La rivière Saint-Maurice, au cœur de la grande époque de la drave
Évelyne Ferron
Le secteur actuel de la ville de Trois-Rivières était jadis un lieu de passage, une zone d’arrêt et de rencontres pour les peuples autochtones de la région, car bien situé au confluent du fleuve Saint-Laurent et de la rivière Saint-Maurice.
Cette dernière portait le nom de «Métabéroutin» pour les Algonquins, qui voudrait dire «la décharge du vent». Elle les a transportés sur son courant, de même que les Montagnais, les Atikamekws, les Hurons et même leurs ennemis, les Iroquois.
Avec l’arrivée des premiers colons européens, cette rivière caractérisée par son fort courant, ses rapides et même ses chutes, favorise la traite des fourrures dans le secteur «des Trois Rivières». Incidemment, Samuel de Champlain mentionne déjà ce commerce dans la région en 1599, qui devient graduellement un lieu de rendez-vous pour les nations autochtones alliées aux Français. Il s’agit en effet d’une zone centrale entre Québec et Hochelaga. Le nom de Trois-Rivières apparaît pour la première fois sur une carte de 1601 avec la reine des cours d’eau, la rivière Saint-Maurice, qui se sépare entre des îles et donne l’impression de créer... trois rivières.
D’où vient le nom de Saint-Maurice alors? L’appellation remonte au XVIIe siècle, avec la promesse de concession d’une seigneurie à Maurice Poulin de La Fontaine, procureur du gouvernement de Trois-Rivières. La rivière, divisée entre les îles, commence à être appelée Saint-Maurice dans les années 1720-1740, nom attribué en l’honneur du seigneur Maurice Poulin.

Industrialisation et âge d’or de la drave
La puissante rivière devient une alliée précieuse dans le développement industriel de la région mauricienne. Il faut dire que la production de fer dans la région n’est pas assez importante pour véritablement faire augmenter la démographie trifluvienne. Avec l’industrialisation de la province de Québec toutefois, le besoin en bois et en sa transformation devient très important et son transport, de La Tuque à Trois-Rivières, doit se faire sur une rivière à fort débit.
La rivière Saint-Maurice se transforme dès lors en véritable autoroute du transport du bois d’œuvre, sous forme de billots, qu’on connaît sous le nom de pitounes. Ces billots vont alimenter les scieries et servir à l’exportation de bois pour les navires britanniques, à partir du blocus de Napoléon en 1806. Un peu plus tardivement, ce sont les papetières qui vont bénéficier de ce mode efficace de transport, elles qui s’établissent généralement près des rivières pour cette raison, souvent sur les sites d’anciennes scieries locales.
Le flottage du bois pour l’industrie naissante et prolifique des pâtes et papiers commence dans les années 1850 et les papetières investissent pour faire installer des glissoires et des estacades pour contrôler les descentes du bois et éviter surtout que les billots ne tombent dans les chutes.

Bien que ces nouveaux systèmes soient très pratiques, il faut néanmoins des hommes pour superviser le flottage, construire et défaire les estacades selon les besoins, ramener les billots qui s’égarent près des grèves et surtout... dégager les embâcles qui peuvent se former.
Ces hommes, dont le travail sera central dans le bon fonctionnement du transport du bois, se nomment les draveurs. L’origine du nom vient du verbe anglais to drive, soit conduire, car leur métier est de conduire les billots jusqu’aux usines. Après avoir bûché l’hiver, les draveurs attendant les crues printanières pour commencer le flottage des billots. Les archives historiques sont d’ailleurs riches en témoignage de cette époque importante de l’histoire trifluvienne et laissent deviner de très longues journées de travail. Une fois le travail terminé, ces spécialistes capables de dégager des pitounes avec le mouvement habile de leurs pieds et de leurs longs bâtons nommés gaffes, rentrent au campement où on leur sert de copieux repas.
Plusieurs recettes familiales mauriciennes tirent par ailleurs leurs origines de ces camps de drave, où les cuisinières devaient user d’ingéniosité pour concocter des repas soutenants et nourrissants, pour ces véritables athlètes des courants!