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L'article provient de TVA Sports
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Le côté sombre de la Série du siècle

Pierre Plouffe tout rayonnant au Centre nautique de Tremblant.
Pierre Plouffe tout rayonnant au Centre nautique de Tremblant. Photo Martin Alarie
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Photo portrait de Stéphane Cadorette

Stéphane Cadorette

2022-09-04T12:23:59Z
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Pierre Plouffe fait partie du folklore de la Série du siècle. Pourtant, il n’a jamais chaussé les patins.

Inutile de chercher Plouffe parmi les attaquants qui faisaient la force de frappe de l’équipe canadienne. Ni parmi les défenseurs ou les gardiens qui formaient la muraille. Il ne figurait pas davantage sur la liste des remplaçants.

Son truc, c’était plutôt le ski nautique, une passion qui l’anime encore aujourd’hui, à 73 ans. Il a même atteint les sommets de cette discipline en représentant le pays aux Jeux olympiques de 1972. Un an plus tôt, il remportait la Coupe du monde de Tahiti.

Il est même devenu entraîneur de l’équipe nationale jusqu’en 1989 et il dirige toujours le centre nautique qui porte son nom, au lac Tremblant.

Malgré ses exploits athlétiques, rien n’a toutefois autant allumé Pierre Plouffe que le hockey. Maniaque invétéré et ami de plusieurs joueurs qui ont fait la gloire du Canadien dans les années 1970, il était impensable pour lui de ne pas aller encourager Équipe Canada lorsque celle-ci s’est déplacée à Moscou pour les quatre derniers matchs de la série de 1972.

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«J’ai toujours suivi le hockey assidûment. Mes parents cherchaient des billets pour cette série et, étant donné que je connaissais plusieurs joueurs, ils m’avaient demandé de leur en procurer. J’avais dit à mes parents que si je leur obtenais des billets, ils allaient en contrepartie m’en acheter un», raconte l’éternel bon vivant.

Un autre monde

C’est ainsi que Plouffe, avec 3000 autres fervents supporteurs canadiens, s’est retrouvé en Russie au cœur du grand événement.

Armé de son clairon, il n’a pas mis de temps à découvrir une tout autre réalité qu’à la maison lorsqu’il s’est mis à jouer fièrement le rôle du loup dans la bergerie.

«J’ai vu assez vite que ça brassait. J’avais mon drapeau canadien attaché après un bâton de hockey et j’ai commencé à jouer de la trompette dans ma chambre d’hôtel. Je jouais le Ô Canada au clairon en ouvrant la fenêtre et ça n’a pas plu aux Russes. Disons que j’avais quelques cocktails dans le nez. Je ne savais pas, mais on m’a raconté après coup que le son du clairon signifiait la révolution dans ce pays», explique Plouffe.

Joyeux luron de nature, ce dernier n’entendait pas se plier aux coutumes du pays.

«Les gens de Moscou étaient très taciturnes. Il n’y avait aucune bonne humeur dans leur face. Quelqu’un qui arrivait là-bas pour fêter, c’était mal accepté. C’était encore le rideau de fer. La seule fois qu’un gros groupe de gens avait couché là avant nous, c’était des Allemands pour un match de soccer de l’Allemagne de l’Est, un seul soir. Là, 3000 Canadiens débarquaient pour un bout et ça les a pris par surprise. Ils étaient sur leurs gardes», raconte-t-il.

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De l’aréna à la prison

En dépit de l’austérité ambiante, Pierre Plouffe a persisté. Pendant les parties, dans les gradins, quand son clairon retentissait, il arrivait vite à cacher l’instrument sans trop de mal. C’est plutôt dans les festivités d’après-match que les événements ont dégénéré. Au terme de la victoire des Canadiens au deuxième match à Moscou, l’ambiance a tôt fait de tourner à la fête.

Plouffe, malgré l’interdiction stricte de quitter son hôtel, tenait à rejoindre les joueurs, question de se désaltérer en leur compagnie.

«Moyennant quelques pourboires aux chauffeurs de taxi comme de la gomme ou des bas de nylon, tout s’arrangeait. Il faut se rappeler à quel point ces gens-là étaient gardés dans l’ignorance totale», se remémore-t-il.

Après quelques consommations, l’esprit de défiance s’est manifesté.

«Pete Mahovlich voulait que j’aille lui chercher un scotch et la femme au bar m’a dit que c’était fermé. Je me suis mis à m’obstiner et j’ai donné une tape sur une bouteille de champagne vide qui a fait tomber des verres. Un gars deux fois large comme moi m’a ramassé comme une feuille de papier. J’ai commencé à essayer de le pousser et ça n’a pas trop marché. On m’a amené en prison. Je me rappelle encore à quel point à la salle d’interrogatoire, je ne comprenais absolument rien!»

