Le tramway de Montréal: le tramway qui nuisait aux autos

Martin Landry
Le 30 août 1959, lors d’une cérémonie officielle, le maire de Montréal Sarto Fournier fait ses adieux au réseau de tramway de sa ville. Il faut dire que ce moyen de transport n’a plus la cote depuis quelques années et que le réseau est en piteux état. On trouve les tramways moins pratiques que les autobus et surtout, les automobilistes sont de plus en plus nombreux à penser qu’ils sont responsables des embouteillages au centre-ville.
Après presque un siècle de loyaux services, les derniers tramways de Montréal sont complètement retirés du réseau de transport de la ville.
L’urbanisation et la naissance du tramway
Entre 1831 et 1861, la population de Montréal triple. Les 90 000 Montréalais ont besoin de se déplacer, parfois sur des dizaines de kilomètres. Le tramway semble être le moyen idéal. En novembre 1861, un premier service de tramways tirés par des chevaux est inauguré. Au départ, le tramway hippomobile de la métropole assure les déplacements sur la rue Notre-Dame dans l’actuel Vieux-Montréal, entre les rues du Havre et McGill.
Si les premières lignes se déploient tout naturellement en suivant le fleuve, en 1864, une première ligne nord-sud va permettre de circuler par le centre sur le boulevard Saint-Laurent. Par la suite, les lignes vont se multiplier rapidement et s’étendre sur des milliers de kilomètres partout sur l’île. Le réseau repose sur la force de 1000 robustes chevaux de traîne et 150 tramways. Durant l’hiver, parce que les rues de la ville ne sont pas encore déneigées à cette époque-là, des traîneaux remplacent les tramways.



Tramways électriques
L’électrification des tramways par la Montreal Street Railway Company commence en 1892 pour se terminer deux ans plus tard, en 1894.
Montréal entre dans une nouvelle ère de modernisation, la ville attire des milliers d’immigrants et de Canadiens français qui quittent leur campagne pour trouver des emplois dans les usines de la métropole. Ses premiers tramways alimentés à l’électricité surprennent. Ils sillonnent les rues à 30 km/h, une vitesse plutôt spectaculaire en cette fin de 19e siècle et qui effraie de nombreux Montréalais.
Les lignes Saint-Denis et Saint-Laurent permettent d’accéder à la campagne du centre et du nord de l’île, dans le secteur Rosemont ou à Cartierville. La ville s’étend au rythme du développement du réseau de transport électrique qui se déploie aux quatre coins de l’île.
S’il assure les endroits essentiels, le tramway permet aussi aux excursionnistes de découvrir ou tout simplement d’admirer la ville. Pour 50 cents, le tramway observatoire décapotable, spécialement aménagé en gradins pour maximiser la vue, offre des visites panoramiques de deux heures autour du Mont-Royal.


Le chant du cygne
Après près de 100 ans de loyaux services, la popularité des véhicules à essence a raison de nos tramways électriques. Le retrait progressif des tramways de Montréal s’étale sur une période de huit ans. On achètera alors 1300 autobus propulsés au pétrole pour remplacer les 939 tramways électriques. La mythique ligne Sainte-Catherine cesse ses activités en 1956. Trois ans plus tard, le 30 août 1959, les Montréalais se déplacent en grand nombre, entre autres sur l’avenue Papineau et sur le boulevard Rosemont pour saluer une dernière fois les conducteurs de tramway de la ville.

Qui a provoqué la disparition du tramway?
Aux États-Unis, au tournant de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs entreprises comme Firestone, Standard Oil et General Motors, pour ne nommer que celles-là, mettent sur pied une stratégie commune pour faire l’acquisition des réseaux de tramways d’une quarantaine de villes américaines, pour ensuite les démanteler et les remplacer par des autobus. De grandes villes comme Chicago, New York et Los Angeles sont ciblées. Pour leur stratagème absurde et illégal, ces entreprises seront reconnues coupables devant la justice américaine, mais les amendes sont si basses (ex: 5000$) que ces dernières vont littéralement passer le rouleau compresseur sur l’ensemble du réseau de tramways du nord de l’Amérique.


Par contre, il n’a jamais été établi que Montréal et Québec ont subi la stratégie destructrice de ces entreprises. Non, nos tramways à nous ont été négligés, peu entretenus. Ils ont souffert d’un manque d’investissement, puis ont été délaissés par des administrateurs qui se sont laissé tenter par le rêve des fabricants d’autobus au pétrole. À cette époque, le pétrole coûtait trois fois rien, et la planète semblait être en mesure d’absorber toutes les extravagances de la vie moderne. Ce sont souvent ces mêmes administrateurs qui ont poussé pour qu’on développe notre système routier urbain, connecté par des ponts à des autoroutes pour favoriser les entrées et les sorties de l’île dans nos grosses voitures américaines.
Heureusement, quelques rares villes nord-américaines, comme Toronto, ont su résister à cette vague de transformation.

Des rails qui sortent le bout du nez à l’occasion
C’est pratiquement impossible pour les Montréalais de ne pas être nostalgiques de cette époque qui a duré presque 100 ans. Surtout quand, à l’occasion et particulièrement par temps chaud, certains tronçons de rail du vieux tramway réapparaissent à la surface à travers les nombreux nids-de-poule des rues de la ville.
Aujourd’hui encore, de Québec à Montréal, l’actualité nous rappelle que plusieurs n’ont pas fait le deuil de ce réseau de transport électrique.