Incursion: on a suivi des agentes de la SPCA de Montréal dans des enquêtes pour maltraitance

Gabriel Ouimet
INCURSION − Le nombre d’animaux saisis par le Bureau des enquêtes de la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux (SPCA) de Montréal a explosé depuis 2022. 24 heures a suivi deux constables spéciales pour mieux comprendre les causes et les conséquences de la maltraitance animale.
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Premier arrêt: un immeuble à logements banal du quartier Notre-Dame-de-Grâce, à l’ouest du centre-ville de Montréal.
«Il y a un piège à ours qui a été mis dans un arbre et on a un écureuil qui s’est fait snapper la patte. Notre personnel vétérinaire a été obligé de se rendre sur place pour l’euthanasier la semaine dernière», m’explique l’enquêtrice Marie-Kim Gagné.
Une fois sur place, l’agente Gagné et sa collègue Katrine D’Errico interrogent le voisinage pour tenter d’obtenir de l’information qui leur permettrait d’identifier un suspect.

Le témoignage d’une résidente donne une bonne idée de la violence de la scène qui s’est déroulée en pleine nuit, quelques jours plus tôt.
«J’ai grandi sur une ferme et je n’ai jamais entendu un animal crier et hurler de douleur comme cet écureuil. Ça s’est passé juste devant ma fenêtre. C’était horrible», raconte la femme de son balcon du deuxième étage.
C’est le seul témoignage qu’elles recueilleront aujourd’hui. Elles s’assurent qu’aucun autre piège n’a été installé autour de l’immeuble, puis on repart vers le quartier Saint-Michel, dans le nord de l’île.
«AS-TU UN MANDAT!?!»
La deuxième plainte du jour concerne «un chien de type pitbull qui serait battu tous les jours par son maître».
«L’animal serait également malade et sous-nourri. On peut donc s’attendre à un chien blessé d’apparence très maigre», m’avertit Marie-Kim Gagné, alors que les garages et les locaux commerciaux abandonnés se succèdent autour de nous.
Un VUS décrépit trône sur le gazon devant l’immeuble devant lequel nous nous arrêtons. Un homme assis sur un balcon interpelle rapidement les agentes de la SPCA.
«Quel appartement?!», demande-t-il sur un ton agressif.
«On cherche à savoir qui a un pitbull, ici», répond Katrine D’Errico.

«C’est moi, mais là, je l’ai plus», rétorque le résident, visiblement irrité par notre présence.
L’homme se braque davantage lorsque le duo lui demande d’entrer.
«Ici, c’est un immeuble de chambres et logements, c’est pas un bloc. T’as besoin d’un mandat pour entrer. Appelle la police et va chercher un mandat. J’vous parle plus. BYYYYE», lâche-t-il.
Quelques instants plus tard, un voisin confirme aux enquêtrices que le pitbull ne se trouve plus sur les lieux.
Au même moment, une violente dispute, qui semble impliquer plusieurs locataires, éclate au deuxième étage.
Incapables d’accéder à l’intérieur de la bâtisse sans compromettre leur propre sécurité, les agentes mettent fin à l’intervention.
Je profite de la route du retour pour en connaitre un peu plus sur les épreuves qu’elles affrontent au quotidien.
La détresse humaine, source de cruauté animale
La détresse vécue par de nombreux propriétaires d’animaux est l’une des principales causes de la hausse des signalements que reçoit la SPCA et son Bureau des enquêtes, soulignent les deux agentes.
«Les gens qui sont profondément méchants et cruels envers leurs animaux, c’est vraiment une minorité. Nous, ce qu’on voit le plus souvent, ce sont des gens qui ont eux-mêmes des problèmes mentaux, financiers ou autres. Au final, ce sont les animaux qui écopent», analyse Marie-Kim Gagné.
«Le dossier qui m’a le plus marqué émotionnellement et psychologiquement, on l’a surnommé la maison de l’horreur. On s’est rendu chez un monsieur qui faisait de l’accumulation compulsive après qu’un passant nous a avisés qu’il avait vu un chat mort dans la fenêtre de la résidence. Il y avait une trentaine de chats là-dedans. C’était rempli d’excréments. La majorité des chats étaient déjà morts et on pouvait voir qu’il y en avait certains qui se sont mangés entre eux pour essayer de survivre», raconte-t-elle.

«Généralement, dans ces dossiers-là, la police ne veut même pas entrer avec nous. Ça pue, c’est dégueulasse. Ils trouvent ça trop rough», ajoute-t-elle.
La présence policière est cependant nécessaire pour assurer la sécurité des constables dans certaines situations.
Marie-Kim Gagné en sait quelque chose: un propriétaire l’a menacée avec un fusil de chasse lors d’une intervention de routine, en 2021.
«Le gars n’était vraiment pas content qu’on vienne faire un check-up pour son chien et en retournant à la voiture, j’ai vu qu’il me pointait son arme dessus», se souvient-elle.
Pour l’amour des animaux
C’est l’amour des animaux qui donnent à Marie-Kim Gagné et à Katrine D’Errico la force de continuer, malgré les risques associés à leur métier et la détresse dont elles sont témoins au quotidien.
Leur travail fait une vraie différence: leur équipe a retiré pas moins de 179 animaux d’un foyer problématique en 2024, comparativement à 57 en 2023.
Dans ce contexte, elles demandent à tout le monde d’ouvrir l’oeil et de ne pas hésiter à dénoncer, à la SPCA ou à d’autres organismes au Québec, la violence faite aux animaux.
«Il n’y a pas de petite victoire», insiste Marie-Kim Gagné.
Le Bureau des enquêtes en chiffres
- 179 animaux saisis en 2024, contrairement à 57 en 2023. (+214%)
- Plus de 1600 dossiers ont été ouverts en 2024.
- Plus de 9230 appels ont été traités par le Bureau en 2024, soit 1230 de plus que les 8000 traités en 2023. (+15%)