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L'article provient de Le Journal de Montréal

«Je veux effacer la honte que ressentent les femmes qui sont dans une relation toxique»: Nathacha Appanah dénonce les féminicides dans son roman «La nuit au cœur»

Gallimard
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Photo portrait de Karine Vilder

Karine Vilder

2025-10-05T09:00:00Z
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Avec La nuit au cœur, l’écrivaine Nathacha Appanah aborde brillamment le phénomène des féminicides à partir de l’histoire vraie de trois femmes victimes de violences conjugales. Un livre nécessaire.

Si vous souhaitez entamer la lecture d’un roman gentillet et plein de bons sentiments, stop, mieux vaut immédiatement passer votre chemin. La nuit au cœur, le nouveau livre de la romancière d’origine mauricienne Nathacha Appanah, est un vrai coup de bâton dans les genoux. À la croisée du fait divers, de l’autobiographie et du roman, il nous a fait tomber à la renverse dès les premières pages, superbement écrites. On les a même relues deux fois de suite pour savourer chaque phrase de cette extraordinaire mise en place narrative.

Elles sont pourtant terribles, ces pages: elles présentent trois hommes désignés uniquement par leurs initiales – ils ne méritent guère plus –, enfermés dans une salle qui n’existe que dans la tête de l’autrice. Trois hommes réunis là parce qu’ils ont quelque chose d’horrible en commun. À quelques années d’intervalle, chacun d’eux a infligé des violences physiques et verbales à celle qu’il était censé aimer et, animé par une rage meurtrière, chacun d’eux est allé jusqu’à la pourchasser hors de la maison.

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De ces trois femmes, deux ont été tuées.

Seule Nathacha Appanah a survécu et, pendant des années, elle a préféré garder pour elle la sombre relation amoureuse qu’elle a vécue alors qu’elle entrait à peine dans l’âge adulte et qu’elle habitait encore à l’île Maurice.

La réalité pire que la fiction

«Je commence toujours à écrire parce que je suis obsédée par une question, explique l’autrice qu’on a pu joindre chez elle, à Paris. Pourquoi ça se passe comme cela? Pourquoi cet état de fait? Pour ce livre, par exemple, il y a mon expérience, mon histoire, mais il y avait aussi le rapport de force entre hommes et femmes. Cette manière qu’ont tous ces hommes de contrôler leur femme de façon coercitive, et ce, quelle que soit leur culture, leur langue ou leur éducation. Pourquoi? Je n’ai pas trouvé la réponse, mais j’ai voulu décortiquer comme on décortiquerait une mécanique et comprendre ce qui déclenche ça.»

En 2021, Chahinez Daoud, une mère de trois enfants vivant dans les environs de Bordeaux, a été brûlée vive par son mari. Oui, l’horreur, et l’affaire a fait grand bruit en France.

«Quand j’ai appris les circonstances de la mort de Chahinez – la manière dont elle avait été chassée, sa course et sa mise à mort –, j’ai été littéralement interpellée par ça», dit Nathacha Appanah.

En clair, elle a compris qu’un nouveau livre l’attendait et assez vite, elle a commencé à faire des recherches sur la violence conjugale et les féminicides. Car dans sa propre famille, il y a eu une autre femme victime de ce genre de violence: sa cousine Emma. Là-bas, sur l’île Maurice, les journaux en ont très peu parlé. Mais un beau matin, pendant qu’elle faisait son jogging, Emma a goûté à la folie de son mari jaloux. Il l’a délibérément heurtée de plein fouet avec la voiture familiale, puis l’a abandonnée dans le fossé.

Faire la lumière

«J’ai souvent eu l’impression d’écrire dans le noir, confie Nathacha Appanah. Non seulement dans le noir, mais depuis le noir. Je cherchais désespérément la lumière des choses et elle est venue par le portrait de ces femmes, par la vérité de ce qu’elles étaient, c’est-à-dire pas du tout des êtres humains faibles ou éteints. Elles avaient envie de vivre, d’avancer, d’aimer certainement à nouveau, d’élever leurs enfants dans autre chose que ce que leur foyer offrait à ce moment-là.»

Quant à savoir si son livre pourrait ouvrir les yeux ou aider certaines femmes à franchir un pas, l’autrice reste lucide: «Toutes les histoires ne se ressemblent pas, mais un des points qu’elles ont souvent en commun, c’est que la femme veut partir, précise Nathacha Appanah. Donc je ne crois pas que c’est un livre qui donnera la force de partir, parce que la force de partir est déjà là. Ce que j’espère, c’est un livre qui redonnera un visage, qui effacera la honte que peuvent ressentir les femmes qui sont dans une relation toxique, une relation d’emprise.»

Une œuvre forte, troublante, indispensable.

Gallimard
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La nuit au cœur

Nathacha Appanah, Éditions Gallimard, 288 pages

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