Le maire de Montréal Camillien Houde arrêté et enfermé pour le réduire au silence

Martin Landry
Le 5 août 1940, juste avant 23h, la Gendarmerie royale du Canada arrête discrètement le maire de Montréal Camillien Houde. On lui reproche d’inciter publiquement les Québécois à boycotter l’enregistrement national décrété par le gouvernement canadien.
Quelques mois avant cette arrestation controversée, grâce au pouvoir que lui confère la Loi sur la mobilisation des ressources nationales, le premier ministre canadien William Lyon Mackenzie King a annoncé qu’il imposera un enregistrement national obligatoire pour tous les hommes et les femmes de plus de 16 ans. Le but de ce registre était d’identifier les ressources qui pourraient être mobilisées pour l’effort de guerre.
Sachant très bien que les Canadiens français ont été marqués par l’enrôlement obligatoire décrété en 1917, le premier ministre cherche à rassurer la population. Dans ses déclarations publiques sur le sujet, il spécifie que cet enregistrement national ne vise que la protection du territoire canadien.
Évidemment, pour les nationalistes canadiens-français, le maire de Montréal Camillien Houde en tête, cet enregistrement n’est rien de moins qu’une conscription déguisée.
Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en 1939 et l’envoi de soldats canadiens en Europe rappellent le douloureux souvenir de l’enrôlement forcé durant la Première Guerre. Pour se protéger de cette perspective, aux élections fédérales de mars 1940, les électeurs canadiens-français avaient voté majoritairement pour les libéraux qui scandaient haut et fort qu’il n’y aurait jamais d’autres enrôlements forcés.
«Nous sommes le rempart, la muraille qui vous protège»
Ernest Lapointe
Évidemment, quand Ottawa impose cet enregistrement national en juin 1940, le spectre de la conscription de la Grande Guerre refait surface.

Monsieur Montréal
Camillien Houde est élu maire de Montréal pour la première fois en 1928. Il sait comment s’adresser aux gens ordinaires, il est adulé par les ouvriers, les classes populaires se sentent protégées par cet homme qui leur parle avec son cœur. Le maire exploite habilement cette carte populiste. Il se présente comme l’ami du peuple. Sept fois élu maire de sa ville, trois fois au Parlement de Québec, il contraste avec les dirigeants de l’époque. Camilien Houde n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. Il vient du Faubourg à m’lasse dans le quartier Sainte-Marie, il a travaillé fort pour s’instruire et gravir les échelons de la société. Les Canadiens français l’aiment, il incarne l’épopée d’un enfant pauvre, élevé dans la misère populaire, qui devient le défenseur des plus démunis de sa ville.

Vous pouvez imaginer que la réaction à Ottawa est explosive au moment où, le 2 août 1940, Camillien Houde déclare à un journaliste :
«Je me déclare péremptoirement opposé à l’enregistrement national, qui est, sans aucune équivoque, une mesure de conscription, et le gouvernement, fraîchement élu en mars dernier, a déclaré par la bouche de ses chefs, de M. King à M. Godbout... qu’il n’y aurait pas de conscription sous quelque forme que ce soit. Le Parlement, selon moi, n’ayant pas de mandat pour voter la conscription, je ne me crois pas tenu de me conformer à ladite loi et je n’ai pas l’intention de m’y conformer. Je demande à la population de ne pas s’y conformer, sachant ce que je fais et ce à quoi je m’expose. Si le gouvernement veut un mandat pour la conscription, qu’il revienne devant le peuple et sans le tromper cette fois.»
Arrestation
Quelques jours plus tard, le 5 août 1940 en fin de soirée, comme il sort de l’hôtel de ville de Montréal sur la rue Notre-Dame, Camillien Houde est arrêté et conduit au bureau de la police fédérale. Après un interrogatoire plutôt sommaire d’une trentaine de minutes, il est escorté de policiers fédéraux et provinciaux jusqu’au camp d'internement de Petawawa en Ontario. La population est sous le choc, on crie à l’injustice. Le populaire maire de la métropole du Canada demande un procès, en vain. Le gouvernement veut lui faire signer des documents, mais il refuse catégoriquement.
Il est alors enfermé et réduit au silence pendant quatre longues années. Camillien Houde était un homme influent avant son arrestation, il a de belles distinctions honorifiques, comme le titre de chevalier de l’Empire britannique et la Légion d’honneur. Cependant, en temps de guerre, les droits individuels sont suspendus pour tous et rien ne semble pouvoir ébranler la volonté du gouvernement King, pas même le fait qu’il soit un représentant du peuple.
Après le camp d’internement de Petawawa, il sera enfermé dans un camp à Fredericton au Nouveau-Brunswick, d’où il sera libéré en août 1944. Il faut dire qu’entre-temps, le gouvernement King a gagné son plébiscite d’avril 1942, puis imposé la fameuse conscription en 1944. Aussi surprenant que cela puisse paraître, pendant toutes ces années où la population est sous le joug de la puissante loi des mesures de guerre, le Québec demeure pacifique. On n’observe aucun débordement civique, manifestation importante ou pétition significative pour protester contre l’arrestation du maire de Montréal. C’est comme si cette arrestation avait fait peur à tout un peuple.


La libération
Voyant l’heure de la libération du célèbre maire approcher, les libéraux provinciaux d’Adélard Godbout craignent qu’un vent défavorable leur fasse perdre le pouvoir. Ils déclenchent alors des élections provinciales pour le 8 août 1944. Camillien Houde est libéré quelques jours après l’élection, le 16 août. Après avoir retrouvé son épouse et ses filles, il rentre à Montréal. Partout en ville, des affiches bleu et blanc invitent la population à venir l’accueillir à la gare.
Ses admirateurs l’attendent par milliers pour l’applaudir. Ils vont l’accompagner, tel un enfant prodige revenu du front, jusqu’à sa résidence de la rue Saint-Hubert.

Le p’tit gars de Sainte-Marie incarne pour eux ce héros qui a pressenti la fourberie du gouvernement fédéral et qui a tenté de faire stopper la conscription. Quelques mois plus tard, en 1944, il sera réélu par acclamation à la mairie de Montréal, poste qu’il occupera jusqu’en 1954. Qui le remplacera à la mairie de Montréal en 1954? Bien oui, Jean Drapeau. Mais ça, c’est une autre histoire!
