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Labo des sciences judiciaires: on a rencontré ceux qui dissèquent le corps des victimes de crimes violents au Québec

De gauche à droite : Chloé Chaput, Maribel Gervais, Martin Bergeron, Mélissa Beauchemin et Daphnée Bérubé.
De gauche à droite : Chloé Chaput, Maribel Gervais, Martin Bergeron, Mélissa Beauchemin et Daphnée Bérubé. Photo Gabriel Ouimet
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Photo portrait de Gabriel  Ouimet

Gabriel Ouimet

2024-05-21T11:00:00Z
2024-05-21T12:43:31Z
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Au Québec, dès qu’un cadavre présente des signes de mort violente ou suspecte, il est envoyé au Laboratoire des sciences judiciaires et de médecine légale. Une équipe de cinq personnes y effectue les dissections servant à élucider la cause et les circonstances du décès. Nous les avons rencontrées dans les salles d’autopsies, au quartier général de la Sûreté du Québec (SQ), à Montréal.

Après avoir franchi les imposants dispositifs de sécurité rappelant ceux d'un aéroport, je prends l’ascenseur menant aux salles d’autopsies, situées dans le sous-sol de l’édifice.

«Tu es chanceux, c’est très rare qu’on accepte d’accueillir des visiteurs», me lance l’adjointe exécutive du laboratoire, Julie Tardif.

Rares sont les visiteurs à avoir accès aux salles d'autopsie.
Rares sont les visiteurs à avoir accès aux salles d'autopsie. Photo Gabriel Ouimet

Les portes s’ouvrent sur un couloir de béton beige baigné d’une lumière blanche, au bout duquel m’attend l’équipe de techniciens en médecine légale du laboratoire.

En me guidant vers la salle d’autopsie principale où doit se dérouler notre discussion, le groupe m’avertit: un cadavre en état de décomposition avancé s’y trouvait quelques heures plus tôt.

Une odeur indescriptible prend mes narines et ma gorge d’assaut quand j’entre dans le local. La table d’autopsie, les scalpels, les scies, les visières et autres instruments achèvent de me rappeler que des centaines de cadavres sont disséqués ici chaque année.

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C’est à Martin Bergeron, à Daphnée Bérubé, à Chloé Chaput, à Mélissa Beauchemin et à Maribel Gervais que revient la tâche d’examiner ces corps au nom de la justice. En matière d’autopsie et d’anatomie, ce sont les «top guns» du Québec.

Ils acceptent de répondre à nos questions afin de lever le voile sur leur métier méconnu, mais surtout important, alors que le Laboratoire des sciences judiciaires et de médecine légale célèbre ses 110 ans cette année.

En quoi consiste votre travail, exactement?

«On dissèque les corps et on essaie de recueillir le plus de preuves possible pour éclaircir la cause et les circonstances d’un décès, explique Martin Bergeron. Dans le fond, on donne une dernière voix à la personne décédée et on contribue à la justice.»

Les os, les muscles, les organes: tout y passe. Ces examens minutieux permettent ensuite au coroner de se servir du corps comme d’une pièce à conviction lors des procès.

Les instruments utilisés par les techniciens lors des autopsies.
Les instruments utilisés par les techniciens lors des autopsies. Photo Gabriel Ouimet

Le groupe précise toutefois que leur rôle n’est pas de confirmer l’hypothèse des policiers, mais de tirer des conclusions à partir des indices fournis par le corps.

Qu’est-ce qui fait qu’un corps se retrouve sur votre table?

«On reçoit toutes les morts violentes du Québec, ce qui comprend les homicides, les suicides avec arme à feu, les délits de fuite, les intoxications, les décès d’enfants, les accidents de travail, les brûlés, les corps en décomposition et plein d’autres choses», énumère la cheffe d’équipe, Maribel Gervais.

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Une des tables d'autopsie sur laquelle les techniciens font les dissections.
Une des tables d'autopsie sur laquelle les techniciens font les dissections. Photo Gabriel Ouimet

Le travail ne manque pas: chaque membre de l’équipe participe à environ 250 autopsies par année. Martin, l’aîné du groupe, en cumule «environ 7500» depuis qu’il a commencé à pratiquer, il y a 26 ans.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué à vos débuts?

«Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de bébittes, répond sans hésiter Chloé Chaput. Tu as une vision un peu romancée avant d’arriver ici, mais quand tu commences, tu réalises que ça pue et qu’il y a énormément d’insectes. C’est moins pire l’hiver, mais l’été, parfois, tu ne vois plus le corps. Il faut que tu repousses les asticots pour trouver ce que tu cherches.»

«Il y a aussi l’état des corps retrouvés dans la forêt. Ils sont mangés à l’os. Je ne pensais pas que ça pouvait aller jusque-là», enchaîne Daphné Bérubé.

«Moi, je ne pensais pas qu’il y avait autant de décès reliés à des pratiques autoérotiques. Des gens qui s’étranglent, qui franchissent la ligne et qui meurent, j’en ai vu pas mal», affirme pour sa part Maribel Gervais.

Qu’est-ce que vous trouvez le plus difficile?

«Les suicides et la violence envers les femmes et les enfants. En arrivant ici, tu y es confronté presque tous les jours», confie Martin Bergeron.

Photo d'archives, Jonathan Tremblay
Photo d'archives, Jonathan Tremblay

«Il faut vraiment être capable de se détacher émotionnellement. Mais on n’est pas des robots, ça demande beaucoup d’efforts, surtout quand ça va moins bien personnellement. La barrière devient plus poreuse», précise Chloé Chaput.

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Comment arrivez-vous à surmonter ces difficultés?

«Nous n’écoutons plus les nouvelles. On ne veut pas voir le témoignage de la famille du défunt ou des photos de la personne quand elle était vivante et heureuse. Je l’ai fait une fois à mes débuts et ça m’a secouée», explique Maribel Gervais. 

Et quand la charge devient trop lourde à porter, ils peuvent compter sur le soutien de leurs pairs. Mais pas question de parler des cas au-delà de l’enceinte du labo.

Martin Bergeron évite même de dire ce qu’il fait lorsqu’il rencontre des étrangers.

«Je dis que je suis fonctionnaire, sinon je n’arrêterai jamais d’en parler, parce que les gens sont vraiment curieux.»

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Comment votre métier influence-t-il votre vision de la société?

Certains cas illustrent de façon dramatique le manque de ressources qui plombe le système de la santé, analyse Martin Bergeron.

«J’ai déjà vu une fille qui s’était enlevé la vie en amenant sa mère handicapée avec elle, parce qu’elle n’en pouvait plus, raconte-t-il. Ce sont des choses traumatisantes qui font dire que la société ne va pas très bien.»

Les morts tragiques qui ébranlent les communautés marginalisées, notamment celles du Grand Nord, passent généralement inaperçues, déplore quant à elle Daphnée Bérubé.

«Depuis que je suis ici, je ne me souviens pas d’avoir entendu parler d’un de ces cas dans les médias, alors qu’on en voit beaucoup.»

Qu’est-ce qui vous motive à continuer?

Parce qu’il s’agit d’un métier gratifiant malgré tout, répond le groupe unanimement.

Bien sûr, leur travail contribue à inculper des meurtriers, en plus de donner une dernière voix à la victime.

Dans d’autres cas, leurs analyses peuvent permettre parfois de déceler une maladie génétique et d’avertir les membres de la famille du défunt – qui pourraient en être porteurs – avant qu’il ne soit trop tard.

De gauche à droite: les techniciennes Daphnée Bérubé, Chloé Chaput, Mélissa Beauchemin et Maribel Gervais.
De gauche à droite: les techniciennes Daphnée Bérubé, Chloé Chaput, Mélissa Beauchemin et Maribel Gervais. Photo Gabriel Ouimet

«Des fois, on prélève des organes qui seront donnés à la science et qui contribueront aux avancées dans le domaine médical», ajoute Mélissa Beauchemin.

«On fait ça parce qu’on est des passionnés. On est là pour fermer des portes et tenter d’éliminer la violence. C’est une grosse partie du travail. On est des gens ordinaires, mais on fait un métier extraordinaire», conclut humblement Martin Bergeron.

La qualité des techniciens et techniciennes du laboratoire québécois est par ailleurs reconnue à l’international.

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SI VOUS AVEZ BESOIN D’AIDE

Ligne québécoise de prévention du suicide

www.aqps.info

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