«J'ai découvert qu'aucune existence n'est banale»: la romancière française Anne Berest s'intéresse au passé de son père dans «Finistère»

Karine Vilder
Dans Finistère, l’écrivaine française Anne Berest a réussi un tour de force: transformer la vie de ses ancêtres bretons en passionnant roman.
Simple hasard? Pure coïncidence? Toujours est-il qu’en cette rentrée littéraire, bon nombre d’écrivains français ont décidé de raconter leur mère. On songe notamment à Amélie Nothomb avec Tant mieux, à Emmanuel Carrère avec Kolkhoze, à Justine Lévy avec Une drôle de peine ou à Régis Jauffret avec le très éloquent Maman.
En décidant de se pencher plutôt sur le passé de son père dans Finistère, Anne Berest se détache donc complètement du lot!
«Dans La carte postale [paru en 2021 et qui a remporté plusieurs prix, dont le Renaudot des Lycéens], j’ai écrit toute l’histoire de la branche maternelle, l’histoire des Rabinovitch, qui étaient des Juifs de l’Europe de l’Est, précise-t-elle. Alors mon père m’a demandé un jour: “Mais pourquoi est-ce que tu ne t’intéresses pas aussi à tes racines paternelles, qui sont bretonnes?” Vous savez, je ne suis pas historienne. Mais j’ai un grand goût pour l’Histoire, et le travail de recherche me passionne. Comprendre la vie et les problèmes des paysans du Finistère en 1909, ça peut paraître aride sur le papier, mais quand je m’y plonge, eh bien je trouve ça extraordinaire. Donc, dans mes livres, j’essaye d’être la passeuse de ces pépites que je rencontre et que j’ai envie de partager avec les lecteurs!»
La Bretagne en héritage
Pour explorer ses racines, Anne Berest a forgé une approche bien particulière qu’elle appelle le «roman vrai». Une expression paradoxale, mais qui traduit bien sa manière de travailler.
«En gros, je prends mon arbre généalogique, et je transforme mes ancêtres en héros de roman! s’exclame-t-elle. Et pour ça, je pars toujours de faits vérifiés, historiquement avérés. Je ne change pas la grande Histoire, pas plus que je ne change la traversée des êtres, leur caractère ou leurs choix. Tout est vrai. En revanche, j’écris avec un souffle romanesque, en choisissant certains moments et en condensant parfois le temps.»
D’emblée, on sera ainsi plongé dans la réalité bretonne du début du XXe siècle.
Et on apprendra toutes sortes de choses: que les artichauts de la région étaient très à la mode à cette époque dans les assiettes, que les paysans du coin ont été outrés d’apprendre que plus personne ne se déplacerait de ferme en ferme pour acheter leurs récoltes, que l’arrière-grand-père d’Anne a eu l’idée de faire installer à Saint-Pol-de-Léon une balance publique indiquant systématiquement le juste poids des légumes (ce qui n’était pas toujours le cas avec la balance des négociants!), ou que ce même arrière-grand-père s’est battu pour fonder La Bretonne, la première coopérative agricole du Finistère – qui existe d’ailleurs toujours.
«Entre le lecteur et moi, il y a un pacte de confiance, poursuit-elle. Même si parfois les histoires semblent invraisemblables, le lecteur sait que je ne les ai pas inventées. La réalité est souvent plus folle que la fiction!»

Cahiers magiques
Ce goût du réel, Anne Berest le doit à son passé de biographe, quand elle écrivait la vie de monsieur et madame Tout-le-Monde. «Je n’écrivais pas la biographie de gens célèbres, mais j’ai découvert qu’aucune existence n’est banale, souligne-t-elle. Si on la regarde avec une loupe, on y trouve toujours des éléments romanesques.»
Pour écrire Finistère, Anne Berest a pu réaliser de nombreux entretiens avec son père avant qu’il ne soit emporté, en 2022. Mais elle a aussi pu compter sur quatre cahiers d’écolier Oxford, dans lesquels son grand-père avait consigné, il y a une trentaine d’années, ses souvenirs de jeunesse.
«Ces cahiers m’ont donné des pistes, précise-t-elle. Parfois, il n’y a que deux phrases surprenantes. Pour moi c’est du miel, parce que je peux en faire tout un chapitre. Je peux aussi passer une semaine entière sur un détail qui ne va faire que cinq lignes dans le livre. Mais pendant cette semaine j’aurai appris tellement de choses que je ne savais pas!»
Cette plongée dans les archives lui a également révélé des pans insoupçonnés de l’histoire familiale: «J’ai découvert l’engagement politique de mon père dans des organisations clandestines d’extrême gauche à la fin des années 60 et au début des années 70. Je l’ignorais totalement, car il ne nous en avait jamais parlé. Écrire ce livre m’a permis de comprendre ces mouvements et d’éclairer le présent.»
Un livre à la fois intime et historique qu’on a beaucoup aimé.

Finistère
Anne Berest, Éditions Albin Michel,
432 pages