Les dessous du fiasco de Lion Électrique: «Ils dépensaient comme s’il n’y avait pas de lendemain»
D’ex-employés du constructeur de véhicules électriques soutiennent que l’entreprise a brûlé les étapes
Francis Halin et Sylvain Larocque
Développement de véhicules désordonné, tests routiers insuffisants, dépassements de coûts massifs... Le Journal lève le voile sur Lion Électrique, ce pilier de la filière batterie qui a reçu plus de 200 millions $ en aides publiques et sur lequel plusieurs petits actionnaires misaient beaucoup.
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Vu par plusieurs comme un «Elon Musk québécois», Marc Bédard, le fondateur de Lion, et son entourage «voulaient créer une grande entreprise, mais ils n’avaient pas l’équipe de vente ni les infrastructures nécessaires pour y arriver», résume un ancien cadre sous le couvert de l’anonymat.
«Ils pensaient qu’avec l’argent du gouvernement, ou l’entrée en Bourse, il aurait pu régler les problèmes», relève un autre ex-travailleur.

Bien loin des prévisions
Quelques mois avant d’entrer en Bourse, en mai 2021, Lion a présenté aux investisseurs des projections financières vertigineuses. En 2024, l’entreprise allait vendre 15 800 camions et 2600 autobus prévoyaient ses dirigeants. Ses revenus atteindraient 5 milliards $.
La réalité est tout autre. Pendant les neuf premiers mois de cette année, les ventes de Lion ont tout juste franchi les 165 millions $. Moins de 400 véhicules ont été vendus, dont à peine 36 camions.
L’entreprise est actuellement confrontée à un urgent besoin de fonds. À la Bourse de Toronto, son titre a perdu 68% de sa valeur en un mois et près de 99% depuis 2021.

Les ex-employés à qui nous avons parlé ont dénoncé certaines façons de faire de Lion, et ce, même s’ils sont liés par des accords de confidentialité. Ils ont pointé du doigt le manque d’expérience des dirigeants, qui auraient multiplié les mauvaises décisions.
Aucun membre de la haute direction n’a précédemment travaillé dans le secteur des véhicules routiers.
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Les grands patrons «ne peuvent pas aller dans l’usine et prendre une décision rapidement», explique un ancien cadre. Ils doivent d’abord consulter des spécialistes, ce qui ajoute des délais et des coûts.

Éparpillement
Nos sources estiment que Lion s’est éparpillée en développant trop de modèles simultanément. L’entreprise a finalement dû abandonner ses projets de camions à ordures et de minibus. Dans ce dernier cas, plus de 60 millions $ avaient été dépensés.
«Ils ont voulu attaquer tous les marchés en même temps, et ça a été dépassements de coûts après dépassements de coûts», regrette un ex-salarié.
«Certains camions ont été vendus sur papier avant même le prototype», est allé jusqu’à dire un autre ancien employé.
«On imaginait quelque chose, et on le vendait au client, ce qui était complètement absurde», a-t-il ajouté.
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Celui-ci soutient que des tests de validation n’étaient pas toujours poussés à fond parce que Lion ne voulait pas trop abîmer les prototypes pour pouvoir vendre ceux-ci à des clients. «Lion, c’était d’abord une entreprise financière qui devait ensuite faire un produit pour obtenir des subventions et grandir», affirme un ex-salarié.
«Lion a mené, en collaboration avec des partenaires de test tiers, des tests rigoureux pour répondre aux exigences de la certification, réagit un porte-parole de Lion, Patrick Gervais. Lion ne vend à ses clients que des véhicules avec toutes les certifications requises.»
«Lorsqu’un nouveau produit est proposé, comme c’est le cas pour d’autres fabricants, il est possible de faire des précommandes. Cela représente une pratique standard dans l’industrie», insiste M. Gervais.

Dépassements de coûts
Les employés avec qui Le Journal s’est entretenu ont tous souligné la gestion brouillonne de l’entreprise.
Par exemple, il n’était pas rare que Lion commande au dernier moment des pièces faites sur mesure, ce qui coûtait une fortune.
«Souvent, les pièces ne faisaient pas, alors il fallait soit les retravailler, soit les jeter», révèle un ancien cadre.
– Avec la collaboration de Mathieu Boulay
Lion Électrique en huit dates
Juillet 2008
- Deux anciens dirigeants du constructeur d’autobus Michel Corbeil, Marc Bédard et Camille Chartrand, fondent Autobus Lion.
Novembre 2017
- Power Corporation réalise un «investissement important» dans Lion qui lui donne une participation de 43,8% dans l’entreprise.
Mai 2021
- Lion Électrique récolte 200 M$ US en faisant son entrée à la Bourse de New York et à la Bourse de Toronto.
Novembre 2021
- M. Bédard vend pour 16,5 M$ d’actions de Lion à un prix unitaire moyen de 14,85$.
Décembre 2022
- Lion livre un premier autobus assemblé dans son usine de l’Illinois, qui demeure largement inutilisée, faute de demande.
Avril 2023
- Lion ouvre son usine de batteries à Mirabel, dont la capacité est aujourd’hui excédentaire.
Juillet 2023
- Lion recueille la somme de 142 M$ US, dont plus de la moitié provient de Québec, du Fonds FTQ et de Fondaction.
Juillet 2024
- Lion annonce le licenciement de 300 travailleurs. Ces suppressions de postes s’ajoutent aux 370 annoncées dans les mois précédents.
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