«L’amour ne s’achète pas»: un sexagénaire fraudé 480 000$... jusqu'à la mort
Son parrain s’est enlevé la vie après une fraude amoureuse qui lui a coûté près d’un demi-million
Erika Aubin
Nous sommes plus que jamais ciblés par des arnaques de tous genres. Souvent banalisés ou jugés sans violence, ces crimes causent pourtant des ravages insoupçonnés et ont poussé plusieurs Québécois au suicide, révèle une enquête du Journal.
MONT-SAINT-HILAIRE | «L’amour ne devrait pas vous coûter de l’argent.» Un homme insiste sur ce message après que son parrain de 67 ans, qui a envoyé près d’un demi-million à un fraudeur, se soit enlevé la vie.
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«Une peine d’amour, le sentiment de honte et des problèmes financiers à cause de la fraude: c’est ce qui a causé sa mort», se désole Emmanuel.
Son parrain, dont nous tairons l’identité à la demande de la famille, s’est enlevé la vie à l’été 2024. Il ne voyait plus de solution après avoir été dépouillé dans une fraude amoureuse de toutes ses économies pour la retraite.
Le sexagénaire n’avait jamais eu de relation intime significative, mais il était un grand romantique et souhaitait trouver l’amour. Il a donc été aveuglé quand il a fait la connaissance, sur un site de rencontre, d’un homme athlétique soi-disant d’origine hongroise, plus jeune que lui et qui disait vivre à Laval.
«Il a commencé par développer un lien affectif. Au début, c’étaient des petites sommes. Nous, on l’avertissait: “Ça n’a pas de sens, coupe les ponts”», raconte Emmanuel.
Techniques bien ficelées
Comme lui, des proches ont essayé d’intervenir à plusieurs reprises, mais tout en prenant soin de ne pas briser leur relation avec l’homme de 67 ans.
D’autant plus qu’il ne communiquait que des bribes d’informations aux gens autour de lui; personne n’avait un réel portrait de l’ampleur de la fraude. «Entre ce qu’il nous disait et ce qu’il vivait, il y avait deux mondes. Il pensait être en maîtrise de la situation», dit Emmanuel.
De l’autre côté de l’écran, le fraudeur inventait toutes sortes d’histoires rocambolesques pour lui soutirer de l’argent, en faisant miroiter le fait qu’il était en attente d’un important héritage qui servirait à le rembourser.
«La population juge, mais les fraudeurs ont des méthodes pour entourlouper. Ils ont vraiment des techniques de manipulation très bien ficelées», insiste la coroner Me Nathalie Lefebvre (voir texte ci-bas).
La victime a dû retirer des REER et réhypothéquer une partie de sa maison, en Montérégie. Pour débloquer des fonds, l’homme a même menti en disant qu’il devait rénover son balcon. Au total, il a envoyé environ 480 000$ sur une période d’un an, estime son filleul.
«Il était émotionnellement impliqué et il avait tellement investi dans cette relation qu’il ne se voyait pas tout arrêter», explique-t-il.
«Mais l’amour ne devrait pas vous coûter de l’argent. L’amour, ça ne s’achète pas», insiste Emmanuel.
Hospitalisé avant sa mort
L’homme n’en dormait presque plus. Il a été hospitalisé trois jours avant de passer à l’acte pour un état dépressif et des propos suicidaires. On lui a prescrit des antidépresseurs.
Emmanuel se demande encore si l’hôpital ou la banque aurait pu en faire plus pour lui venir en aide. Chose certaine, il est grand temps de faire plus de sensibilisation au sujet des fraudes amoureuses, selon lui. Il partage l’histoire de son parrain avec l’objectif de prévenir d’autres décès.
Une première recommandation d’une coroner sur les fraudes amoureuses
Le décès d’un homme de 67 ans a particulièrement touché une coroner, qui a émis la toute première recommandation en lien avec le phénomène inquiétant et grandissant des fraudes amoureuses.
La coroner Me Nathalie Lefebvre invite les sites de rencontre en ligne à prévenir leurs utilisateurs des risques liés aux arnaques amoureuses et inciter les victimes à demander de l’aide. Par exemple, grâce à une mise en garde sur l’interface au moment où un nouvel usager ouvre son compte, détaille-t-elle au Journal.
L’avocate a émis cette recommandation «innovatrice» après s’être penchée sur le suicide du sexagénaire de Mont-Saint-Hilaire à l’été 2024. Son rapport a été rendu public le mois dernier.
Situation précaire
En un an, le retraité a envoyé près d’un demi-million de dollars à un fraudeur rencontré sur internet. Sa vie a basculé après qu’il s'est retrouvé en situation financière précaire à cause de cette arnaque, écrit Me Lefebvre dans son rapport.
«C’est venu me chercher. Monsieur avait été à la recherche de l’âme sœur toute sa vie. Je pouvais comprendre son désarroi quand il s’est rendu compte qu’il s’est fait avoir», se désole-t-elle.
Le phénomène des fraudes amoureuses prend de l’ampleur dans la société, s’alarme la coroner. Elle a senti qu’elle avait le devoir d’en faire plus pour protéger des vies.
Démunis face aux fraudeurs étrangers
Me Lefebvre mise sur la prévention, puisque les corps policiers locaux sont plutôt impuissants pour aller débusquer ces réseaux criminels qui se trouvent bien souvent à l’autre bout du monde, explique-t-elle.
«On est un peu démunis. Les policiers voudraient bien... mais avec les ressources, c’est illusoire de penser qu’on va pouvoir démanteler ces groupes ou que les victimes flouées vont être remboursées», estime-t-elle.
Pour cette raison, il faut travailler «en amont et faire des mises en garde». «C’est peut-être la petite lumière qui va faire un déclic dans la tête de certaines personnes et [...] éviter que certains passent à l’acte», conclut la coroner.
Emmanuel, le filleul de la victime, espère pour sa part que les sites de rencontre poussent encore plus loin que la recommandation, en proposant soit une vidéo ou même une formation obligatoire à tous ceux qui veulent s’y inscrire.