Une bonne frousse

S’il en rit aujourd’hui, Plouffe s’était mis dans de beaux draps à l’époque. Au point où les autorités locales le condamnaient à cinq ans en Sibérie.

«Ils voulaient montrer l’exemple aux Canadiens. Ils étaient tannés de notre humeur festive et du bruit qu’on faisait », mentionne celui qui aura finalement passé trois jours derrière les barreaux, jusqu’à ce que l’ambassade canadienne parvienne à le faire libérer. Après avoir regardé la troisième partie en sol soviétique à la télé, Plouffe a pu retrouver sa place à l’aréna pour le dernier match de la série... avec interdiction stricte de manifester!

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«Sauf qu’au but gagnant de Paul Henderson, je me suis levé et ils m’ont rassis assez vite. Ils m’ont ramené en prison et là je la trouvais moins comique pas mal. Ce serait mentir de dire que je n’ai pas braillé. C’est ma mère qui a appelé l’ambassade. L’intervention des joueurs a ensuite aidé à ce que je sorte. 

«J’ai su par après que les Russes avaient même enquêté à savoir si c’était vrai que j’étais un athlète international qui avait représenté mon pays. Quelques heures plus tard, ils sont venus me chercher et m’ont dit de ne pas sortir de l’hôtel. Ils n’étaient pas partis que je sautais dans un taxi pour aller fêter avec les joueurs», rigole l’indomptable drille.

Souvenirs impérissables

Cinq décennies plus tard, Pierre Plouffe ne se défile pas. Il a aujourd’hui acquis la sagesse lui permettant de se reconnaître ses torts.

«J’ai été chanceux dans la vie de participer à des championnats mondiaux et des Jeux olympiques. J’ai assisté à plusieurs événements sportifs, dont quelques Super Bowl. Il n’y a rien qui va égaler ce que j’ai vécu en Russie. Mes péripéties ont rendu le voyage plus complexe que j’aurais voulu, mais j’ai appris. Je n’ai jamais tenu rigueur aux Russes pour ce qui m’est arrivé. C’est moi qui ai enfreint les règles de leur pays», conclut-il.

Dans cette série du siècle, Plouffe n’aura donc récolté aucun but, mais son bruyant appui à l’équipe canadienne lui a certainement valu une mention d’aide. 

Un soutien indéfectible des partisans canadiens 

Les partisans de l’équipe canadienne, exubérants, au Palais des sports de Moscou en septembre 1972.
Les partisans de l’équipe canadienne, exubérants, au Palais des sports de Moscou en septembre 1972. Photo Getty Images

Après une amère défaite à Vancouver au quatrième match de la série du siècle, les joueurs de l’équipe canadienne craignaient d’avoir perdu le soutien de leurs compatriotes. Quand 3000 partisans du pays les ont rejoints pour les appuyer à Moscou, les doutes se sont vite dissipés.

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Dès les débuts du premier match en territoire ennemi, les spectateurs canadiens ont fièrement entonné l’hymne national pendant une quinzaine de minutes sans décrocher.

Forts de cet appui, les Canadiens se sont dotés d’avances de 3 à 0 et 4 à 1, avant de s’effondrer. Malgré tout, les partisans ont répété leur appui en fin de match en hurlant le Ô Canada quand l’équipe a quitté la glace, en retard par 3-1-1 dans la série.

«Les joueurs se sont sentis appuyés et personne n’avait le droit d’être paresseux, là», s’exclame Pierre Plouffe, lorsqu’il revient sur les événements.

De l’amour bien senti

Cette marque d’amour, même si l’espoir de remporter la série semblait alors minime, a galvanisé les joueurs pour ensuite les aider à signer trois triomphes consécutifs.

Scène du centre-ville de Moscou en septembre 1972.
Scène du centre-ville de Moscou en septembre 1972. Photo Getty Images

«C’était déprimant d’être à Moscou en 1972», rappelle Phil Esposito.

«Personne n’avait le droit de sortir nulle part, on ne pouvait voir personne, ni aller au restaurant. Ce qui nous a vraiment aidés, c’est la quantité de partisans canadiens qui sont venus nous appuyer là-bas. L’appui était tellement bruyant. On recevait aussi d’innombrables télégrammes et on les affichait sur les couloirs menant au vestiaire. Les murs étaient couverts. C’était réconfortant», poursuit-il.

C’était sans compter que le Canada en entier était au même moment rivé au téléviseur pour épier les prouesses de l’équipe.

«En Russie, on ne pouvait pas réaliser que tout le monde au pays regardait, que les jeunes rataient l’école et que les gens arrêtaient de travailler. Quand on est revenus au pays, on a compris. C’est incroyable quand on y pense», sourit Yvan Cournoyer.

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