On a visité un laboratoire (légal) de champignons magiques à Montréal

Gabriel Ouimet
Psilocybine, mescaline et DMT: bienvenue chez Cubed Biotech, un laboratoire montréalais qui cultive des champignons magiques et synthétise des substances psychédéliques dans le but d’en faire des pilules vendues au dépanneur.
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Le fondateur de l’entreprise, Adam Coape-Arnold, nous accueille dans un grand bureau aux allures de start-up branchée dans un bâtiment discret du quartier industriel de Dollard-Des-Ormeaux, dans l’ouest de Montréal. À l’exception de petits bibelots de champignons posés ici et là, rien ne laisse présager qu’à l’étage inférieur se trouve un laboratoire de champignons magiques où s’opère une véritable révolution. Et pourtant.
Dans les prochains mois, environ 200 kg de champignons hallucinogènes seront cultivés sur place. C’est l’équivalent de 2 kg de psilocybine, l’élément psychoactif le plus connu des champignons magiques qui agit sur la perception, l’humeur et les sensations.
Le permis dérogatoire que Cubed Biotech a obtenu auprès de Santé Canada lui permet d’en produire un total de 3 kg en toute légalité.
«L’objectif, c’est d’extraire et de synthétiser les substances psychotropes contenues dans les champignons pour en faire des pilules standardisées qui permettent d’avoir les mêmes effets à chaque prise. Mon espoir, c’est que dans 5 ans, les gens puissent avoir accès à des microdoses au dépanneur au coin de chez eux», explique-t-il en se dirigeant vers le laboratoire.

Des champignons du plancher au plafond
Vitre pare-balles, coffre-fort, système de reconnaissance faciale, de détection de mouvement et de décontamination: après avoir franchi les dispositifs de sécurité et de longs couloirs d’un blanc immaculé, Adam Coape-Arnold pousse la porte de la champignonnière.
«Welcome to the jungle», lance-t-il en référence à la célèbre chanson rock du même nom.
Une odeur de champignon plane dans la pièce. Devant lui, les murs sont tapissés de sacs de culture et de différents spécimens aux formes et aux couleurs variées. «Je ne veux pas être spirituel, mais il y a vraiment quelque chose de spécial dans cet environnement. On sent qu’ils sont vivants», lâche l’entrepreneur.

C’est dans cet environnement stérile que les cultivateurs de Cubed Biotech tentent de créer les conditions parfaites pour faire pousser des champignons aux effets puissants le plus rapidement possible. Les techniques novatrices utilisées dans le laboratoire montréalais permettent d’obtenir des prototypes uniques qu’on ne retrouverait pas dans la nature, indique M. Coape-Arnold en ouvrant un sac de culture posé sur la table métallique devant lui.
Il donne l'exemple d'un champignon de la souche Penis Envy, habituellement coiffé d’un chapeau rouge orange, totalement dénudé de sa couleur caractéristique. Le spécimen appelé APE (Albino Penis Envy), entièrement blanc, est aussi plus puissant que les champignons qui poussent dans la nature.
«C'est comme si on échangeait le camouflage pour la puissance», explique Adam Coape-Arnold.

Plusieurs des champignons de Cubed Biotech seront déshydratés et broyés en une fine poudre. Leurs composantes psychoactives seront ensuite extraites à l’aide d’alcool dans un processus complexe rappelant celui de la distillation. Le concentré obtenu sera finalement purifié puis transformé en comprimé ou en liquide aux vertus thérapeutiques.
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DMT et mescaline
Il n’y a pas que des champignons dans le laboratoire de l’ouest de Montréal.
Après la champignonnière, Adam Coape-Arnold nous entraine vers «le terrain de jeu» de Pavol Tuna, le chimiste médical de l’entreprise.
«En ce moment, j’essaie de réduire de la mescaline, mais ça fonctionne à moitié», souffle le jeune scientifique récemment arrivé de Tchéquie en nous ouvrant sa porte.

La mescaline, c’est un élément hallucinogène contenu dans le Peyote, un petit cactus sans épine qui poussent dans le sud des États-Unis et au Mexique. Ses effets sont sensiblement les mêmes que ceux du LSD, mais en moins puissants, selon le site Toxquébec.com.

Pavol Tuna souhaite recréer la psilocybine, la mescaline, ou encore la DTM – le puissant hallucinogène contenu dans les vignes d’ayahuasca – dans sa forme la plus pure possible. Il s'agit d'une étape essentielle pour Cubed Biotech, qui veut produire avec ces substances des comprimés répondant aux standards du monde pharmaceutique.

Des médicaments potentiellement révolutionnaires
Alcoolisme, dépression, syndrome post-traumatique, fibromyalgie, parkinson, douleurs chroniques: le spectre des maladies ou conditions sur lesquelles les psychédéliques semblent avoir des effets bénéfiques s’élargit au fil des recherches scientifiques qui y sont consacrées.
Adam Coape-Arnold est persuadé que l’origine naturelle des produits qu’il compte commercialiser lui permettra de se distinguer dans le marché mondial des médicaments psychédéliques, évalué à 8 milliards de dollars dès 2026.
«Contrairement à d’autres molécules prometteuses, mais artificielles, comme la MDMA, les psychédéliques naturels n’ont pas de potentiel addictif, en plus d’avoir moins d’effets secondaires», indique-t-il.
Les médicaments de Cubed Biotech pourraient ainsi finir par remplacer les antidépresseurs traditionnels «que l’on doit prendre en continu et qui provoquent de nombreux effets secondaires», ambitionne l’homme d’affaires.
Son entreprise collabore déjà avec l’Université McGill et l’Université Duke sur divers projets dans le domaine de la santé mentale.
Mais avant de pouvoir espérer retrouver ses produits dans les hôpitaux ou en pharmacie, Cubed Biotech devra trouver un moyen de limiter la durée des effets des champignons, et donc des pilules produites en laboratoire.
«À l’heure actuelle, les effets peuvent durer plusieurs heures, donc les médecins doivent consacrer beaucoup de temps à chaque patient [qui consomment des champignons magiques dans le cadre d’un traitement]. Une durée limitée permettrait de voir plusieurs patients dans une même journée. Ça pourrait révolutionner les soins de santé mentale», détaille Adam Coape-Arnold.