Accablés par la honte et le désespoir: au moins 26 Québécois en sont venus à s'enlever la vie après avoir été arnaqués

Nous sommes plus que jamais ciblés par des arnaques de tous genres. Souvent banalisés ou jugés sans violence, ces crimes causent pourtant des ravages insoupçonnés et ont poussé plusieurs Québécois au suicide, révèle une enquête du Journal.

Accablés par la honte et le désespoir d’avoir été fraudés, au moins 26 Québécois en sont venus à s’enlever la vie au cours de la dernière décennie, révèle une enquête effectuée par Le Journal, au moment où les arnaques en tous genres ne cessent de se multiplier autour de nous.

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Cette troublante recension montre l’ampleur insoupçonnée d’un fléau dont les ravages vont bien au-delà de l’aspect financier, alors que les fraudes sont pourtant souvent considérées comme des crimes sans violence.

«Elle s’est retrouvée célibataire, seule dans sa maison. C’est là que monsieur Richard est arrivé, il lui a dit tout ce qu’elle voulait entendre.»

Il suffit de quelques mots à Sophie Lacroix pour résumer comment sa mère, comme bien d’autres, est tombée dans le panneau d’une fraude amoureuse qui l’a dépouillée de toutes ses économies. Anéantie, la femme de 70 ans a fini par s’enlever la vie.

Elle n’est pas la seule. Pierre Morin a lui aussi posé un geste fatal sur une route de Granby après avoir été victime d'une fausse prétendante. 

Le plus récent cas recensé concerne un sexagénaire qui a cru avoir trouvé l'amour sur un site de rencontre, mais a plutôt été berné et a perdu un demi-million de dollars.

Le Journal a parcouru une montagne de rapports de coroners et y a repéré en tout 26 cas semblables. Des victimes de fraude, qui, désespérées et humiliées de s’être fait avoir, en sont venues à commettre l’irréparable.

Pointe de l'iceberg

Et il ne s’agit ici que des dossiers où un coroner a pu établir un lien direct entre le suicide et l’arnaque. Cette statistique aberrante n’est que la pointe de l’iceberg, considérant que seulement 5 à 10% des victimes de fraude vont dénoncer, selon le Centre antifraude.

«Des gens vont s’isoler avec cette détresse-là, par honte. Ils ont l’impression de ne pas être capables de s’en sortir», explique Marie-Christine Villeneuve, des centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC).

Pour certains, cette détresse sera perçue comme étant «insurmontable», renchérit le sergent-détective Hugo Baron, de la police de Granby.

Honte, culpabilité, humiliation et même peur de représailles: ces arnaques peuvent avoir des répercussions insoupçonnées, qui ne doivent pas être banalisées, préviennent des experts.

Certes, un suicide est souvent multicause. Mais l’épreuve liée à une fraude peut «devenir la goutte de trop», explique Hugo Fournier, président de l’Association québécoise de prévention du suicide.

Certains ressentent, à tort, qu’ils n’ont plus d’issue ni de solutions, ajoute Julie Carpentier, professeure en psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

5,7M$ perdus

Parmi les rapports consultés liant un suicide à une fraude, on retrouve des victimes âgées de 19 à 83 ans. Trois seulement étaient des femmes. L’une d’elles a déboursé jusqu’à 800 000$ à un escroc qu’elle croyait être son amoureux.

Les enquêtes des coroners font état de divers autres stratagèmes, pour la majorité en ligne.

La fraude amoureuse reste la plus connue. En 2023 seulement, les Québécois ont perdu près de 5,7M$ dans ce seul type d’arnaque.

« Ces fraudeurs sont des professionnels dans des réseaux qui ne font que ça. Ils utilisent des techniques très sophistiquées »

- Julie Carpentier, professeure en psychoéducation à l’UQTR et et criminologue clinicienne à l'Institut Pinel

Photo courtoisie

«De l’extérieur, c’est facile à déceler. Mais ils tissent tranquillement leur toile pendant des mois et la victime n’y voit que du feu», révèle M^me Carpentier.

Celle qui supervise un projet de recherche sur les fraudes amoureuses insiste: les victimes ne sont pas nécessairement «naïves ou idiotes».

«N’importe qui peut se faire prendre. Lorsque tu es amoureux, il est difficile de voir les drapeaux rouges», ajoute-t-elle.

