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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Le miroir parfait du «Parc jurassique»

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Victor Norek

2025-07-06T14:00:00Z
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Cette semaine est sorti le septième opus de la saga Le Parc jurassique, lancée par Steven Spielberg voilà maintenant plus de 30 ans. C’est le moment idéal pour jouer les paléontologues du cinéma et déterrer le film qui en est à l’origine et qui, pourtant, n’a presque pas pris une ride.

On se souvient surtout du Parc jurassique pour ses dinosaures et ses effets spéciaux incroyables et avant-gardistes (les premiers personnages principaux entièrement numériques de l’histoire du cinéma).

Ce dont on se rend souvent moins compte, c’est que, de façon parfaitement thématique, l’histoire des personnages est un miroir parfait de celle des sauriens.

En effet, nos deux protagonistes, Alan et Ellie, au départ, à l’image des reptiles recréés par ingénierie génétique afin d’être incapables de se reproduire dans la nature, ne peuvent pas procréer.

Alan explique qu’il refuse d’avoir des enfants, préférant déterrer les vestiges de ses lointains ancêtres plutôt que d’avoir une descendance lui-même. Et lorsqu’un enfant dénigre les vélociraptors, les comparant à une grosse dinde, Alan l’humilie et le terrorise à l’aide d’une griffe de raptor, faisant mine de lui ouvrir le ventre et de répandre ses entrailles à terre.

tirée de IMDB
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Arrive alors John Hammond, le créateur du parc jurassique, qui en propose un tour à nos deux héros afin d’obtenir leur avis de spécialistes, en compagnie de ses petits-enfants, qu’Ellie met malicieusement dans les pattes d’Alan, ce qui l’agace au plus haut point.

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«La vie a trouvé un chemin»

Cependant, tout comme les dinosaures trouvent finalement un moyen de se reproduire alors qu’ils en étaient théoriquement incapables (les gènes de grenouille – qu’Hammond a intégré dans leur ADN retrouvé dans des moustiques fossilisés pour en combler les manques – leur ont permis, comme certains amphibiens, de changer de sexe), Alan, forcé de protéger et passer du temps seul en compagnie des deux petits-enfants d’Hammond, va lui aussi devenir père.

tirée de IMDB
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Il est forcé de nicher avec eux en haut d’un arbre, à l’image des oiseaux dont descendent les dinosaures, ils vont alors former une famille, Alan se débarrassant à ce moment-là de la griffe de raptor à l’aide de laquelle il éventrait symboliquement l’enfant du début.

C’est après cette nuit passée dans leur nid qu’ils découvrent justement les œufs de dinosaure qui n’auraient pas dû exister. Des œufs dont partent des traces de pas, celles des bébés reptiles.

tirée de IMDB
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Ce plan fait écho à celui qui montre les traces de pas d’Alan et des enfants, découvertes par Ellie, établissant un parallèle entre les deux espèces, ayant généré une descendance, chacune à leur façon: «La vie a trouvé un chemin».

Un film hanté par la création

tirée de IMDB
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Alan contemple ainsi sa propre évolution en regardant, lors des dernières images du film, le vol de pélicans par la fenêtre de l’hélicoptère qui les emmène loin de l’île.

Comme les dinosaures ont évolué en ces oiseaux, qui forment leur descendance, Alan lui aussi a évolué et tient dans ses bras les deux enfants, comme un papa poule.

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Un plan final tout en harmonie, à l’opposé de son arrivée sur l’île dans le même hélicoptère, où il était victime de turbulences aériennes. Ne trouvant que deux parties «femelles» de ceintures de sécurité, il avait pourtant réussi à s’attacher sans embout «mâle», faisant un nœud entre elles, préfigurant le fait que, malgré la présence de dinosaures uniquement femelles sur l’île, il y avait quand même un moyen d’arriver à la finalité.

Tout le film est ainsi hanté par l’acte de création: de celle des dinosaures par Hammond, assistant à chaque naissance du parc, à celle des images de synthèse par les équipes d’ILM, créant eux aussi ces créatures à partir du néant. Un geste prométhéen, quasi divin de recréation de la vie (la mine dont sont extraits les moustiques porteurs de sang de dinosaure s’appelle d’ailleurs «Mano de Dios», «La main de Dieu»), qui n’est pas sans évoquer le péché originel, où les deux protagonistes, perdus dans ce jardin d’Éden en compagnie de reptiles, Alan et Ellie, ont les mêmes initiales qu’Adam et Ève...

 

tirée de IMDB
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Le Parc jurassique (Jurassic Park): 1993, Universal Pictures, réalisé par Steven Spielberg.

√ Recettes: 978 M$ (international) – plus gros succès de l’histoire du cinéma en son temps.

√ Récompenses: Oscar des meilleurs effets visuels, du meilleur montage son et du meilleur mixage son.

√ Héritage: Souvent désigné comme le film qui a inauguré l’âge des effets numériques au cinéma, il a posé les bases techniques du cinéma contemporain grâce aux travaux des équipes de Dennis Muren pour ILM. Il a également popularisé la théorie selon laquelle les oiseaux sont les descendants phylogénétiques des dinosaures, qui n’était pas communément admise avant.

*Victor Norek, créateur de la chaîne YouTube Le CinématoGrapheur, est spécialisé dans le décorticage des films grand public. Il écrit pour le magazine Rockyrama et est conférencier, entre autres, pour la Cinémathèque québécoise.

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