Les rats: ces héros qui sauvent des vies

Isabelle Hontebeyrie
Le mot «rat» évoque soit Rémi de Ratatouille, célèbre rongeur des studios Disney, soit la nécessité de la visite d’un exterminateur. Mais les rats sont pourtant des héros méconnus régulièrement utilisés dans la détection d’explosifs. Explications.
C’est du côté de l’organisme belge APOPO (acronyme flamand de Anti-Persoonsmijnen Ontmijnende Product Ontwikkeling, que l’on peut traduire par «Développement d'un produit de détection antimines terrestres», en français) qu’on découvre en quoi consiste l'entraînement de ces petites bêtes. Car si l'utilisation de chiens pour la détection d'explosifs est bien établie, les rats offrent des avantages spécifiques... et méconnus. Bien plus petits et beaucoup moins lourds, ils peuvent accéder à des zones difficiles d'accès pour les chiens. Les rats sont également moins susceptibles de déclencher des mines antipersonnel, sensibles aux pressions plus importantes, et qui représentent une menace constante pour les populations civiles. Leur entretien est également moins coûteux et moins complexe, un avantage non négligeable dans certaines parties du globe, où les ressources financières sont très limitées.
Des animaux incroyables...
Bart Weetjens, fondateur d'APOPO, explique dans le documentaire HeroRATs: «Les rats ont un sens de l'odorat incroyablement développé. Ils peuvent détecter des quantités infimes d'explosifs en quelques secondes, là où un humain armé d'un détecteur de métaux mettrait des heures et prendrait des risques considérables.»
L’organisation utilise des rats géants de Gambie (Cricetomys gambianus), une espèce particulièrement robuste et intelligente, pour le déminage humanitaire de terrains dans plusieurs pays d'Afrique et d'Asie. Lors d’une conférence TEDx, Bart Weetjens explique avoir «toujours été impressionné par l'odorat des animaux. L'idée d'utiliser des rats, qui sont abondants et relativement faciles à dresser, pour une tâche aussi cruciale que le déminage, m'est apparue comme une solution à la fois pragmatique et éthique.»
Le processus d'entraînement des rats démineurs est extrêmement particulier et nécessite patience et renforcement positif. Ainsi, les jeunes rats sont familiarisés dès leur plus jeune âge aux odeurs typiques des explosifs. Dans cet environnement sécuritaire et contrôlé, ils signalent correctement la présence de ces odeurs – généralement en grattant le sol au-dessus de l'échantillon – et ils sont donc immédiatement récompensés par leur nourriture préférée, en général un morceau de banane écrasée.
...et motivés
Comme l’indique Tessa Voswinkel, responsable de l'entraînement opérationnel chez APOPO en Tanzanie, l’association positive entre la détection d’explosifs et la nourriture renforce la motivation des rongeurs ainsi que la précision de leur détection. Un autre employé d’APOPO détaille: «La récompense est au cœur de notre méthode d'entraînement. Les rats sont motivés par la nourriture et l'affection. Nous ne recourons jamais à la punition ou à la contrainte. Notre objectif est de construire une relation de confiance avec chaque rat, basée sur la positivité et le respect.»
L'entraînement étant graduel, les rats apprennent au fur et à mesure à identifier les odeurs cibles dans des environnements de plus en plus complexes, simulant les conditions réelles des champs de mines. Ainsi que le souligne Tessa Voswinkel, les entraîneurs et les rats développent un lien très particulier: «Nous passons beaucoup de temps avec chaque rat, à comprendre sa personnalité et ses préférences. C'est une relation basée sur la confiance et le respect mutuel. Leur enthousiasme lorsqu'ils trouvent une mine factice et reçoivent leur récompense est palpable.»
Mais ce n’est pas tout. Les rats d’APOPO ne se contentent pas de signaler la présence d'explosifs ; ils peuvent également distinguer des débris métalliques non dangereux, ce qui accélère considérablement le processus de déminage. Leur efficacité a été prouvée sur le terrain, permettant de rendre des terres propres à l'agriculture et à l'habitation, contribuant ainsi au développement socio-économique des communautés affectées.
Bien plus que du déminage
APOPO ne s’est pas arrêtée aux activités de déminage. En effet, l'extraordinaire sensibilité olfactive des rats ne se limite pas à la détection des explosifs. Des recherches particulièrement novatrices explorent activement leur potentiel dans le diagnostic précoce de diverses maladies. Ainsi, le programme de détection de la tuberculose développé par APOPO est l'un des exemples les plus impressionnants. La tuberculose, une maladie infectieuse qui touche principalement les poumons, demeure un problème de santé mondial majeur, dont le diagnostic traditionnel repose souvent sur l'examen microscopique des expectorations. Or, cette méthode manque de précision et peut entraîner des faux négatifs, retardant par conséquent le traitement de la maladie, qui poursuit sa propagation.

