Ingérence chinoise: l’aveuglement de Trudeau doit nous préoccuper
La Chine attend beaucoup d’un pays comme le Canada pour asseoir sa puissance


Loïc Tassé
Est-il trop tard pour contrer l’influence de la Chine au Canada ? Il faut souhaiter que non. Cependant, les réactions faibles, pour ne pas dire complaisantes, de Justin Trudeau face aux révélations des derniers jours sur la Chine ne laissent que deux choix. Ou Trudeau est compromis par des affaires chinoises que nous ignorons ou il est d’une naïveté qui frise la bêtise. Les deux possibilités ne sont pas mutuellement exclusives.
• À lire aussi: Ingérence: une influence chinoise qui remonte à loin, au Canada
• À lire aussi: Ingérence chinoise: Justin Trudeau toujours réticent à une enquête publique
• À lire aussi: Ingérence étrangère: des rumeurs, d’après le sous-ministre des Affaires étrangères
Trudeau évoque spontanément des problèmes racistes lorsqu’il se fait poser des questions sur l’ingérence chinoise au Canada. Il explique très mal ce dont il s’agit.
Il redoute une stratégie dite de « russianisation » de la société canadienne. Cette stratégie désigne l’ensemble des manœuvres qu’une puissance étrangère effectue dans un pays afin de polariser son opinion publique, dans le but de l’affaiblir. En l’occurrence le Canada qui pourrait être victime d’une telle stratégie. Pour la Chine, cette polarisation extrême aurait en outre l’avantage d’affaiblir le sentiment d’appartenance des Canadiens d’origine chinoise et de les rapprocher de Pékin.
Mais le danger de polarisation ne saurait justifier une politique encore plus dangereuse d’inaction.
UNE INGÉRENCE ÉTENDUE
En 1997, le gouvernement canadien avait reçu un rapport de ses services de renseignement sur les dangers des activités chinoises au Canada, le rapport Sidewinder. Ce rapport a été torpillé, dilué, puis tabletté. Dans les années subséquentes, d’autres rapports similaires ont subi un traitement analogue. À l’évidence, plusieurs dirigeants ferment les yeux depuis des décennies sur les activités du gouvernement chinois au Canada. Pourquoi ?

CE QUE LA CHINE VEUT DU CANADA
Les ambitions planétaires de la Chine sont connues. Sans jamais le dire explicitement, les dirigeants chinois souhaitent que la Chine remplace les États-Unis comme leader mondial. Pour les dirigeants chinois actuels, cette ambition ne peut se concrétiser qu’au prix d’une dure lutte avec les États-Unis.
Dans un tel contexte, la Chine attend beaucoup d’un pays comme le Canada. D’abord, elle veut éroder ses liens avec les États-Unis, pour affaiblir les alliances des États-Unis. Elle cherche aussi à gagner de nouveaux marchés et à sécuriser ses approvisionnements en matières premières. En ce domaine, le Canada est un fournisseur potentiel de premier plan. Pékin convoite aussi les technologies canadiennes qui sont très proches de celles des Américains, quand elles ne sont pas les mêmes. Enfin, la Chine cherche à contrôler l’opinion publique mondiale, et donc celle du Canada, sur des sujets comme les Ouïgours, le Tibet, Taïwan, Hong Kong et la démocratie.
Le problème est que la Chine est redevenue un pays totalitaire. L’ordre mondial qu’elle propose serait donc totalitaire. Aucune démocratie ne pourrait s’épanouir dans un tel ordre mondial. Pékin l’a démontré récemment avec l’écrasement du mouvement démocratique à Hong Kong.
- Écoutez la chronique de Loïc Tassé, spécialiste en politique internationale au micro de Benoit Dutrizac sur QUB radio :
ÉLECTIONS ET MÉDIAS CHINOIS
Les presque 2 millions de citoyens canadiens d’origine chinoise sont influencés par les médias en langue chinoise, entre autres parce qu’une partie d’entre eux maîtrise mal le français ou l’anglais. Or, Pékin contrôle presque tous les médias chinois publiés au Canada. Le vote de la communauté chinoise peut faire basculer le résultat d’élections dans plusieurs comtés, particulièrement à Vancouver ou dans certaines banlieues de Toronto.
Mais l’ingérence de la Chine n’intervient pas qu’au niveau national. C’est aussi et peut-être pour le moment surtout, un problème municipal et provincial. Une commission d’enquête nationale devrait aussi s’y intéresser.

L’ingérence de la Chine dépasse la sphère des élections. Déjà dans les années 90, des intérêts chinois proches du Parti communiste chinois avaient acquis environ 200 entreprises canadiennes. Ces entreprises en ont à leur tour acheté d’autres. Le gouvernement chinois tisse aussi des liens avec les autochtones canadiens. Il entre dans les réseaux de recherche universitaires.
Bref, la Chine souhaite neutraliser le Canada et profiter de lui au maximum.
- Écoutez la chronique de Loïc Tassé, spécialiste en politique internationale au micro de Benoit Dutrizac sur QUB radio :
L’Australie a aussi goûté à la médecine chinoise
La population australienne a découvert l’étendue de l’influence de la Chine sur sa politique en 2017, à l’occasion de la diffusion à la télévision de reportages d’enquête.
Les Australiens ont alors compris avec stupéfaction que des agents chinois avaient infiltré jusqu’au gouvernement australien. Ces agents faisaient la promotion de mesures visant à ternir la démocratie australienne et à compromettre la souveraineté du pays. Par la suite, divers médias entreprendront d’autres enquêtes qui, les unes après les autres, révéleront divers aspects de l’influence indue de la Chine en Australie.
Comme au Canada, la Chine y a influencé les élections, en particulier au niveau local. Comme au Canada, elle y a acheté de nombreuses compagnies. Comme au Canada, elle a étendu sa mainmise sur les médias australiens en langue chinoise. Comme au Canada, elle y mène une guerre psychologique, une guerre d’opinion et une guerre juridique.
SOLUTIONS
Le gouvernement australien a pris diverses mesures pour répondre à ces intrusions.
Par exemple, il a renforcé la loi nationale australienne sur l’espionnage, notamment en alourdissant les sanctions pour espionnage et en élargissant la définition des activités subversives.
Il a annulé de nombreux projets d’investissements chinois et lancé des enquêtes sur plus de 1000 entreprises de propriété chinoise.
Il a aussi voté une loi qui lui a permis d’annuler une entente conclue entre la Chine et l’État de Victoria dans le cadre des nouvelles routes de la soie.
RÉACTIONS
Le gouvernement chinois a fortement réagi à la campagne contre l’ingérence chinoise. En 2020, prenant prétexte d’un appel du gouvernement australien à lancer une enquête internationale indépendante sur les origines chinoises de la COVID-19, le gouvernement de Xi Jinping a décidé de boycotter divers produits australiens comme le fer, le blé et le vin. L’Australie perd chaque année 3 milliards $ en raison de ce boycottage.
Cependant, le gouvernement australien est loin de prendre toutes les mesures requises pour juguler l’influence de la Chine dans le pays. Comme le souligne l’ex--premier ministre du pays Malcolm Turnbull, les agents de la Chine sont connus, mais encore actifs. C’est que selon lui, il est difficile de régler le problème sans mécontenter une bonne partie de la communauté d’affaires.
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?
Vous avez un scoop qui pourrait intéresser nos lecteurs?
Écrivez-nous à l'adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.