Le nombre de Turcs a bondi au chemin Roxham depuis 2 ans

Jules Richer | Bureau d'enquête
Le nombre de réfugiés en provenance de la Turquie qui sont passés par le chemin Roxham a explosé au cours des dernières années.
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Leur nombre a bondi de 80 arrivées en 2020 à plus de 5500 en 2022, une hausse qui surprend même la communauté turque de Montréal.
Après les Haïtiens, les Turcs constituent même le deuxième groupe le plus important qui est entré illégalement par le fameux chemin Roxham.
Selon nos informations, ils effectuent à peu près tous le même périple : ils arrivent par avion au Mexique depuis la Turquie, franchissent la frontière américaine à El Paso au Texas, puis remontent jusqu’au Québec.
Minorité kurde
Ils sont pour la plupart kurdes, une minorité ethnique qui fait l’objet de discrimination à grande échelle en Turquie, où leur accès à l’emploi est difficile.
« Être kurde en Turquie est très problématique, parce qu’il y a de la violence d’État et de l’oppression contre nous », raconte Veysi (nom fictif), que nous avons rencontré au Centre communautaire turc de Montréal.
« L’oppression, poursuit-il, s’est accentuée dans les dernières années et beaucoup de Kurdes sont partis pour l’étranger. »
Afflux soudain
Chez les Turcs déjà établis de Montréal, cet afflux soudain de réfugiés surprend.
Éditeur du journal Notre Anatolie
« C’est tout récent et c’est étonnant, parce qu’ils sont très nombreux. Ce sont surtout des Kurdes », explique Ömer F. Özen, éditeur du journal communautaire Notre Anatolie.
À son avis, les atouts du Canada sont très attirants pour eux.
« Le Canada donne de l’hébergement et le bien-être social [aux réfugiés] ; c’est ce qu’ils ont entendu. »
« Mais, il y a quelqu’un qui a montré le chemin, poursuit-il ; le mot s’est passé. »
Les médias turcs y sont pour quelque chose (voir autre texte).
Veysi explique que c’est ainsi qu’il a appris comment venir au Canada.
« Les médias turcs racontent beaucoup comment les migrants de notre pays se rendent au Mexique pour aller aux États-Unis, puis au Canada », dit-il.
- Écoutez la chronique Crime et Société avec Félix Séguin, journaliste au Bureau d’enquête de Québecor, entre autres au sujet du chemin Roxham, au micro de Richard Martineau sur QUB radio :
Discrimination
Au centre de francisation Yves-Thériault, un autre jeune homme d’origine kurde explique ce qui l’a décidé à quitter son pays. Il a répondu en turc en le tapant dans son téléphone cellulaire : « ülkemizde ayrımcılık ».
Cela veut dire en français « discrimination dans notre pays [pour les Kurdes] ».
Les médias turcs s’intéressent au phénomène
Les médias turcs présentent le Canada comme une destination où les migrants sont accueillis à bras ouverts.
« Rêve d’une nouvelle vie », tel est le titre, traduit à partir du turc, qui coiffe l’article du journal à grand tirage d’Istanbul, Milliyet (La Nation), à propos de demandeurs du statut de réfugé arrivés illégalement au Canada.

« À partir du moment où vous mettez le pied au Canada, vous êtes sous la protection du gouvernement canadien », souligne Agri Yk, âgé de 28 ans, dans le reportage publié en avril dernier.
Ce dernier a hâte d’obtenir sa résidence permanente au Canada : « Après avoir obtenu le droit de résider, vous avez les mêmes droits que tout le monde ici, sauf de voter et d’être élu.
« Plus important encore, dit-il, vous en avez pour votre argent. Je travaille trois jours par semaine et je gagne 450 $ par mois. »
Aide sociale
De son côté, Hasan K., qui est âgé de 24 ans, dit dans l’article qu’il ne travaille pas en ce moment, mais que « le gouvernement [canadien] donne une aide de 750 $ ».
« Je vis avec [cet argent] », précise-t-il.
Cette somme de 750 $ est le montant mensuel d’aide sociale versé aux demandeurs d’asile au Québec.
Même si le chemin Roxham n’est pas nommé directement dans l’article du Milliyet, on comprend que les deux hommes l’ont utilisé pour entrer illégalement au Canada.

Tous les deux sont d’abord arrivés au Mexique en provenance de la Turquie, puis sont passés aux États-Unis pour remonter vers l’État de New York.
Ils ont ensuite pris un taxi vers la frontière canadienne, ce qui est typique du parcours emprunté pour aller jusqu’au chemin Roxham.
Le Canada est populaire pour une autre raison. Depuis 2018, les ressortissants turcs qui présentent une demande du statut de réfugié au Canada bénéficient d’un traitement préférentiel de leur dossier, à cause de leur taux déjà élevé d’acceptation comme réfugiés.
Selon les chiffres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, depuis 2018, 96 % des ressortissants turcs qui ont effectué une demande d’asile ont été acceptés.
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