Le mystère de Carnac
Isabelle Hontebeyrie
Imaginez des villages de Bretagne près desquels se dressent plus de 3000 menhirs. Non, il ne s’agit pas du nouvel album d’Astérix décrivant les prouesses d’Obélix, mais bien du site de Carnac, qui soulève toujours de nombreuses questions...
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Carnac est un site mégalithique unique au monde, dont l'ampleur et la précision défient l'entendement. Ces géants de pierre, érigés il y a 7 000 à 4 500 ans, au cœur du Néolithique, ne cessent de fasciner. Qui a bâti ces alignements colossaux? Dans quel but? Et comment une civilisation sans outils modernes a-t-elle pu accomplir une telle prouesse? Car les alignements du Ménec, de Kermario et de Kerlescan dessinent des lignes presque parfaites, parfois même sur plus d'un kilomètre. Chaque menhir, variant de quelques dizaines de centimètres à plus de six mètres de hauteur, a été extrait, transporté et érigé par des méthodes qui nous échappent encore en grande partie.
L’émerveillement
«Sur 350 km2, il y a 12 000 menhirs et trois gros tumulus, 200 dolmens à couloir et chambres sépulcrales, plus une centaine de tertres funéraires! C'est une sorte d'immense nécropole qui s'est construite entre le cinquième millénaire et le deuxième millénaire avant J.-C.», expliquait Yves Coppens. Ce célèbre paléoanthropologue breton, décédé en 2022, a travaillé afin que le site de Carnac pose sa candidature pour être reconnu au patrimoine mondial de l’UNESCO. La décision de l’institution devrait être connue en décembre prochain. Dans une entrevue à Radio-France en 2022, Christine Boujot, ingénieure de recherche au ministère de la Culture, souligne que «les sociétés d'agriculteurs-éleveurs, les sociétés néolithiques, domestiquent les plantes et les animaux, mais vont aussi domestiquer leurs paysages en les transformant à travers différentes constructions, dont les constructions mégalithiques». Les archéologues estiment en effet que le transport se faisait sur des rondins de bois, avant que les pierres soient redressées à l'aide de leviers et de rampes de terre. Un travail titanesque, répété des milliers de fois. «Il est difficile d'imaginer que ces milliers de pierres aient été placées au hasard», écrivait l’ingénieur écossais Alexander Thorn, en 1967, dans son ouvrage Megalithic Sites in Britain.
Pourquoi?
Les hypothèses expliquant l’existence des alignements de Carnac sont nombreuses. Alexander Thorn, pour sa part, penche vers un calendrier établissant les cycles de la lune. «Les corrélations avec les mouvements célestes sont trop nombreuses pour être de simples coïncidences», avance-t-il. Pour d’autres, comme Yves Coppens ou Yvan Pailler, archéologues à l'INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives), il s’agit de monuments funéraires. Christine Boujot, pour sa part, propose une explication plus complète. «Ériger de telles structures témoigne d'une volonté d'affirmer une présence, une appartenance à un territoire, et d'une cohésion sociale forte», note-t-elle. Les alignements auraient ainsi pu servir à structurer l'espace, à organiser des fêtes ou des marchés, et à renforcer la hiérarchie au sein de la société néolithique. Les technologies modernes, notamment la topographie en 3D pour l’étude des microreliefs, le LiDAR (Light Detection and Ranging) et les drones, permettront de reconstruire la topographie ancienne avec une grande précision, et ainsi de fournir aux chercheurs et aux historiens de précieuses informations sur les alignements de Carnac.
Le vocabulaire préhistorique...
Menhir: du breton Men (pierre) et Hir (longue). Il s’agit d’une pierre dressée, constituée d’un seul bloc. Un menhir peut être isolé ou placé au milieu d’une file d’autres menhirs, l’ensemble formant un alignement. Les menhirs peuvent également être disposés en cercle pour former des enceintes circulaires.
Mégalithe: du grec Mega (grand) et Lithos (pierre). Il s’agit d’une ou de plusieurs pierres brutes de très grande dimension. Les menhirs et les dolmens sont donc des mégalithes, tandis que les alignements de Carnac sont un ensemble mégalithique.
Mégalithisme: le mégalithisme est le fait d’utiliser les mégalithes (énormes pierres brutes) pour construire des monuments. Il s’agit donc bien d’une architecture. Ce phénomène démarre au Néolithique (la dernière période de la Préhistoire) et est présent dans de nombreuses régions du monde. C’est cependant sur toute la côte ouest de l’Europe que cette architecture est la plus présente.
Source: Alignements de Carnac, Centre des monuments nationaux

Les légendes de Carnac
Face à l'absence de sources écrites, l'imagination populaire a tissé ses propres récits surnaturels.
La Légende des Soldats de Saint Cornély
C'est la légende la plus célèbre et la plus répandue. Elle veut que Saint Cornély, patron de Carnac, ait fui une armée de soldats romains qui le poursuivait. Acculé à la mer, il se serait retourné et aurait transformé tous ses poursuivants en pierres. Ces soldats pétrifiés seraient les alignements de menhirs de Carnac. On raconte même que les quelques menhirs isolés seraient des soldats attardés qui n'auraient pas rejoint le gros de la troupe à temps.
Des êtres vivants
Certaines légendes locales affirment que les menhirs ne sont pas immobiles. On dit qu'ils grandissent légèrement avec le temps ou qu'ils se déplacent, notamment à des moments précis de l'année, comme à Noël. D'autres récits évoquent des pierres qui «boivent» de l'eau ou qui se «baignent» dans la mer.
Les Korrigans et les Fées
Les mégalithes sont souvent associés aux Korrigans, de petits êtres espiègles et parfois malveillants. On dit que ceux-ci ou parfois des fées danseraient autour des menhirs la nuit, particulièrement à la pleine lune, et que quiconque les surprend serait alors entraîné dans leur ronde infernale ou même transformé en pierre. Les dolmens et les tumulus sont d’ailleurs considérés comme leurs demeures.