Traumatisant

D’ailleurs, lorsqu’elles découvrent la supercherie, les victimes vont souvent se sentir trahies. Mais la perte de la relation, considérée comme «traumatisante», peut même être pire que la perte financière, et peut ainsi pousser au suicide, selon la Chaire de recherche en prévention de la cybercriminalité de l’Université de Montréal.

On retrouve aussi plusieurs cas de sextorsion, qui consiste à menacer une victime de diffuser des images intimes d’elle, bien souvent en échange d’argent.

Dès 2011, une première coroner a sonné l’alarme sur ce phénomène. Son rapport s’ajoute ainsi aux 26 autres: un jeune homme de 27 ans a pris peur après avoir été victime d’une arnaque sur MSN par un correspondant de la Côte d’Ivoire.

Depuis, les gouvernements ont mis peu de mesures en place pour contrer la sextorsion et la situation n’a fait qu’empirer, déplorent plusieurs observateurs. 

Des tragédies causées par des fraudeurs sans scrupules

Homme, 41 ans, Laval

Novembre 2020, Victime d'une fraude à l'emploi

«Comme un imbécile, je suis tombé dans le panneau.»

C’est avec ces mots qu’un Lavallois a expliqué à ses proches son geste de désespoir.

Tout n’était pas rose dans la vie de l’homme à cette époque. La pandémie de Covid-19 l’avait isolé et il combattait un cancer.

Or, selon son frère, ce qui l’a poussé au suicide, c’est une fraude dont il a été victime les jours précédant son décès. Il a demandé qu’on taise son identité ainsi que celle de son frère par dignité pour ce dernier, qui est mort dans la honte.

Son nouvel emploi, qui le stimulait, s’est avéré être une arnaque. L’homme s’était déniché ce boulot, qui consistait à accomplir des tâches plutôt simples, en échange d’argent. On lui avait notamment demandé de créer un document lié à l’accueil de nouveaux arrivants. Il avait même vérifié la validité de l’employeur, qui avait mis en place un site web fonctionnel.

Sauf qu’à un moment, on lui aurait demandé d’envoyer des Bitcoins. Il devait recevoir de l’argent en retour, ce qui n’est jamais arrivé.

Ensuite, il a réalisé s’être fait avoir.

Son frère estime que le montant envoyé n’était pas si important, environ 2000$.

«Il y a l’argent, mais surtout le sentiment d’humiliation. Il était déjà un peu fragile, il voulait améliorer son sort et il s’est fait avoir. C’est clairement la goutte qui a fait déborder le vase», déplore le frère de la victime.

Homme, 63 ans, Estrie

Juin 2018, Victime d'une fraude amoureuse

Un policier retraité, veuf, s’est enlevé la vie après avoir réalisé qu’il a été victime d’une fraude. Il a découvert que la personne avec qui il entretenait une relation outre-mer n’avait pour seul objectif que de lui extorquer de l’argent. «Ses projets de vie qu’il avait élaborés avec cette personne sont réduits à néant», a écrit la coroner Kathleen Gélinas.

Homme, 63 ans, Mirabel

Octobre 2019, Victime de fraude financière

« J’ai vraiment étalé au grand jour que je m’étais fait avoir, je suis vraiment un loser. » Voilà ce qu’avait lancé à des proches l’homme qui a été berné pour plus de 1M$ par un prétendu conseiller financier. « Il n’aurait jamais accepté cela », avait résumé Me Denyse Langelier, dans son rapport de coroner.

Homme, 64 ans, Lévis

Janvier 2022, Victime de fausses accusations

À l’analyse de l’ordinateur de l’homme, un enquêteur a appris qu’il avait été victime d’une arnaque quelques jours avant son décès dont l’expéditeur était «Royale Police». On l’accusait de sévices graves, des accusations qu’il a toujours niées, mais qui lui ont tout de même causé d’importants troubles d’anxiété. «Il est clair dans ce dossier que l’arnaque a été l’élément déclencheur de son geste», a conclu le D^r Jean-Marc Picard, coroner.

Homme, 19 ans, Chaudière-Appalaches

Mai 2014, Victime de sextorsion

Une correspondance sur Skype avec une personne qui s’identifiait «Amour love» a mené au suicide du jeune étudiant. Après avoir eu du «web sexe», il s’est fait demander une importante somme d’argent. On a ensuite menacé le jeune homme de diffuser la vidéo sur ses réseaux sociaux. «La victime s’est sentie coincée et prise de panique», avait écrit le coroner Pierre Brochu.

Fraudés à mort

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