La fin du rêve canadien : un migrant désillusionné préfère retourner aux États-Unis
Notre Bureau d'enquête a suivi à la trace son trajet entre Montréal et l'État de New York

Nora T. Lamontagne
Désabusé par son séjour au Canada, un migrant arrivé par le chemin Roxham a préféré retourner illégalement aux États-Unis plutôt que de continuer à vivre misérablement dans un studio décrépit à Montréal. Et il n'est pas le seul, a découvert notre Bureau d'enquête.
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« Je suis immensément déçu. Pas des gens, mais du pays et du système d’immigration. Je n’ai pas d’autre choix que d’aller voir ailleurs », laisse tomber Óscar, originaire du Venezuela, dont nous taisons le nom de famille pour le protéger.

Depuis janvier, près de 4000 personnes ont été interceptées, comme lui, à traverser illégalement la frontière du Québec vers les États-Unis. Selon nos sources, ils sont des dizaines arrivés par Roxham à être retournés chez nos voisins du Sud dans les derniers mois.
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La traversée d'Óscar, elle, a eu lieu le 2 septembre dernier en Montérégie, à quelques kilomètres du chemin par lequel il est arrivé en février.
Grâce à une puce électronique glissée dans son sac à dos, nous avons pu le suivre d’heure en heure, de Montréal jusqu’au poste des agents frontaliers américains où il a été brièvement détenu.

Une tempête parfaite
Dans les jours précédents le grand départ, l’homme de 34 ans nous avait accueillis dans sa chambre insalubre, à Saint-Laurent, pour expliquer sa décision.
Son petit bagage, rempli du strict nécessaire et d’un drapeau vénézuélien, était déjà prêt.

Après avoir erré à travers une dizaine de pays depuis 2018, Óscar n’aurait jamais imaginé mettre une croix sur son rêve canadien aussi vite.
Le jour de son arrivée, il rêvait surtout de tolérance envers les minorités sexuelles, de sécurité, du statut de réfugié, d’un emploi qui lui permettrait d’envoyer de l’argent à sa famille à l’étranger.
S'il a rapidement déchanté, c'est à cause de « la misère » qu’il a connue pendant six mois, en attente de son permis de travail, explique-t-il.
« Je n’imagine pas la réaction de ma famille si je leur racontais ma vie ici... Je ne leur parle pas souvent parce que j’ai honte. »

C’est que le quotidien des demandeurs d’asile est de plus en plus difficile, vu la crise du logement, le coût de la vie et les délais d’Immigration Canada, notent plusieurs organismes communautaires.

Derrière les barreaux
Une fois rendu du côté américain, l’émetteur électronique caché dans le sac d'Óscar a continué de signaler sa présence au poste des agents frontaliers de Champlain pendant quelques jours.
Peu après, Óscar était transféré au centre de détention de Buffalo, dans l’État de New York, à plus 500 kilomètres de là.
Le Vénézuélien nous a finalement passé un coup de fil après deux semaines de silence.

Il nous a raconté son départ en pleine nuit avec une amie dominicaine et ses enfants, à bord d’un Uber payé 500 $, leurs trois heures de marche à travers un champ de maïs et leur arrestation par les autorités américaines.
« En arrivant aux États-Unis, j’ai vraiment ressenti qu’on m’ôtait un poids de sur les épaules », témoigne-t-il depuis le centre entouré de barbelés où il se trouve.
Et ce, même s’il doit désormais payer une caution de 10 000 $ avant de pouvoir recouvrer la liberté.
Des mois pour un permis de travail
Le ministère fédéral de l’Immigration a implanté une politique en novembre dernier pour raccourcir à un mois les délais qui avaient explosé pour que les demandeurs d’asile obtiennent leur permis de travail.
Il n’était pas rare qu’ils doivent rester sur l’aide sociale pendant plus d’un an en attendant la précieuse autorisation.
Óscar, lui, s’est découragé après plus de six mois d’attente. Questionné par notre Bureau d’enquête, le Ministère n’a pas fourni dans les délais impartis de statistiques à jour concernant l’attente actuelle.
Un futur incertain
Les États-Unis ont récemment annoncé que les Vénézuéliens arrivés illégalement aux États-Unis avant le 31 juillet 2023 auront droit à un statut de protection temporaire qui les empêche d’être déportés.
Mais le futur d’Óscar est incertain vu sa date de traversée.S’il est libéré, il compte se rendre à Boston, où un ami l’attend, ou retourner à Kansas City, pour travailler au plus vite.
Formé en enseignement, le trentenaire veut retourner aux cuisines ou encore bosser en construction pour envoyer de l’argent à sa famille au Venezuela, où l’inflation est galopante.
Suivez le guide

Une traversée de la frontière canado-américaine, ça se prépare. Dans les semaines précédant son départ, Óscar dit avoir consulté cinq passeurs pour trouver la meilleure façon de s’y prendre, et le meilleur prix.
L’un d’eux lui demandait 500 $ seulement pour le transport et l’hébergement temporaire dans une maison près de la frontière.
Il a finalement décidé de se fier aux nombreux témoignages sur les réseaux sociaux détaillant le trajet à partir d’un champ de maïs « connu de tous les migrants », qui s’étend des deux côtés de la frontière.
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