Cela dit, les rats entraînés par APOPO sont capables d'identifier l'odeur spécifique des composés organiques volatils produits par la bactérie Mycobacterium tuberculosis dans des échantillons d'expectorations humaines, même en faible concentration. Cela permet de détecter la maladie avec une sensibilité supérieure à celle d’un laboratoire médical. «Dans les contextes où les ressources de laboratoire sont limitées et où la charge de la tuberculose est élevée, les rats peuvent jouer un rôle crucial en augmentant la capacité de dépistage et en accélérant l'identification des patients infectieux. Cela permet ainsi une intervention plus rapide et une réduction de la transmission», indique le Dr Armand Sprecher, dans une étude médicale publiée dans le European Respiratory Journal, en 2015.
Un avantage considérable
Dans le cas de la détection de la tuberculose, les équipes d’APOPO entraînent les rongeurs de la même manière que pour le déminage: par l’octroi d’une récompense alimentaire. Ainsi, lorsque les rats parviennent à dissocier des échantillons positifs et négatifs, ils obtiennent leur aliment préféré. Leur vitesse est également un atout: la rapidité avec laquelle les rats peuvent analyser un grand nombre d'échantillons est un avantage considérable qui permet de traiter un volume de tests bien supérieur à celui d'un technicien de laboratoire.
Pour la Dr Claire Guest, directrice générale de Medical Detection Dogs au Royaume-Uni, interviewée par la BBC, les possibilités ne font aucun doute: «Le principe de la bio détection olfactive est bien établi. Si les rats peuvent être entraînés de manière fiable pour détecter les odeurs spécifiques associées aux maladies, ils pourraient offrir une alternative intéressante aux chiens dans certains contextes, en particulier en raison de leur taille et de leur facilité de manipulation.»
Rapides, dites-vous?
Selon l’APOPO, un rat peut vérifier la présence de tuberculose dans 100 échantillons d’expectorations humaines en 20 minutes, alors qu’un technicien de laboratoire mettrait quatre jours à effectuer le même travail.
Par ailleurs, un rat peut chercher des explosifs dans une superficie équivalente à un court de tennis en 30 minutes, alors qu’un humain muni d'un détecteur de métal pourrait mettre jusqu’à quatre jours pour arriver au même résultat, explique l’APOPO.

Un entraînement et un traitement éthiques
Les responsables d’APOPO sont catégoriques. L’organisation accorde une grande importance au traitement humain des rats: leurs conditions de vie sont enrichissantes et «stimulantes» comme le souligne Bart Weetjens. Ils bénéficient des soins vétérinaires appropriés et profitent également d’une retraite bien méritée après leurs années de service. «Notre relation avec les rats est basée sur le respect mutuel et la compréhension. Ils sont nos partenaires dans cette mission vitale, et leur bien-être est primordial», dit-il. Le son de cloche est le même chez Christophe Cox, le patron d'APOPO. «Le succès de notre travail dépend directement du bien-être de nos rats. Des rats heureux et en bonne santé sont des rats efficaces. C'est pourquoi nous investissons autant dans leur alimentation, leurs soins vétérinaires, leur enrichissement environnemental et leur entraînement positif», insiste-t-il dans le rapport annuel de l’organisme. Les exemples de ce lien particulier entre les entraîneurs et les rongeurs abondent dans les vidéos de la chaîne YouTube d’APOPO. «Nous observons attentivement chaque rat pour comprendre ses besoins individuels et ses préférences. Certains aiment particulièrement les câlins, d'autres préfèrent explorer leur environnement. Nous adaptons nos interactions et nos soins en conséquence pour nous assurer qu'ils sont heureux et épanouis», explique Tesfay Tesfamichael, responsable des Opérations au Mozambique.
Et après?
Au-delà de la tuberculose, on explore activement le potentiel des rats dans la détection d'autres maladies, notamment le cancer. Des études préliminaires suggèrent que les rats pourraient être capables de détecter les composés organiques volatils spécifiques libérés par les cellules cancéreuses dans l'haleine, dans l'urine ou dans d'autres fluides corporels. Par exemple, des travaux ont exploré leur capacité à identifier des marqueurs olfactifs du cancer du poumon et du cancer de l'ovaire. Bien que ces recherches en soient encore au stade exploratoire, elles ouvrent des perspectives particulièrement impressionnantes pour le développement de méthodes de diagnostic non invasives et potentiellement plus précoces pour diverses formes de cancer.
Les rats: des animaux à haut potentiel...
Curieux et sociables, les rats sont des candidats idéaux pour d’autres emplois et pourraient ainsi contribuer à sauver des vies. Leur petite taille et leur agilité en font de précieux alliés dans la recherche de victimes de catastrophes naturelles, telles que les tremblements de terre. Ils peuvent se faufiler dans les décombres et localiser les victimes aux côtés des chiens. Des systèmes de communication légers pourraient être développés pour permettre aux rats de signaler la présence de victimes à leurs dresseurs.