aura compris, l’auteur s’oppose à toute forme d’interdiction qui risque de « porter préjudice à des femmes qui [...] croient sincèrement que ce symbole fait partie intégrante de leur identité ».
Je suis estomaqué d’apprendre que faisant partie « de l’écrasante majorité de la population québécoise — chrétien·ne·s, agnostiques ou athées — qui n’a aucun effort à faire pour respecter cette interdiction [du port de signes religieux] », je brimerais de ce fait « les membres de plusieurs groupes religieux minoritaires qui croient sincèrement devoir porter certains signes religieux pour se conformer à leur foi ». Combien de temps dois-je battre ma coulpe, maître ?